Télécommunicateurs = Informateurs?

Philippe Senécal
2009-06-22 11:15:00
Par crainte d’une dérive vers la droite, doit-on s’inquiéter des effets que ces projets de loi auront sur la vie privé et la compétitivité des industries canadiennes?
Le projet de Loi régissant les installations de télécommunication aux fins de soutien aux enquêtes (C-47) exigera que les fournisseurs de services de télécommunication se dotent des moyens technologiques nécessaires pour permettre aux personnes autorisées d’intercepter toutes les formes de communication. En résumé, les télécommunicateurs devront prendre les mesures requises pour intercepter les communications, fournir les communications interceptées, fournir l’emplacement de l’appareil utilisé pour la transmission des communications, assurer la confidentialité et la sécurité des informations interceptées et, dans la mesure où la communication interceptée a fait l’objet d’encodage, décoder ladite communication s’il dispose des moyens pour le faire. En d’autres mots, si la confidentialité des communications que vous avez avec vos clients vous tient à cœur, comme elle le doit en vertu de votre obligation au maintien du secret professionnel, tâchez de ne pas faire l’usage des utilitaires d’encodage fournis par votre télécommunicateur.
Le projet de loi C-47 obligera également les télécommunicateurs (internet et cellulaire) à conserver et fournir sur demande le nom, l’adresse, le numéro de téléphone, l’adresse courriel, l’adresse de protocole internet (IP), le numéro d’identification mobile, le numéro de série électronique et le numéro de module d’identité (SIM) de leurs abonnés.
Afin de s’assurer que les télécommunicateurs se conforment aux exigences de la loi, une personne sera désignée pour inspecter tout lieu appartenant à un télécommunicateur dans lequel pourraient se trouver des installations de télécommunication. Ce pouvoir d’inspection permet d’examiner tout document se trouvant sur les lieux, d’examiner toute installation de télécommunication, de faire usage de tout système informatique pour vérifier les données qu’il contient et de reproduire toute information ou donnée. Cette inspection pourra se faire sans consentement et sans préavis…
Atteinte à la vie privée ou non?
Et que fait le gouvernement Harper pour éviter de porter indûment atteinte à la vie privée des particuliers, direz-vous? Et bien, chaque service de police devra procéder à des vérifications internes pour s’assurer de l’observation des processus de contrôle prescrits par la loi. Si, à tout hasard, cette solution ne vous réconfortait pas, sachez que c’est le Commissaire à la protection de la vie privée qui aura en dernière analyse le rôle de vérifier que les mesures de contrôle pour obtenir les informations sont respectées par les organismes fédéraux et de faire rapport au Parlement. Quant aux services de police constitués sous le régime d’une loi provinciale, comme le Québec, le projet de loi ne précise pas l’identité de l’organisme qui aura le mandat de surveillance.
Sans nous y attarder longuement, mentionnons que le projet de Loi modifiant le Code criminel (C-46) octroi, entre autres, le pouvoir d’émettre une ordonnance de préservation de la preuve électronique (similaire au sursis de destruction (Litigation Hold) dans les recours civils), une ordonnance de communication de données ou un mandat visant à obtenir des données de transmission afin d’élargir les pouvoirs d’enquête.
Tout comme le Président Bush l’avait fait suite aux attentats du 11 septembre, le gouvernement de Harper souhaite fournir aux services de renseignement de vastes sources d’information, ce qui à terme et selon plusieurs risque de compromettre le droit à la vie privée des individus.
Quant aux effets sur le commerce de telles lois, Conseils Ledjit a récemment eu le privilège de représenter les Barreaux du Québec et de Montréal au Comité trilatéral sur la circulation transfrontalière des données. Un des objectifs de ce forum de consultation tenu par Industrie Canada et auquel participaient également des représentants des gouvernements des États-Unis et du Mexique consistait à identifier les obstacles au commerce transfrontalier. Or, maints intervenants ont souligné que l’une des principales inquiétudes engendrées par la transmission de données portait sur l’apparente absence de protection des renseignements privés ou confidentiels aux États-Unis à la suite de l’entrée en vigueur de la Loi du Homeland Security et du USA Patriot Act (Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act).
Le gouvernement conservateur fait-il preuve d’un excès d’optimisme lorsqu’il prétend que les projets de loi C-46 et C-47 ne porteront pas atteinte indûment à la vie privée et à la compétitivité de l’industrie canadienne des télécommunications?
Philippe Sénécal est conseiller juridique de Conseils Ledjit.
Anonyme
il y a 16 ansMerci Me Senécal pour cet article qui laisse songeur.