Simon c. Zukran : la Cour d’appel tranche

La Cour d’appel du Québec a tranché le litige opposant l’ex-avocat Henri Simon et Me Joey Zukran : le comportement hostile des parties et la rupture définitive de leur lien de confiance suffisaient pour conclure à une résiliation tacite de leur entente, a conclu le tribunal, balayant du revers de la main une réclamation de plus de 6 millions $.
Les appelants, Henry Simon et le Groupe juridique LPC S.A., étaient représentés par Me Claudette Dagenais, de DJB Avocats, alors que les intimés, Me Zukran et LPC Avocats, étaient défendus par Me Jean El Masri.
Le contexte
Le conflit trouve sa source dans une relation professionnelle nouée en 2015, alors que Me Zukran était encore étudiant. Les deux hommes avaient un projet ambitieux : fonder un cabinet boutique spécialisé dans les actions collectives.

L’harmonie est toutefois de courte durée. Quelques semaines à peine après le lancement, Me Zukran découvre que son associé a tenté, sans son accord, de faire louer une Mercedes aux frais de la nouvelle société. Pour le jeune avocat, c’est la douche froide. Sa perte de confiance envers Henri Simon est « totale et irréversible », relate la Cour d’appel dans sa décision.
La rupture est consommée en septembre 2016. Me Zukran récupère son capital restant, quitte les lieux avec les dossiers d’actions collectives qu’il avait développés et lance son propre cabinet. Henri Simon réagit en lui envoyant un courriel reconnaissant que sans harmonie ni loyauté mutuelle, il n'y a aucun intérêt à maintenir la relation professionnelle avec lui.
S'ensuivent trois poursuites judiciaires. M. Simon et la société réclament des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, notamment pour violation de la clause de non-concurrence et manquement au devoir de loyauté. La somme demandée au procès atteint 6,6 millions de dollars, soit la totalité des honoraires facturés par le nouveau cabinet de Me Zukran.
Ce dernier, de son côté, demande la résiliation de la convention, la dissolution de la société et la confirmation que les honoraires des dossiers qu’il a emportés lui appartenaient, ainsi que des dommages-intérêts pour abus de droit d’ester en justice.
La décision de la Cour supérieure
La Cour supérieure a pour l’essentiel donné raison à Me Zukran.
La juge Janet Michelin a rejeté l'intégralité des poursuites de Henri Simon et de la société, y compris la réclamation de 6,6 millions de dollars. Elle a conclu que la Convention entre actionnaires était résiliée de manière consensuelle et implicite en raison de la perte totale et irréversible de confiance mutuelle, un constat renforcé par l'aveu de M. Simon que la société avait perdu sa raison d'être sans Me Zukran.
La juge a également jugé la clause de non-concurrence invalide et a confirmé que Me Zukran n'avait commis aucune faute en continuant à servir les clients qui l'avaient librement suivi, rejetant ainsi toutes les réclamations pécuniaires.
Les moyens d’appel
Les appelants ont identifié pas moins de neuf moyens d'appel pour contester le jugement de première instance. Ces moyens visaient essentiellement à faire déclarer que la Convention d'actionnaires était toujours en vigueur, ou que, du moins, une base contractuelle légitimait leurs réclamations pécuniaires.
Leurs arguments principaux étaient les suivants :
- Contestation de la résiliation consensuelle : l'argument phare des appelants était de remettre en question la conclusion de la juge de première instance selon laquelle la Convention d'actionnaires avait été résiliée d’un commun accord (ou implicitement). Ils soutenaient qu'il n'y avait jamais eu de volonté commune explicite de mettre fin à la convention.
- Survie du contrat préliminaire : les appelants ont plaidé que le contrat initial de 2015 (signé avant la Convention d'actionnaires) n'avait jamais été résilié et qu'il pouvait donc servir d'assise juridique à leurs réclamations pécuniaires, sans égard à la Convention d'actionnaires subséquente.
- Application des clauses restrictives : implicitement, les appelants soutenaient que, puisque la Convention n'était pas résiliée, la clause de non-concurrence et le devoir de loyauté post-contractuel devaient s'appliquer, rendant ainsi Me Zukran redevable des millions réclamés.
La décision de la Cour d’appel
La Cour d’appel a rejeté l’appel de Henri Simon.
Pour le plus haut tribunal du Québec, la preuve est limpide : la perte de l’affectio societatis — cette volonté de s’associer — était totale et irréversible. Les gestes et les paroles des deux parties, incluant le courriel de Henri Simon, démontraient une volonté commune de mettre fin à l’aventure, ont confirmé les juges Bich, Hogue et Hardy.
Pour la Cour d’appel, il est clair que M. Simon n’avait aucune intention de reprendre le rôle de Me Zukran ni l’expertise pour mener les dossiers d’actions collectives. Conséquemment, la résiliation de la convention était inévitable. Et puisque le contrat a pris fin de manière consensuelle, les réclamations fondées sur celui-ci, incluant les clauses restrictives, ne tiennent pas la route, a conclu le tribunal.
L’argument du contrat de 2015 a aussi été balayé, la Cour d’appel notant que la cause d’action initiale ne reposait pas sur ce contrat et que l'ambiguïté de sa portée temporelle n'était pas étayée par une preuve suffisante.
Puisque le nœud du litige – la fin consensuelle de la Convention – était tranché, la Cour d’appel a établi que tous les autres moyens d'appel devenaient sans objet.
« Cela ne signifie toutefois pas qu’elle avalise l’ensemble des motifs de la juge de première instance, notamment au chapitre de la non-concurrence ou du devoir de loyauté post-contractuel », a mentionné le tribunal.
Les procureurs des parties n’avaient pas donné suite à nos demandes de commentaires au moment de mettre en ligne cet article.
Henri Simon, dont le nom est absent du Bottin du Barreau, a été radié pour divers manquements pour une période d’un an à compter du 9 juillet 2024.