Claque judiciaire pour un plaignant contre le Conseil de discipline

Élisabeth Fleury
2025-09-09 15:00:10

Le Tribunal des professions a rejeté la demande de permission d’appel d’un plaignant, Michelin Chabot. L’entrepreneur cherchait à faire renverser la décision interlocutoire du Conseil de discipline du Barreau, qui a refusé de récuser deux de ses membres.
La décision du juge Érick Vanchestein a été rendue le mois dernier.
L’appelant, Michelin Chabot, se représentait seul, alors que l’intimé, Me Pierre Lessard, était défendu par Me Guy Ste-Marie, de Gutkin Ste-Marie.
Me Sarah Thibodeau agissait pour le secrétaire du Conseil de discipline du Barreau (la mise en cause) et Me Guillaume Laberge, pour Construction DJL (l’intervenante). Le plaignant cherchait à faire appel du refus du Conseil de récuser deux de ses membres : un membre dont la conjointe est avocate dans le même cabinet que l'avocat de la partie adverse, et la présidente du Conseil elle-même.
Le contexte de la plainte

En 2018, M. Chabot, qui dirige Pavage Chabot inc., dépose une plainte contre Me Pierre Lessard, qui représente la société Construction DJL inc. Cette plainte est liée à un litige civil opposant les deux entreprises. Les procédures disciplinaires sont complexes et s'étendent sur plusieurs années, notamment en raison d'une suspension ordonnée par la Cour supérieure.
En 2021, M. Chabot dépose une demande supplémentaire de radiation provisoire immédiate de l'avocat visé. Les procédures reprennent en 2023. C'est à ce moment que Construction DJL inc. intervient dans le dossier disciplinaire pour protéger le secret professionnel et le privilège relatif à un litige.
Les demandes de récusation au cœur de la décision
Le 8 novembre 2023, le Conseil de discipline procède à une audience. Un de ses membres, Me Benoit Turcotte, révèle que sa conjointe travaille au cabinet Lavery, qui représente l'intervenante, Construction DJL inc. La présidente du Conseil informe M. Chabot, qui n'est pas représenté par avocat, de son droit de demander une récusation. M. Chabot déclare alors qu'il fait confiance à Me Turcotte et refuse de demander sa récusation.
Cependant, le 23 novembre 2023, M. Chabot change d'avis et envoie un courriel pour demander la récusation de Me Turcotte. Après une série d'échanges et de revirements, M. Chabot finit par retirer sa demande formelle, estimant que la présidente aurait dû agir d'office.
Les procédures avancent et le 28 mars 2025, M. Chabot présente verbalement ses demandes de récusation, visant cette fois les deux membres du Conseil, soit Me Turcotte en raison du conflit d'intérêts présumé lié à la profession de sa conjointe, et la présidente pour avoir toléré la présence d'un membre potentiellement partial et avoir tardé à traiter sa demande de radiation provisoire.

La position de l’appelant
L'appelant soutient que le Conseil a commis plusieurs erreurs, notamment en n'agissant pas d'office pour récuser Me Turcotte. Il met en avant le fait qu'il est autiste et qu'il n'a pas été suffisamment assisté en tant que plaignant non représenté par avocat. Il estime que le délai pour traiter sa demande de radiation provisoire démontre le manque d'impartialité de la présidente.
Les motifs de la décision
Le juge Érick Vanchestein a statué que M. Chabot n'a pas respecté les critères pour obtenir la permission d'en appeler d'une décision interlocutoire.
Selon lui, la demande de M. Chabot ne satisfaisait pas les critères prévus par le Code des professions et la jurisprudence, notamment celui de prouver un préjudice irrémédiable ou que l'appel est dans le meilleur intérêt de la justice.
Sur la récusation de Me Turcotte, le Tribunal des professions a confirmé que le plaignant avait clairement renoncé à son droit de demander la récusation à deux reprises. De plus, il n'a pas réussi à prouver une crainte raisonnable de partialité.
Sur la récusation de la présidente, le juge Vanchestein a estimé que les arguments de M. Chabot étaient sans fondement. La présidente ne peut pas agir seule pour récuser un membre d'un tribunal collégial, a-t-il rappelé.
Le Tribunal des professions s’est également dit d’avis que les délais étaient justifiés par la complexité du dossier et les suspensions de procédures ordonnées par la Cour supérieure.
Enfin, sur la position de l'appelant, le tribunal a noté que le plaignant avait eu amplement l'occasion de présenter ses demandes et a fait le choix de ne pas le faire formellement plus tôt, en s'entêtant sur l'idée que ce devait être à la présidente d'agir. Selon le juge Vanchestein, les difficultés alléguées par M. Chabot ne sont pas la cause des délais.
La demande de permission d'appel a donc été rejetée, et M. Chabot a été condamné à payer les déboursés.
Pas une première pour Michelin Chabot
L’appelant s’est évidemment dit « extrêmement déçu » de la décision du Tribunal des professions. « Malheureusement, il n’y a pas d’appel possible à cette décision », a commenté M. Chabot au cours d’un bref entretien avec Droit-inc. Selon lui, le tribunal s’est « littéralement trompé ».
« J’avais identifié plusieurs erreurs dans la décision de première instance [...]. La cerise sur le sundae, c’est qu’il me condamne aux déboursés », a laissé tomber l’appelant avec dépit.
Ce n’est pas la première fois que Michelin Chabot dépose une plainte privée en discipline. Le Tribunal des professions a déjà été saisi d’un appel interjeté par lui à l’encontre de la décision du Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec, qui avait acquitté l’ingénieur Guillaume Fortier des deux chefs de la plainte qui pesait contre lui et qui avait déclaré ladite plainte abusive, frivole et manifestement mal fondée.