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Quand et comment se terminera la saga judiciaire de Gilbert Rozon?

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Radio Canada

2025-08-25 14:15:18

Les déboires en justice de l'ex-magnat de Juste pour rire sont loin d'être finis…

Source : Radio Canada


Le procès civil de Gilbert Rozon, poursuivi par neuf femmes pour agressions sexuelles présumées, reprend lundi à Montréal avec, parmi les témoins à venir, Pierre Karl Péladeau. Mais les répercussions de toute cette affaire pourraient déborder les seuls faits en litige. Récit d’une saga. Les demanderesses réclament au total 14 millions de dollars en dommages à l'ex-magnat de Juste pour rire.

Ce procès regroupe leurs neuf poursuites individuelles et il représente pour elles l'ultime tentative d'obtenir réparation. Lyne Charlebois, Guylaine Courcelles, Annick Charette, Patricia Tulasne, Danie Frenette, Anne Marie Charette, Mary Sicari, Sophie Moreau et Martine Roy avaient de 15 à 35 ans au moment des violences présumées, qui se seraient déroulées sur près de quatre décennies.

Âgé de 70 ans, le défendeur, Gilbert Rozon, nie toutes les allégations. Sur chacune de ces femmes, Gilbert Rozon exerçait, à différents degrés, un rapport de pouvoir. Dans certains cas, il était leur employeur, actuel ou potentiel. Dans le cas de Martine Roy, il était en plus l'époux de sa sœur. Et dans le cas de Sophie Moreau, Gilbert Rozon était l'ami de son père, Jean-Guy Moreau, le premier humoriste imitateur au Québec.

D'ici les plaidoiries, prévues à partir du 22 septembre, de nouveaux témoins seront appelés à la barre. L'un d'eux est le PDG de Québecor, Pierre Karl Péladeau, qui viendra expliquer une soi-disant cassation de la relation d'affaires entre son entreprise et Juste pour rire, à la veille du 18 octobre 2017.

Il reviendra à la juge Chantal Tremblay de la Cour supérieure du Québec de trancher laquelle des versions des demanderesses ou du défendeur est la plus crédible, la plus vraisemblable : c'est la prépondérance de preuves. En matière civile, le fardeau de la preuve est moins contraignant qu'en matière criminelle parce qu'on n'a pas besoin de convaincre hors de tout doute raisonnable.

Mais la conclusion de ce procès au Québec ne signifiera pas pour autant la fin de cette saga judiciaire. D’une part, parce que dans sa défense, Gilbert Rozon conteste la validité de deux articles du Code civil :

- l’un qui prévoit que les faits relevant de mythes, de stéréotypes et de préjugés sont présumés comme étant non pertinents (la personne n’a pas porté plainte ou ne s’est pas enfuie après l’agression alléguée, par exemple);

- l’autre qui abolit le délai de prescription en matière d'agression sexuelle.

Selon Gilbert Rozon, ces nouvelles dispositions le privent d’une défense pleine et entière. Cela explique l’implication du Procureur général dans le procès actuel.

D’autre part parce que l’ex-homme d’affaires a intenté contre Julie Snyder et Pénélope McQuade une poursuite en diffamation de 450 000 $. Les deux animatrices ont témoigné en solidarité avec les plaignantes à titre de témoins de faits similaires, à l'instar de cinq autres femmes : Salomé Corbo, Martine Rochette, A. B. (témoin qui a obtenu une ordonnance de non-divulgation de son nom) et enfin Véronique Moreau, sœur de la demanderesse Sophie Moreau et ex-conjointe de Gilbert Rozon. Les avocats des demanderesses tentent d'établir que le défendeur avait le modus operandi d'un prédateur.

Un procès aux États-Unis pour Gilbert Rozon

Enfin, un procès potentiel se dessine pour Gilbert Rozon aux États-Unis : le 17 novembre 2023, une Américaine, Bernadette O'Reilly, a porté plainte au civil contre lui en vertu de la Tort-Adult Survivors Act. Cette Américaine allègue avoir été agressée par Gilbert Rozon à New York en 1985. Le cabinet d'avocats américains qui représente Gilbert Rozon affirme que ce dernier nie toutes les allégations qui pèsent contre lui.

Le juge Kenneth Karas de la Cour fédérale du district sud de New York a accordé un sursis à l'exécution de l'enquête, à la demande des parties, qui ont fait valoir que les preuves présentées au procès civil de Gilbert Rozon au Canada, the Canadian Action, constitueront vraisemblablement des preuves dans son procès à New York.

Et l’issue du procès à Montréal pourrait avoir une incidence sur son éventuel procès new-yorkais.

De magnat à paria

Prospère, connu, riche, père de trois garçons et se qualifiant lui-même d'homme à femmes, Gilbert Rozon était littéralement au-dessus de ses affaires. Jusqu'au 18 octobre 2017. Date charnière : ce jour-là, Le Devoir et le 98,5 FM révélaient que Gilbert Rozon était visé par des allégations d'agression et d'inconduite sexuelle. Pour son entreprise, ce fut tout de suite l'hécatombe, selon ce qu'il a relaté à la juge Tremblay.

Dans la foulée du scandale, il a démissionné de ses fonctions de président du Groupe Juste pour rire. Des 14 femmes qui ont porté plainte contre lui, seule la plainte d'Annick Charette avait été retenue.

