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L’IA piège une procureure en arbitrage

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Élisabeth Fleury

Élisabeth Fleury

2025-12-04 14:15:02

La nouvelle ère de l’IA en pratique juridique exige un devoir de vérification accru pour maintenir l'intégrité et la confiance dans les tribunaux…

Frédéric Tremblay - source : LinkedIn


En plus d’annuler le congédiement d'un employé en période d'essai, un arbitre de griefs a sévèrement réprimandé la procureure patronale pour avoir soumis des références jurisprudentielles inexistantes, très probablement générées par un outil d’intelligence artificielle comme ChatGPT.

Dans une sentence arbitrale rendue le 21 novembre, Me Frédéric Tremblay qualifie ce manquement de « répréhensible » et lance un signal fort à la communauté juridique.

La procureure patronale dans cet arbitrage de griefs était Marie-Claude Piché, une conseillère en ressources humaines agréée (CRHA).

Inès Fatima Sahmou, auteure d’un mémoire de maîtrise en droit (UQAM) intitulé « La technique de la fiction juridique : d'une perspective instrumentale vers une appréhension en réseaux », représentait le syndicat.

Congédiement annulé

L'affaire opposait le Syndicat des travailleuses et travailleurs de L’Autre Maison – CSN au Centre L’Autre Maison inc. à la suite de la fin d'emploi de Khaled Sasa, un intervenant en santé mentale, durant sa période d’essai.

L'employeur invoquait l'immaturité, l'usage du cellulaire, un incident mineur et, surtout, le refus de M. Sasa de travailler régulièrement sur le quart de nuit.

L'arbitre Tremblay a jugé que le processus d'évaluation était abusif ou déraisonnable et a ordonné la réintégration de M. Sasa.

Des références jurisprudentielles inexistantes

Me Tremblay s’en est aussi et surtout pris à l'utilisation, ou la mauvaise utilisation, d'outils d'intelligence artificielle par la procureure patronale.

À la fin des plaidoiries, la procureure a transmis par courriel quatre références jurisprudentielles au soutien de ses arguments. Devant l'incapacité du syndicat à les obtenir et l'impossibilité pour l'arbitre de les retracer sur SOQUIJ, la CSN a soulevé une conclusion sans appel : ces références n’existent pas et sont « vraisemblablement le résultat d’une recherche effectuée par la partie patronale sur une plateforme d’intelligence artificielle (ChatGPT ou autre) ».

L'employeur, malgré l’opportunité qui lui a été donnée, n’a jamais répondu directement à l’allégation, ni fourni le texte des prétendues décisions.

Me Frédéric Tremblay a conclu que les références étaient fausses et générées par un outil d’intelligence artificielle.

« Un geste répréhensible »

L’arbitre n’a pas manqué de rappeler dans sa décision les récents propos du juge de la Cour supérieure Luc Morin dans l'affaire Specter Aviation Limited c. Laprade, qui avait qualifié l'usage de jurisprudence fictive de « manquement grave ».

« Même si l’arbitre de griefs est un tribunal administratif moins formel que le sont la Cour supérieure ou les autres tribunaux judiciaires, notamment parce que ses règles de preuve sont plus souples, il n’en demeure pas moins que c’est un tribunal. À l’évidence, le procureur qui, devant ce tribunal, s’appuie sur de la jurisprudence doit s’assurer qu’elle existe », écrit Me Tremblay.

« L’arbitre de griefs s’attend à ce que tous les procureurs qui plaident devant lui soient compétents, honnêtes, professionnels et respectueux de son autorité, poursuit l’arbitre. Manifestement, celui qui soumet au tribunal des références jurisprudentielles inexistantes ne satisfait pas ces attentes, car il induit, intentionnellement ou non, le tribunal et la partie adverse en erreur. »

Qui plus est, le procureur qui fait référence à de la jurisprudence qui n’existe pas « rallonge inutilement l’arbitrage », déplore encore Me Tremblay.

« On reproche déjà, souvent avec raison, la longueur et les coûts élevés associés à l’arbitrage de griefs. Ces problèmes seront exacerbés si les informations inexactes générées par les hallucinations d’outils d’intelligence artificielle s’introduisent devant les tribunaux d’arbitrage en raison de la négligence des procureurs. Le présent cas en est un bon exemple », sermonne l’arbitre.

Me Tremblay ajoute que le procureur qui fait référence à de la jurisprudence inexistante expose la partie qu’il représente à devoir compenser les dommages que cela pourrait causer à l’autre partie.

« En définitive, référer à des décisions qui n’existent pas, comme l’a fait la procureure patronale dans le présent dossier, est un geste répréhensible qui ne devrait jamais se produire en arbitrage de griefs. Ce comportement est d’autant plus grave que cette procureure est membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés », se désole l’arbitre.

L’avocat n’a toutefois pas jugé opportun d’ordonner une sanction aussi sévère que celle retenue par la Cour supérieure dans Specter Aviation Limited c. Laprade, qui avait imposé au justiciable qui se défendait seul une amende de 5000 $.

« D’une part, le syndicat me demande uniquement de sanctionner, sans plus, le comportement de la représentante patronale. D’autre part, je considère que la présente section de ma sentence constitue une sanction suffisante pour rappeler à l’ordre la procureure patronale et pour l’inciter à la plus grande vigilance à l’avenir », conclut Me Tremblay.

Marie-Claude Piché n’avait pas donné suite à notre courriel l’invitant à commenter la décision de l’arbitre de griefs au moment de mettre cet article en ligne.

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