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Interdiction aux non-Canadiens d’acheter des immeubles résidentiels : Les répercussions commerciales imprévues

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Collectif

2023-03-03 11:15:00

Quelles répercussions commerciales va avoir la loi sur l’interdiction aux non-Canadiens d’acheter des immeubles résidentiels ?

Annie Gagnon-Larocque, D. James Papadimitriou, Joannie Jacques et Xin Yue Zhang, les auteurs de cet article. Source: McCarthy Tétrault LLP
Annie Gagnon-Larocque, D. James Papadimitriou, Joannie Jacques et Xin Yue Zhang, les auteurs de cet article. Source: McCarthy Tétrault LLP
Le 1er janvier 2023, la Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens (la « Loi ») est entrée en vigueur, de même que le Règlement sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens (le « Règlement »).

La plupart des articles parus dans la presse au sujet de cette nouvelle loi fédérale portent sur les répercussions de celle-ci sur les transactions résidentielles et sur le marché de l’habitation au Canada.

Cependant, certaines dispositions du Règlement, qui n’a été publié que le 21 décembre 2022, pourraient avoir des conséquences potentiellement significatives sur les transactions commerciales.

La Loi

La Loi vise délibérément à rendre les logements plus abordables pour les Canadiens. À cette fin, l’article 4 de la Loi prévoit qu’« il est interdit à tout non-Canadien d’acheter, directement ou indirectement, tout immeuble résidentiel ».

La Loi définit un « non-Canadien » comme étant, soit :

a. Un individu autre qu’un citoyen canadien, qu’une personne inscrite à titre d’Indien sous le régime de la Loi sur les Indiens ou qu’un résident permanent;

b. Une société constituée autrement que par une loi fédérale ou provinciale;

c. Une société constituée par une loi fédérale ou provinciale dont les actions ne sont pas cotées à une bourse de valeurs au Canada et qui est contrôlée par une personne visée aux alinéas 3. ou 4.; ou

d. Une personne ou entité visée par règlement.

La Loi définit un « immeuble résidentiel » comme étant, soit :

a. Une maison individuelle ou un bâtiment similaire, comprenant au plus trois locaux d’habitation;

b. Une partie d’un bâtiment qui constitue une maison jumelée ou en rangée, un logement en copropriété ou un local semblable; ou

c. Un immeuble ou un bien réel visé par règlement.

L’article 6 de la Loi dispose que l’achat par un non-Canadien de tout immeuble résidentiel visé par la Loi constitue une infraction. Toute personne ou entité qui conseille, incite, aide ou encourage ou tente de conseiller, d’inciter, d’aider ou d’encourager un non-Canadien à acheter, directement ou indirectement, un immeuble résidentiel, tout en sachant que la Loi l’interdit, constitue également une infraction. Toutes ces personnes sont passibles, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’une amende maximale de 10 000 $.

Le Règlement et son champ d’application potentiel dans le contexte des transactions commerciales

Le Règlement a été publié le 21 décembre 2022, soit dix jours avant son entrée en vigueur et celle de la Loi. Trois parties du Règlement étendent considérablement l’application potentielle de la Loi aux transactions commerciales.

Tout d’abord, le Règlement définit la notion de « contrôle » comme incluant « la propriété directe ou indirecte d’actions ou de titres de participation qui représentent 3 % ou plus de la valeur des capitaux qui lui sont propres ou lui conférant 3 % ou plus des droits de vote ».

Nous ignorons cependant si cela signifie que chaque propriétaire non-Canadien individuellement doit contrôler plus de 3 % des capitaux propres ou des droits de vote ou si un ensemble de propriétaire étranger détenant collectivement 3 % des capitaux propres ou des droits de vote est suffisant pour que l’entité se qualifie comme étant contrôlée par un non-Canadien.

Dans les deux cas, de nombreuses entités du secteur de l’immobilier commercial rempliraient probablement ce critère, bien que n’étant pas intuitivement considérées comme des entités non-Canadiennes.

Deuxièmement, le Règlement prévoit qu’un « achat » comprend « l’acquisition, avec ou sans conditions, d’un intérêt légal ou en equity, ou d’un droit réel dans un immeuble résidentiel ». Cette large définition s’applique à presque toutes les acquisitions directes ou indirectes, notamment l’acquisition d’actions, de participations dans des sociétés en commandite ou dans d’autres entités possédant des immeubles résidentiels.

Certaines exceptions sont prévues, mais il est peu probable qu’elles soient applicables dans la plupart des contextes commerciaux.

Troisièmement, le Règlement prévoit qu’un immeuble résidentiel inclut tout fonds « zoné pour un usage résidentiel ou mixte, qui ne contient pas de logement habitable et qui est situé dans une agglomération de recensement ou dans une région métropolitaine de recensement ». Cela signifie que tout terrain vacant dont le zonage est à usage mixte dans n’importe quel grand centre du Canada est considéré comme un immeuble résidentiel et ne peut pas être acquis par un non-Canadien, directement ou indirectement.

