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Humeur et Chocolat

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Dominique Jaar

2010-08-18 13:15:00

Dans sa chronique, Dominique Jaar a choisi aujourd'hui de disséquer une récente décision de la Cour supérieure en matière de marque de commerce. Avis aux amateurs !
La cour supérieure vient de rendre jugement dans une affaire en matière de marque de commerce,Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe conseil inc., qui risque d’en laisser plus d’un avec un goût amer en bouche.

Ce dossier rappelle le récent arrêt du 23 mars 2010 de la Grande chambre de la Cour de justice de l’Union Européenne dans Google France / LVM, Viaticum, Luteciel, CNRRH et autres où on concluait entre autres qu’une publicité contreviendra au droit du propriétaire d'une marque « si elle ne permet pas à l'internaute moyen, ou ne lui permet qu'avec difficultés, de savoir avec certitude si le bien ou service proposé par la publicité provient du propriétaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à lui. »

Pour en revenir à la décision qui nous intéresse, voici le sommaire des faits que nous offre le juge :

«(1) La demanderesse, Chocolat Lamontagne inc. (Lamontagne), fait affaire dans le domaine de la fabrication et la vente du chocolat, qu'elle offre à des consommateurs qui veulent généralement de procurer du financement.

(2) Elle a fait enregistrer plusieurs marques de commerce qu'elle utilise pour l'exploitation de son entreprise.

(3) Elle a développé un site Internet pour la promotion de ses produits et services.

(4) Elle reproche à la défenderesse, Humeur Groupe Conseil inc. (Humeur), une entreprise faisant affaire dans le même domaine et une compétitrice commerciale directe, d'avoir utilisé sa marque de commerce auprès du moteur de recherche de Google pour détourner sa clientèle vers son site Internet, ce qui constitue, selon elle, une forme de concurrence déloyale et illégale.»

Après une revue de la preuve et une analyse succincte du droit applicable, la cour rejette la procédure.

Or, bien que cette conclusion ait pu être défendue, l’exposé des motifs du jugement nous laisse perplexe pour les raisons suivantes.

Par ailleurs, avant de nous lancer dans l’analyse, permettez-moi de vous offrir quelques extraits cueillis ici et là, couplés de commentaires qui n’engagent que le soussigné:

«(38) À la suite de sa publicité avec Google, il a établi que son entreprise [la défenderesse] a fait des ventes de 5 988,02 $ qui sont directement reliées à ce moteur de recherche.

(39) Son système informatique lui a permis d'avoir cette information précise (D 4).»

Sans avoir le privilège de me pencher sur la pièce D-4, il semble que celui-ci soit basé sur des résultats obtenus de solutions d’analyse comme Google Analytics.

Or, si tel est le cas, cette analyse aurait dû permettre de constater que, au-delà des ventes effectuées, un nombre précis de visites sur le site d’Humeur Conseil inc.étaient liées à l’usage de la marque de commerce de Chocolat Lamontagne.

Ainsi, selon nous, le nombre de transactions en ligne n’a aucune pertinence.

Il aurait été préférable de se pencher sur toutes les transactions puisque, comme l’une des témoins le mentionnait, après avoir pris connaissance de l’existence d’Humeur Conseil inc. par l’entremise du web, elle a opté pour une communication par téléphone :

«(45) Selon ces informations, madame Langevin n'a pas rempli de formulaire pour avoir des informations de la défenderesse. Elle a contacté celle-ci par téléphone.»

Aussi, il appert que la défenderesse elle-même a témoigné à cet effet :

«(79) Les ventes faites par la défenderesse qui passent par son site Internet sont très marginales. Les ventes ont plutôt lieu par contacts directs entre les représentants de la défenderesse et les utilisateurs de ses produits.

(87) Il réaffirme qu'après vérification faite à partir de son système informatique, il est impossible pour la défenderesse qu'une vente ait été faite en provenance d'Internet sans qu'elle ne puisse l'identifier comme elle l'a fait pour les six cas dont il a témoigné.»

Pour cette raison, je ne peux me rendre à l’argument selon lequel :

«(41) Si toutes ces ventes découlaient de l'usage des mots-clés «Chocolat Lamontagne», il s'agirait là d'un montant maximal de vente dont pourrait se plaindre la demanderesse.»

Consolation s’il en est une (…), la cour note que :

«(82) La défenderesse n'est pas la seule à user de mots-clés dans Google; Patchi Le Chocolat l'a fait (D 1 A) de même que Chocolat Perfection (D 1 B).»

Elle enchaine avec une citation que mon ami Vincent Gautrais s’est empressé de porter à mon attention et qui, sans l’ombre d’un doute, sera reprise dans mes cours en droit du commerce et de l’internet :

«(83) Internet est, selon lui, un nouveau produit qui permet de nouvelles façons de faire. La défenderesse cherchait un type de publicité comparative que Google offrait par son système de AdWords.»

Pour terminer sur une note progressiste, que j’appuie partiellement, la cour propose que:

«(96) La notion de concurrence doit tenir compte de l'existence de nouvelles façons d'intervenir auprès des consommateurs. La méthode de recherche proposée par Google ne comporte rien de répréhensible au regard du droit civil québécois.»

