La torture, le viol et l’humiliation dans un aréna près de chez vous
Radio -canada
2023-02-13 13:15:00
Si vous vous apprêtez à lire cette chronique, il est important que vous sachiez qu’elle sera dérangeante. Les faits qui y sont allégués sont profondément troublants, choquants et scandalisants. Il n’est pas question ici de la violation de quelconques règles sportives. On parle plutôt de la frontière entre la civilisation et la barbarie.
Les quelques proches et collègues à qui j’ai fait lire des passages de ce jugement ont tous eu la même réaction d’horreur et de répugnance. « Je ne savais pas que c’était aussi grave », m’a plusieurs fois répété un collègue, visiblement désarçonné par ce qu’il venait d’apprendre.
Quand on y pense, ces réactions expliquent peut-être pourquoi les Canadiens éprouvent autant de difficulté à comprendre les racines de toxicité de la culture du hockey. Il est extrêmement difficile d’imaginer un tel niveau de dépravation.
Il y a une dizaine de jours, donc, le juge Paul Perrell a rendu une décision très attendue dans le cadre d’une demande de recours collectif déposée en 2020 par deux anciens joueurs des ligues juniors de l’Ontario et de l’Ouest : Daniel Carcillo et Garrett Taylor.
Un troisième plaignant, Stephen Quirk, qui est un ancien joueur de la LHJMQ, s’est ensuite joint à Carcillo et à Taylor dans cette procédure. Les trois plaignants alléguaient que les trois ligues de hockey junior majeur canadiennes, leurs équipes et leurs dirigeants avaient perpétué un environnement toxique et toléraient que leurs plus jeunes joueurs (les recrues) soient notamment victimes de discrimination, de conduite homophobe, de violences verbale, physique et sexuelle.
À cette époque, les troublantes allégations des plaignants avaient quelque peu fait la manchette et soulevé l’indignation.
Après le lancement des procédures, 16 autres anciens joueurs issus du hockey junior majeur ont produit des documents assermentés pour témoigner des sévices allégués qu’ils avaient subis. Les échanges étant courants dans le hockey junior, les plaignants et les signataires des documents, si l’on se fie aux écrits du juge, avaient donc porté les couleurs de 38 des 60 équipes du hockey junior majeur canadien.
Les différents parcours des joueurs ayant produit des documents assermentés semblaient par ailleurs indiquer que les mauvais traitements infligés aux recrues s’étaient perpétués à travers les années. Le plus vieux avait commencé son stage junior en 1979 et l’avait terminé en 1982. À l’autre bout du spectre, le plus jeune des déclarants avait joué dans la Ligue junior de l’Ontario entre 2009 et 2014.
Cela dit, la demande de recours collectif de Carcillo et compagnie couvrait une période de 50 ans et les quelque 15 000 joueurs ayant porté les couleurs d’une équipe junior majeur durant cette période. Et l’ampleur de l’affaire semble avoir apeuré le juge Perrell.
Ce dernier a donc refusé la demande de recours collectif en arguant que les trois ligues canadiennes et leurs 60 équipes, réunies sous le chapeau de la Ligue canadienne de hockey, sont des entités juridiques distinctes et qu’il lui apparaît déraisonnable, par exemple, de tenir des équipes du Québec ou de l’Ouest responsables des mauvais traitements subis par un joueur d’une équipe de la Ligue de l’Ontario. Et réciproquement.
Le juge Perrell a toutefois insisté sur le fait qu’il croit la preuve et les témoignages qui lui ont été soumis. Pour que les victimes obtiennent indemnisation, le juge a donc proposé une autre procédure. J’y reviendrai plus tard.
En attendant, concentrons-nous sur les documents assermentés et sur les contre-interrogatoires auxquels le juge Perrell a eu accès. Je vous le répète. C’est extrêmement dérangeant. Il est impensable qu’une société normale puisse tolérer ou avoir toléré de tels abus. Mais pour qu’une réaction survienne, encore faut-il que les faits allégués soient connus.