En outre, l’exigence selon laquelle les terrains ne doivent pas contenir de logement habitable, par opposition par exemple à ce que les terrains soient vacants, peut faire en sorte que de nombreux immeubles commerciaux (p. ex. des centres commerciaux) dont le zonage prévoit un usage mixte soient considérés comme des immeubles résidentiels qui ne peuvent pas être acquis par un non-Canadien.

Bien que l’expression « logement habitable » ne soit ni définie dans la Loi ni dans le Règlement, la notion de « local d’habitation » est définie aux termes de la Loi comme une habitation dotée d’une cuisine privée, d’une salle de bain privée et d’une pièce d’habitation privée. La grande majorité des immeubles commerciaux ne contiennent pas de « local d’habitation » mais semblent être inclus dans la définition d’immeuble résidentiel.

Cette définition d’immeuble résidentiel aura également des répercussions importantes pour les parties qui ont l’intention de réaliser des regroupements de terrains en prévision d’un projet d’aménagement et pourrait rendre ainsi certains regroupements impossibles à réaliser.

Cependant, cette définition n’englobe pas les terrains situés à l’extérieur d’une agglomération de recensement ou d’une région métropolitaine de recensement, ce qui signifie que certaines propriétés récréatives et certains terrains zonés pour un usage résidentiel ou mixte, qui se trouvent à l’extérieur de ces zones, ne seront pas considérés comme des immeubles résidentiels et ne seront donc pas assujettis aux interdictions prévues par la Loi.

L’expression « intérêt légal ou en equity ou d’un droit réel »

L’élargissement de la notion d’achat et l’inclusion de terrains à zonage mixte dans la définition d’immeuble résidentiel étendent considérablement l’interdiction prévue par la Loi, particulièrement par la large portée de l’expression « intérêt légal ou en equity ou d’un droit réel ».

Par exemple, un non-Canadien n’aurait pas le droit :

a. D’acquérir une société qui possède un immeuble vacant (à usage résidentiel ou mixte) à développer dans n’importe quelle grande agglomération du Canada;

b. De conclure un bail commercial ou de se faire consentir une servitude à l’égard d’un terrain à usage mixte;

c. D’obtenir une hypothèque en garantie d’un prêt ou d’autre obligation sur un terrain vacant à usage mixte ou sur un autre immeuble résidentiel, bien qu’il conserve le droit d'exercer ces sûretés pour les hypothèques qu’ils possédaient avant l’entrée en vigueur de la Loi; et

d. D'acheter des « lots de copropriété » commerciaux dans des propriétés zonées pour un usage mixte (ce que l'on trouve généralement en Colombie-Britannique).

Intérêts détenus avant le 1er janvier 2023

Il n'y a pas d'exception pour les propriétés ou les intérêts ou droits réels dans des propriétés qui étaient déjà détenues par un non-Canadien avant le 1er janvier 2023.

Par exemple, une interprétation stricte de la définition d'achat ferait en sorte qu'un non-Canadien ne pourrait pas se conformer aux modalités d'une convention de copropriété ou de société en commandite lorsque ses copropriétaires ou associés exercent leurs droits de liquidité ou offrent de vendre une participation dans telle société ou un intérêt dans les propriétés visées au copropriétaire non-Canadien.

Un autre exemple est celui d'un non-Canadien qui possédait un immeuble résidentiel avant le 1er janvier 2023 et qui a l'intention d'effectuer un roulement en vertu de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada.

Un copropriétaire ou un associé non-Canadien d'une société de personnes qui possède un immeuble résidentiel pourrait également être incapable d'augmenter sa participation au capital d'une seule propriété ou d'un portefeuille de propriétés.

Les accords internationaux

La législation ne prévoit aucune exception pour les investisseurs des États-Unis, de l’Union européenne, du Royaume-Uni ou pour tout autre partenaire commercial et d’investissement majeur du Canada, ce qui laisse présager la possibilité de représailles contre les Canadiens qui envisagent d’investir dans l’immobilier résidentiel à l’étranger.

Plus particulièrement, les accords de commerce et d’investissement du Canada les plus importants, dont l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne (UE), l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et l’Accord de continuité commerciale Canada–Royaume-Uni, ainsi que de nombreux traités bilatéraux d’investissement du Canada, contiennent de vastes obligations de protection des investissements.

Ces obligations de protection comprennent notamment un traitement national qui interdit généralement toute discrimination à l’égard des investisseurs en fonction de leur nationalité, c’est-à-dire que le Canada doit accorder aux investisseurs de ses partenaires signataires un traitement non moins favorable que celui qu’il accorde, dans des circonstances analogues, à ses propres investisseurs en ce qui concerne l’établissement, l’acquisition, l’expansion et la vente d’investissements, y compris ceux qui portent sur des biens immobiliers.

Outre les mécanismes de règlement des différends de gouvernement à gouvernement, bon nombre de ces traités contiennent également des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États qui permettent aux investisseurs étrangers de poursuivre le gouvernement canadien pour des dommages découlant du non-respect par ce dernier de ses obligations en matière d’investissement.

La législation peut soulever des questions sur le respect par le Canada de ces accords internationaux en matière de commerce et d’investissement.