«Partiellement» puisqu’on enchaine avec les remarques suivantes:

«(97) Selon le système utilisé par les consommateurs, tel que démontré par la preuve, la réponse au consommateur à sa demande de recherche fait qu'il lui appartient d'utiliser ou non l'information obtenue dans les résultats par suite d'une demande de recherche.

(98) En l'espèce, le site de la défenderesse n'était accessible qu'à la demande du consommateur et résultait de sa décision de cliquer sur le lien offert.

(99) La défenderesse n'a d'aucune façon acquis l'usage exclusif des mots-clés qu'elle a achetés de Google, qui sont disponibles à quiconque.»

Comme nous le verrons plus loin, cette cause aurait pu être abordée du point de vue de la notion de dilution plutôt que, comme en l’espèce, étudiée à l’aune de la publicité comparative. Dans cet optique, le fait que, une fois rendu sur la page d’Humeur Conseil inc., le consommateur puisse choisir ou non d’acheter n’a aucune pertinence.

De plus, à notre connaissance, le caractère exclusif ou non de l’usage n’ajoute rien au syllogisme.

En fait, si c’était le cas, les marques ne pourraient à toute fin pratique jamais être utilisées de façon illégalepuisque quiconque pourrait faire de même…

Par ailleurs, je note avec intérêt cet argument novateur dans mon cahier de citations pour une future cause.

Heureusement pour Humeur Conseil inc, la décision comporte ce que j’appelle «le paragraphe qui tue», qui rend le succès d’un appel éventuel d’autant plus difficile :

«(132) Aucune preuve n'a été faite que l'un quelconque de ces clients provenait de Lamontagne. Si tant est qu'ils auraient tous été des clients de celle-ci, elle aurait alors perdu un chiffre d'affaires net, selon le comptable Dontigny, d'environ 14,58 %, soit environ 890 $.»

Mais par-dessus tout, voici la ratio decidendi (je m’interroge encore à savoir si cette locution latine est réservée aux arrêts des plus hautes cours – Me?)la plus percutante de cette affaire, que les praticiens s’empresseront de livrer à leurs clients:

«(136) Finalement, la demande d'interdire à Humeur d'utiliser le nom de la demanderesse ainsi que sa marque de commerce, ou de se présenter comme titulaire des droits sur ces noms ou noms similaires, doit aussi, faute de preuve, être rejetée.»

Je suis évidemment attristé que les critères d’émission d’une injonction n’aient pas été étudiés puisqu’ils nous auraient sans doute fourni une meilleure compréhension des faits pertinents.

Pour entrer dans le vif du sujet (oui, je sais : je me suis laissé emporter!), il nous semble que la théorie de la cause basée sur la publicité comparative n’était pas la meilleure avenue.

En effet, bien qu’une des publicités, «Alternative à Lamontagne», puisse donner une impression de comparaison, une analyse plus poussée ne permet pas de maintenir cette interprétation.

Quant à l’autre annonce, elle attire simplement l’internaute sur le site d’Humeur Conseil inc., diluant ainsi, selon nous et avec égard, la marque protégée de Chocolat Lamontagne.

En conclusion, je me permets de relancer le sempiternel débat du praticien qui s’interroge à savoir s’il doit favoriser la cour supérieure ou la cour fédérale en matière de marque.

Malheureusement, il semble que la réponse se trouve toujours a posteriori dans le jugement.


P.S. Merci à Patrick Gingras de m’avoir avisé de l’existence de cette décision, à l’épreuve de mes fils RSS semble-t-il…
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4 commentaires
  1. Me
    Me
    C'est un peu normal. Je doute que Paul Corriveau comprenne quelque chose de Google. Pour ce qui est des conclusions, écrire :Rejette la procédure... ouf.

  2. Cynik
    Cynik
    "Google" ? Non seulement il y a une faute d'orthographe, mais en plus, qu'est-ce que des lunettes utilitaires viennent faire là-dedans ?

    Ah là là! C'est encore une affaire de jeunes avec leur "Internet" qui s'amusent devant leurs boîtes à images. Ça ne remplacera jamais les bons vieux contrats écrits avec des machines à écrire! Et si vous voulez communiquer avec quelque chose de fiable, utilisez donc le télégraphe!

    Ah là là, tout était tellement plus sensé du temps du Dominion du Canada...




    ^^
    -Cyniquement vôtre

  3. King
    King
    Très bon jugement.

    Chocolat Lamontagne aurait du poursuivre Google qui est le principal responsable dans cette histoire en mettant à la disposition des utilisateurs/clients les mots/marques qui sont protégés dans les pays occidentaux.
    À lire la décision impliquant Louis Vuitton c. Google , en France ou les faits sont presque similaires.

    Je ne vois pas de commercialité trompeuse dans cette histoire ni de l'utilisation illégale des mots dans le but d'avoir un plus grand nombre de visiteurs sur le site web d'Humeur.

  4. RanCoeur
    RanCoeur
    il y a 14 ans
    RanKING
    > Quant à l’autre annonce, elle attire simplement l’internaute sur le site d’Humeur Conseil inc., diluant ainsi, selon nous et avec égard, la marque protégée de Chocolat Lamontagne.

    L'article dépasse le site web d'Humeur Conseil dans Google!

    Voir: http://www.google.ca/#hl=en&q=humeur+conseil+inc.&aq=f&aqi=&aql=&oq=&gs_rfai=&fp=c748481739f38ad

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