(L’identité des auteurs des témoignages a été protégée par le tribunal)
Extrait du témoignage du joueur AA : « Je me souviens que les vétérans me narguaient et me disaient que j’allais me faire initier. Je me souviens aussi que le directeur général me disait de ne pas réagir en mauviette quand mon initiation a dégénéré. (…) Les vétérans m’ont sauté dessus dans le vestiaire. Ils m’ont lancé sur une table, étendu sur le dos. Ils ont enrubanné des bâtons de hockey entre mes jambes et les bras. Ils m’ont bandé les yeux. Je me sentais impuissant. Je les ai sentis uriner sur moi et me lancer des objets. Ils ont enroulé une corde autour de mon pénis. Ils ont lancé la corde au-dessus d’une barre située au-dessus de moi et ils ont attaché un sac à rondelles à l’autre extrémité de la corde. Ils ont lancé des rondelles dans le sac jusqu’à ce qu’il devienne de plus en plus lourd. C’était extrêmement douloureux. Ils ont enrubanné des rasoirs sur des bâtons de hockey et ils m’ont rasé de la tête aux pieds. Ils m’ont couvert de vaseline et de poudre pour bébé. Ils ont inséré un bâton de hockey dans mon anus. Ils ont recouvert mes parties génitales de crème analgésique chauffante. Je me souviens que mon scrotum était mauve. C’était atroce.»
Extrait du témoignage du joueur BB : « Les joueurs les plus âgés m’ont forcé à faire des pompes (push-ups) alors que j’étais nu. Ils m’ont fait tremper mon pénis dans une crème analgésique chauffante pendant que je faisais des pompes et ils m’ont fait continuer suffisamment longtemps pour que mes parties génitales soient recouvertes de crème et que je ressente des brûlures. (…) En une autre occasion, on m’a déshabillé et attaché à une table. On m’a ensuite fouetté avec ma propre ceinture pendant que tout le monde regardait. L’entraîneur est entré dans la pièce et il m’a aussi fouetté. (…) Je me souviens avoir été obligé de m’asseoir avec d’autres recrues sur le plancher des douches. Nous étions nus, l’un derrière l’autre, les parties génitales appuyées sur le postérieur d’un coéquipier. Les vétérans nous faisaient chanter : "Row, row your boat." Les joueurs urinaient sur nous et nous lançaient des objets. L’entraîneur est entré, il a vu ce qui se passait et il est ressorti en riant. (…) Je me souviens aussi d'avoir été forcé d’attraper avec ma bouche des pommes qui flottaient dans l’urine de coéquipiers. Nous devions tous le faire. J’ai souffert d’abus et j’en ai été témoin dans toutes les équipes avec lesquelles j’ai joué.»
Extrait du témoignage du joueur CC : « Je me souviens d’avoir vécu l’expérience de la "boîte chaude" dans l’autobus de l’équipe. J’ai souffert d’une extrême claustrophobie. Je me rappelle qu’un vétéran soit allé demander au chauffeur d’élever la température du chauffage. Huit d’entre nous ont été déshabillés, sauf les sous-vêtements, et forcés de nous entasser dans la toilette du bus. Ils nous ont aspergés de Pepsi pour que ce soit collant. J’ai souffert d’une crise de panique totale quand nous étions là-dedans. Nous sommes restés enfermés durant plusieurs heures. D’autres gars (enfermés) semblaient aussi perdre le contrôle. C'était l’une des pires expériences de ma vie. Le personnel de l’équipe a vu ce qui se passait. Je souffre encore de claustrophobie à ce jour. Je suis incapable de faire de longs trajets en avion et je dois sortir des ascenseurs lorsque plusieurs gens s’y entassent. (…) Lors du party des recrues, on m’a forcé à boire de l’alcool jusqu’à ce que je sois complètement saoul. On m’a forcé à manger des piments extrêmement forts jusqu’à ce que je ressente une douleur atroce. Je les suppliais de me permettre d’arrêter, mais ils refusaient. Le personnel de l’équipe était au courant pour cette soirée. On se faisait insulter et engueuler. C’était complètement humiliant. Ces expériences m’ont marqué et j’y pense encore à l’âge adulte.»