Les particularités au Québec

(i) Les promesses d’achat

Le 16 septembre dernier, la Chambre des notaires du Québec a émis un mémoire adressé à la Société canadienne d’hypothèques et de logement suggérant l’exclusion dans le Règlement d’une acquisition découlant d’un avant-contrat signé avant le 1er janvier 2023 compte tenu des difficultés d’interprétation.

Cependant, en date du 31 janvier 2023, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement confirmant la validité d’une promesse d’achat signée avant l’entrée en vigueur de la Loi, bien que l’acte de vente n’ait pas encore été signé en date du 1er janvier 2023. La Cour précise par contre que la description des immeubles aux termes des promesses d’achat ne doit pas avoir été modifiée depuis le 1er janvier 2023. Ce jugement n’a pas été porté en appel en date du 16 février 2023 et ce délai expirera le 2 mars 2023.

(ii) L’étendue du champ d’application en droit civil

Les difficultés et ambiguïtés d’interprétation de la Loi et du Règlement eu égard au droit civil et de la common law quant à l’expression « intérêt légal ou en equity ou d’un droit réel » contribuent aussi à l’élargissement du champ d’application de la Loi. Le droit réel, un concept de droit civil, décrit un lien direct existant entre une personne et un objet.

Par exemple, l’Article 1119 du Code civil du Québec énumère plusieurs démembrements du droit de propriété qui constituent des droits réels:

a. Usufruit;
b. Usage;
c. Servitude; et
d. Emphytéose.

De plus, le courant majoritaire dans la jurisprudence québécoise considère l’hypothèque comme un droit réel accessoire, donc il se qualifie aussi dans cette prohibition. Dans sa formulation actuelle, tous ces droits sont donc couverts par la Loi.

Parallèlement, notons qu’en droit civil québécois, un bail, y compris un bail commercial, est un droit personnel ne créant pas de droit réel dans un immeuble résidentiel. De plus, le Règlement prévoit qu’un non-Canadien, à titre de locataire, pourra louer un local d’habitation pour l’habiter lui-même.

Commentaires et conclusion

L’élargissement important du champ d'application de la Loi à des types de transactions commerciales qui vont bien au-delà du logement résidentiel et du marché du logement au Canada introduit une incertitude supplémentaire quant à l'application de la Loi et du Règlement et à la capacité des acteurs commerciaux de conclure des transactions sur des propriétés qui ne seraient pas typiquement considérées comme « résidentielles ».

Le Règlement semble interdire de nombreuses transactions qui n’auraient que peu de lien avec l’achat et la vente d’habitations résidentielles au Canada. Bien qu’il existe une exception pour les sociétés cotées en bourse, celle-ci ne s’appliquerait pas aux sociétés fermées, aux fiducies de fonds communs de placement ouverts ou fermés, aux sociétés en commandite, aux coentreprises et aux autres entités qui pourraient être en partie détenues par des intérêts étrangers minoritaires. Des demandes d’assouplissement et même d’autres contestations judiciaires de la Loi sont probablement à prévoir.

Force est de constater que la Loi et le Règlement pourraient avoir comme effet de ralentir le développement immobilier au Canada en bloquant l’apport d’investissement étranger.

Compte tenu de l’incertitude importante au sujet de l’application de la Loi et du Règlement, il est fortement recommandé à toute personne potentiellement concernée par ces interdictions de consulter un conseiller juridique.

Cet article a été publié à l’origine sur le site du cabinet McCarthy Tétrault LLP.

À propos des auteurs

Annie Gagnon-Larocque est associée au sein du cabinet McCarthy Tétrault LLP à Montréal. Elle fait partie du groupe droit immobilier et planification.

Elle représente et conseille des clients relativement à diverses transactions, notamment l’acquisition d’immeubles, le financement immobilier, l’aménagement immobilier, la location de locaux commerciaux et les coentreprises.

D. James Papadimitriou est associé principal du cabinet McCarthy Tétrault LLP au bureau de Montréal. Sa pratique est axée sur le droit immobilier et les services financiers.

Il fournit des conseils à ses clients en matière d’acquisitions d’immeubles, d’aménagements, de coentreprises, d’opérations de crédit commercial, de financements immobiliers, de financements de projets et d’opérations de crédit-bail commercial.

Joannie Jacques est notaire et sociétaire au sein du groupe de droit immobilier et planification du cabinet McCarthy Tétrault LLP au bureau de Montréal. Sa pratique se concentre sur divers volets du droit immobilier commercial et du droit des affaires.

Elle a notamment piloté et pris part à des transactions immobilières, des financements commerciaux mobiliers et immobiliers et a participé à la mise en place de servitudes et de projets de développement immobilier.

Xin Yue est un finissant du programme bilingue de la Faculté de droit de l’Université McGill et a obtenu deux diplômes professionnels : le baccalauréat en droit civil (BCL) et le Juris Doctor (JD).

Durant son parcours académique, Xin Yue a agi en tant que bénévole à la Clinique d’information juridique de McGill et à la Clinique d’information juridique de l’Union des étudiant-e-s de Concordia.
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