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Le tribunal freine l'accès forcé aux téléphones par biométrie

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Élisabeth Fleury

Élisabeth Fleury

2025-12-11 10:15:24

La biométrie fait désormais du corps humain le « mot de passe » pour accéder aux données personnelles, créant un nouveau défi juridique dans les enquêtes criminelles.


Steve Baribeau - source : archives


L'accès aux téléphones cellulaires sécurisés par la biométrie pose un dilemme pour les enquêtes criminelles : les policiers peuvent-ils forcer un suspect à utiliser son empreinte digitale ou son visage pour déverrouiller son appareil? Cela équivaut-t-il à forcer un individu à témoigner contre lui-même? En attendant que ces questions complexes soient réglées, la Cour supérieure a rejeté la requête d’un policier…

Le juge Steve Baribeau a eu à se prononcer sur une requête en certiorari et mandamus présentée par le policier de Laval Guillaume Bonin (le requérant-dénonciateur). Ce dernier, qui en avait contre une décision rendue par la juge de paix Caroline Roy, était représenté par Me Julien Beauchamp-Laliberté, procureur du DPCP.

Le mis-en-cause, Karven Sanon, était représenté par Me Benoit Demchuck, du cabinet Corbeil Demchuk Roy.

Le contexte

Le policier Bonin mène une enquête pour menaces et harcèlement. Il demande à la juge de paix Caroline Roy l'autorisation de saisir et d'expertiser le téléphone du suspect, Karven Sanon.

Julien Beauchamp-Laliberté - source : archives

Dans le cadre d'une autorisation judiciaire de perquisition d'un appareil électronique, le dénonciateur est autorisé à utiliser des moyens technologiques pour déverrouiller et accéder au contenu de l'appareil.

La juge de paix refuse cependant d'accorder une modalité supplémentaire qui aurait permis aux policiers d'utiliser la force physique sur le mis-en-cause pour obtenir rapidement l'accès aux données, au motif qu’une telle technique mobiliserait le suspect contre lui-même.

Le 18 septembre, les policiers procèdent à la saisie du téléphone cellulaire du mis-en-cause. Celui-ci est toutefois verrouillé et, comme la plupart des appareils actuels, il est doté d’une technologie d’accès fondée sur la biométrie, en l’occurrence un système de reconnaissance faciale intégré à ses paramètres de sécurité, rapporte la Cour supérieure dans sa décision.

Invoquant une erreur manifeste de droit commise par la juge de paix, le requérant demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire au moyen d’une requête visant l’émission d’un bref de certiorari pour casser la décision. Subsidiairement, il demande un bref de mandamus.

Les conclusions recherchées visent principalement à annuler le refus de la juge de paix et à émettre la modalité d’exécution initiale autorisant l'usage de la force physique pour le déverrouillage.

Déverrouillage volontaire

Le mis-en-cause accepte, par l'entremise de son avocat, de se présenter volontairement au poste de police pour une tentative de déverrouillage biométrique. Il s’exécute le 18 novembre.

Malgré la collaboration du mis-en-cause, les policiers ne sont pas en mesure de déverrouiller l’appareil en raison du délai écoulé depuis sa saisie, les données étant alors devenues inaccessibles par cette méthode reposant sur la biométrie.

La décision du tribunal

Le tribunal a dès lors jugé que le recours était devenu purement théorique, l’objectif initial d’accès aux données étant désormais matériellement impossible à atteindre.

Malgré l'insistance du requérant à maintenir sa demande, le tribunal a refusé d'exercer sa discrétion pour statuer sur une question non concrète.

Même si le juge Baribeau avait décidé de se prononcer sur le fond, il aurait rejeté la requête. Il a rappelé que le recours choisi par le policier, le certiorari, est une procédure exceptionnelle et très limitée qui ne permet d'intervenir que si le juge de paix a commis une erreur de compétence, c'est-à-dire s'il a outrepassé son autorité légale. Le simple fait qu'un autre juge aurait pu rendre une décision différente ne constitue pas une erreur de compétence, a fait valoir le tribunal.

Le juge Baribeau a insisté sur le fait que le policier ne pouvait pas se servir de cette procédure extraordinaire comme d'une instance d'appel, simplement parce qu'il n'était pas satisfait de la décision initiale.

Il a conclu qu'il n'était pas du rôle du tribunal, dans ce dossier précis, de trancher les vastes questions constitutionnelles soulevées par la biométrie forcée, notamment l'équilibre entre la lutte contre le crime et les droits fondamentaux des citoyens.

Ces questions complexes devront être réglées dans un contexte procédural plus approprié, a tranché le juge.

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