Extraits du témoignage du joueur FF : « Raconter mon histoire est extrêmement difficile, mais je le fais parce que je ne veux pas que d’autres enfants aient à vivre ce que j’ai traversé. Chacun des abus suivants m’ont été infligés à plusieurs reprises par d’autres joueurs : a) un bâton de hockey recouvert de crème analgésique chauffante a été inséré de force dans mon anus; b) mes parties génitales ont été recouvertes de crème analgésique chauffante; c) on a utilisé une tige pour insérer de la crème analgésique chauffante dans mon urètre; d) les plus jeunes joueurs devaient monter sur une scène et offrir un spectacle aux vétérans. Les vétérans déféquaient sur la scène et forçaient des recrues à se lancer leurs excréments; e) les vétérans ont teint les cheveux d’un joueur américain en rouge, bleu et blanc. Ils l’ont ensuite attaché, nu, à un poteau de téléphone; f) les recrues étaient forcées de regarder un magazine pornographique. Tout dépendant du "jeu", ceux qui avaient ou n’avaient pas d’érection étaient sévèrement malmenés tel que décrit plus haut; g) les recrues étaient immobilisées ou attachées, et on leur rasait les cheveux, les sourcils et les parties génitales. (…) La saison suivante, j’ai été échangé dans une autre équipe et j’ai été agressé sexuellement une quarantaine de fois, approximativement, en l’espace de neuf mois. (…) Les mêmes types d’abus étaient perpétrés dans ma nouvelle équipe.»
La plupart des documents assermentés reproduits dans le jugement ont ceci en commun : on y spécifie que les sévices ont été commis au vu et au su des dirigeants des équipes. Et que lorsque les joueurs étaient échangés à une autre formation, ils étaient victimes des mêmes formes d’abus ou constataient que leurs coéquipiers plus jeunes étaient soumis aux mêmes formes d’abus.
Si ce n’est pas la définition même d’un problème systémique, qu’est-ce que c’est?
Aussi incroyable que cela puisse paraître, après avoir étalé plusieurs de ces ahurissants témoignages, le juge Perrell renchérit, laissant ainsi savoir aux lecteurs que l’ensemble de la preuve est encore plus révoltante.
« Cette preuve horrible et d’autres preuves que j’ai lues établissent qu’un nombre inconnu de membres qui jouaient dans la WHL, l'OHL ou la LHJMQ ont été torturés, confinés de force, rasés, dénudés, drogués, intoxiqués, physiquement et sexuellement agressés, violés, victimes de viols collectifs, forcés d’agresser physiquement ou sexuellement des coéquipiers, encouragés à agresser sexuellement, individuellement ou en groupe, des jeunes femmes invitées à des partys d’équipe; forcés de boire ou de manger de l’urine, de la salive, du sperme, des excréments ou d’autres substances abjectes; forcés de s’auto-infliger des blessures, forcés de commettre des actes de bestialité », écrit-il.
Relisez cela attentivement et dites-moi : si ce n’est pas de la torture, de quoi parle-t-on?
Et si, en tant que société, nous ne réagissons pas à ce qui est allégué dans ce jugement de la Cour supérieure de l’Ontario, à quoi réagira-t-on?
Des gens ont parfois tendance à minimiser les histoires d’abus et de maltraitance émanant du monde du hockey. Ils plaident qu’elles appartiennent au passé et que les temps ont changé.
Il faut rappeler que l’un des documents assermentés a été déposé par un joueur ayant conclu son parcours junior aussi tard qu’en 2014.
Soulignons aussi que la décision du juge Perrell s’appuie en grande partie sur un rapport produit en 2021 par Danièle Sauvageau, Sheldon Kennedy et l’ex-premier ministre du Nouveau-Brunswick Camille Thériault.
Commandé par les dirigeants de la Ligue canadienne afin de répondre au recours judiciaire intenté par Carcillo et compagnie, le rapport s’était avéré extrêmement inquiétant. Les dirigeants de la LCH avaient d’ailleurs eu comme réflexe de le camoufler lorsqu’ils l’avaient reçu.
Ce rapport révélait notamment qu’un pourcentage important de personnes associées au hockey junior considéraient que des problèmes d’intimidation, de harcèlement et de discrimination existent dans la LCH.