Dans le jugement qu'elle a rendu en décembre 2020, la juge Mélanie Hébert a acquitté Gilbert Rozon, mais non sans rappeler que le verdict d'acquittement ne signifiait pas que les incidents reprochés ne s'étaient pas produits. La juge a fait valoir le doute raisonnable au profit de l'accusé, et ce, même si la version de ce dernier lui est apparue moins plausible que celle de la plaignante. Amer, l'ex-magnat de Juste pour rire soutient aujourd'hui qu'en dépit de ce verdict d'acquittement, il est devenu un paria.

Mais Gilbert Rozon n'en était pas à ses premiers démêlés avec la justice : en 1998, il avait enregistré un plaidoyer de culpabilité pour avoir agressé sexuellement une croupière de 19 ans lors d'une fête au Manoir Rouville-Campbell. Il a ensuite reçu l'absolution inconditionnelle. En Cour supérieure, le 5 juin dernier, il a dit regretter d'avoir plaidé coupable et a affirmé n'avoir jamais commis cette agression.

Un procès plus long que prévu

Ce procès civil, qui a commencé en décembre 2024 à la Cour supérieure du Québec, devait durer 43 jours. Mais dès son ouverture, Gilbert Rozon a réclamé un report, que la juge Tremblay a rejeté. Puis les avocats de Gilbert Rozon ont contesté une décision de la juge Tremblay en Cour d'appel. Le procès a pu reprendre un mois plus tard, quand la Cour d'appel a tranché en faveur des demanderesses.

Si bien que le 9 juillet, quand le procès a été mis sur pause pour l'été, les avocats venaient tout juste de boucler le contre-interrogatoire de l'homme d'affaires déchu, qui ne devrait plus être appelé à la barre. On est rendus là.

Des versions contradictoires

Dans cette affaire où les faits en litige se sont déroulés derrière des portes closes, bien que parfois dans des lieux publics, les témoignages sont névralgiques, comme l'a expliqué Me Sophie Gagnon, directrice générale de Juripop, à Tout un matin sur ICI Première. Pour Gilbert Rozon, la meute que représentent les demanderesses lui fait un procès d'argent .

Ces femmes, dit-il, se sont inventé une vérité. Et elles se sont organisées et se sont parlé tous les jours, modifiant du tout au tout leur version des faits, avance-t-il. Leurs allégations, poursuit-il, sont complètement surréalistes.

Par exemple, à Mary Sicari, qui allègue avoir été agressée par lui au travail pendant des années, Gilbert Rozon a rétorqué que cela n'aurait jamais pu se produire dans les bureaux à aires ouvertes de Juste pour rire, qui fourmillaient d'employés. À Danie Frenette, qui allègue avoir été agressée à l'ombre de buissons dans le jardin de sa résidence d'Outremont, il a objecté qu'il n'y avait dans ce jardinet que du gazon et des cèdres immatures, et qu'il lui aurait été impossible de se soustraire aux regards de la centaine d'invités présents.

À Annick Charette, il affirme que ce n'est pas lui qui l'a agressée, mais elle : Mais je n'ai pas porté plainte, a-t-il déclaré en contre-interrogatoire à Me Bruce Johnston. Devant la juge Chantal Tremblay, Véronique Moreau, qui a été la conjointe de Gilbert Rozon, a allégué avoir été violée par ce dernier et le lui avoir dit sans ambages au terme de cette relation non consentie.

Aux dires de Véronique Moreau, Gilbert Rozon lui aurait rétorqué que ce n'était pas ça, un viol, avant de lui intimer d'aller prendre une douche.

Une cible facile pour le mouvement #MoiAussi

Appelé à la barre, l'ex-premier ministre du Québec Pierre Marc Johnson a décrit son ami Rozon comme un homme riche, séduisant et womanizer [coureur de jupons, NDLR]. Selon lui, Gilbert Rozon était une cible facile dans le contexte du mouvement #MoiAussi. Dans une lettre ouverte publiée dans La Presse, le 17 juillet, Gilbert Rozon a critiqué les médias, qui le condamnent sur la place publique, dit-il, et se font les complices du mouvement #MoiAussi. Il affirme qu’il existe aujourd’hui un véritable risque d’extorsion légalisée depuis #MoiAussi. Et que la quasi-totalité des hommes poursuivis, innocents ou non, règlent hors cour, pour ne pas voir leur réputation brisée dans les médias.

Gilbert Rozon aime discourir : durant sa dizaine de présences à la barre, il s'est d'ailleurs fait rappeler à l'ordre par la juge plus d'une fois. En contre-interrogatoire, il a vu sa mémoire mise à l'épreuve lorsque sa version des faits s'est vue confrontée à celles des demanderesses.

S'adressant aux médias en marge de son procès, dans les couloirs du palais de justice, Gilbert Rozon a critiqué l'appareil judiciaire. Au civil, n'importe qui peut poursuivre n'importe qui, il n'y a pas de filtre, a-t-il affirmé. C'est faux, a expliqué la juge à la retraite Nicole Gibeault à l'émission C'est encore mieux l'après-midi sur ICI Première.

Les filtres vont apparaître au fur et à mesure que les procédures civiles vont se développer, dit-elle. Mises en demeure, requêtes introductives d’instance, comparutions, interrogatoires, obligations de déposer des documents sont autant d'étapes préparatoires au procès. Si Gilbert Rozon perd au civil, de conclure l'ex-juge Gibeault, son filtre sera la Cour d'appel.

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