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L’UPAC en terrain miné

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Jean-claude Hébert

2022-06-14 11:15:00

Ce énième chapitre d’un feuilleton sans fin nous rappelle que la collaboration journaliste-policier n’est pas sans danger.

Jean-Claude Hébert, l’auteur de cet article. Source: Archives
Jean-Claude Hébert, l’auteur de cet article. Source: Archives
Un journaliste a réagi récemment à la durée de l’enquête indépendante sur l’UPAC (Unité permanente anticorruption) concernant la fuite d’un « matériel hautement confidentiel, transmis illégalement aux médias ». Fort de sa longue fréquentation du palais de justice, il rappelle un vieux truc : « Ce n’est pas d’hier que les policiers utilisent la fuite contrôlée pour faire réagir des suspects, mettre de la pression sur les procureurs, se venger, etc. Classique. » Est-ce légal d’agir ainsi ?

Absence d’immunité

Personne ne conteste l’utilité du journalisme d’enquête dans une société libre et démocratique. La liberté de presse et la protection juridique de la confidentialité des sources journalistiques ne peuvent écarter l’application du Code criminel.

Sur ce terrain miné, la collaboration journaliste-policier risque de perdre son innocence. En effet, l’utilisation publique par un journaliste de renseignements policiers confidentiels peut, selon les circonstances, engager sa responsabilité pénale.

En règle générale, la responsabilité de personnes associées aux infractions criminelles prend deux formes : la culpabilité primaire pour l’auteur de l’infraction et la culpabilité secondaire pour le participant.

Concrètement, quiconque — sciemment — participe à la perpétration d’une infraction, c.-à-d. fournit de l’aide, des conseils, des encouragements ou une contribution, engage sa propre responsabilité pénale. L’intention d’un tiers d’aider à la perpétration d’une infraction suppose la connaissance du délit commis par l’auteur principal.

Nul besoin pour un journaliste de connaître le modus operandi d’un policier accolé à une fuite d’informations pendant le cours d’une enquête. La norme juridique de l’ignorance volontaire impute une connaissance à la personne qui doute, mais choisit délibérément de ne pas s’informer davantage.

Entraver la justice

Selon la commission d’enquête Chamberland (sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques), le serment de discrétion prêté par un policier est un acte fondamental dans l’accomplissement de son travail.

Le ou la journaliste qui — en connaissance de cause — diffuse une information confidentielle issue d’une enquête policière participe ou contribue à l’infraction commise par un policier délinquant.

Le rapport Chamberland rappelle que le « fait pour un policier d’avoir commis l’indiscrétion au bénéfice d’un journaliste ne saurait lui conférer d’immunité à l’égard d’une éventuelle poursuite criminelle ou accusation disciplinaire, ou des deux ».

Une indiscrétion prohibée vise des renseignements colligés dans le cadre d’une enquête policière. Par exemple, commet une infraction criminelle quiconque transmet à un journaliste des documents gorgés d’informations provenant d’écoute clandestine.

Sous peine de sanction, la loi interdit à toute personne d’utiliser ou de divulguer volontairement — totalement ou partiellement — une communication privée interceptée sur autorisation judiciaire. Cette prohibition vise la substance, le sens ou l’objet de ladite communication.

La Cour suprême a largement défini l’infraction d’entrave à la justice. La description du « cours de la justice » ne se limite pas aux procédures judiciaires existantes ou projetées, mais comprend aussi les enquêtes.

Des journalistes intéressés par la justice et les faits divers tissent des liens avec des policiers. Dans la mouvance de l’actualité quotidienne, des rapports discrets se nouent entre des enquêteurs et des journalistes d’enquête ou des chroniqueurs judiciaires.

Chacun y trouve son avantage : le policier utilise le journaliste, et ce dernier bénéficie d’informations confidentielles — voire secrètes — provenant de source policière. Cette liaison dangereuse met à risque le tandem policier-journaliste.

Liaison toxique

Souhaitons que l’interminable démarche menée par le Bureau des enquêtes indépendantes mette en lumière les périls sous-jacents à une liaison toxique.

Un policier bafouant son devoir de discrétion s’expose à des poursuites criminelles et à des mesures disciplinaires. Il en va de même pour tout journaliste devenu consciemment complice ou conspirateur d’une fuite de renseignements confidentiels pendant une enquête policière.

À propos de l’auteur

Jean-Claude Hébert est un avocat criminaliste, professeur de droit et auteur québécois. Ce texte est d’abord paru au ''Le Devoir''.

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