Les trois auteurs du rapport soulignaient que de la maltraitance qui serait jugée inacceptable à l’extérieur du hockey est imprégnée dans la hiérarchie des organisations et qu’une culture systémique existe et fait en sorte que la maltraitance est considérée comme normale.
Enfin, les auteurs estimaient qu’une culture du silence existe et fait en sorte que les mauvais traitements se perpétuent. Ils constataient aussi que les joueurs finissent par avoir l’impression que l’abus fait simplement partie du hockey.
Comme mentionné plus haut, le juge Perrell a donc rejeté la demande de recours collectif. Il propose plutôt une procédure, assez rarement utilisée par les tribunaux, afin que les victimes soient indemnisées.
Cette procédure ferait en sorte qu’au cours des prochains mois, Carcillo et compagnie devraient dénicher des victimes d’abus ayant joué dans les 60 équipes de la Ligue canadienne de hockey.
Par la suite, les hockeyeurs et anciens hockeyeurs juniors ayant été victimes d’abus ou de mauvais traitements seraient invités à contacter les avocats de Carcillo et compagnie. Leur déposition serait alors prise, et chaque cas serait entendu individuellement.
Cette décision du juge est controversée.
Un éminent juriste avec lequel je me suis entretenu estime qu’en refusant de reconnaître la nature systémique de ces horribles abus, le juge a transformé l’affaire en une multitude de plaintes individuelles. Et qu’en conséquence, puisque l’existence d’un problème systémique n’est pas reconnue, chaque plaignant devra prouver ce qui lui est arrivé.
La décision du juge est aussi déplorable, estime-t-on, en ce sens qu’elle obligera les plaignants à se nommer au lieu d’obtenir l’anonymat que garantit un recours collectif.
« Or, les membres du groupe visé par la demande de recours collectif étaient des mineurs au moment des faits et ils méritaient particulièrement de jouir de cet anonymat », fait-on valoir.
La voie choisie par le juge pourrait donc avoir pour effet de « tuer » le recours juridique en limitant considérablement le nombre de plaignants et, surtout, en minimisant les compensations financières devant être versées par les ligues et les équipes.
Au bout du compte, cette histoire soulève des enjeux encore plus importants que cette poursuite civile et le règlement financier qui en découlera.
Cette affaire est une véritable honte nationale! C’est l’un des plus sordides scandales sportifs jamais évoqués, et ce sont des athlètes mineurs qui ont été enfermés contre leur gré, torturés, humiliés, agressés sexuellement et déshumanisés.
Il est difficile de croire que la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, et ses collègues du comité permanent du Patrimoine puissent laisser passer de telles horreurs sans poser de très sérieuses questions. Même chose pour chacun des ministres des Sports des provinces.
Si, comme société, nous ne réagissons pas à ce qui a été écrit par le juge Perrell, nous ne valons pas mieux que les adultes qui ont toléré ces abus.
Anonyme
il y a un anLa meilleur joke, en lien avec cette histoire, vient de Pascale St-Onge, minisse des sports du Canada, qui a proclamé « Ça arrête maintenant » !
On dirait une réaction de surveillant d'école qui prétend ne pas savoir ce qui se passait dans les recoins de la cour de récré, ou de la zone des casiers, et qui feint un réveil brutal lorsqu'il ne peut plus détourner le regard.
Anonyme
il y a un anEt ce matin c'est l'histoire de ce prof de Trois-rivière, qui connait un nouveau développement: après avoir engrossé une élève de 16 ans (qui a eu l'enfant, seul), il s'est mis à fréquenter une autre élève de cet âge, 6 mois plus tard (avec qui il est demeuré 15 ans, et a eu 3 enfants). Je ne peux pas croire que cette histoire n'était pas de notoriété publique à Trois-Rivière.
S'il faut aujourd'hui déterrer des histoires vieilles de 25 ans afin de se scandaliser, de congédier, et de saisir la justice pénale, il va y avoir beaucoup d'avocats, et mêmes d'avocates, qui vont avoir de la difficulté à dormir.
Pirlouit
il y a un anJe suis content de n'avoir jamais joué au hockey
Si c'est vrai, le plus étrange ce serait que les adultes en autorités ferment les yeux et en rient.