Un jugement rendu au Québec par un tribunal civil peut être valide à vie
Marc-André Bouchard, Martin Laprade Et Hippolyte Guay
2025-11-07 11:15:47

Exécution d’un jugement au Québec
Au Québec, un jugement rendu par un tribunal civil, tel que notamment la Cour du Québec ou la Cour supérieure, peut être exécuté de manière forcée par les huissiers de justice dès qu’il est passé en force de chose jugée, en conformité avec l’article 656 du Code de procédure civile (C.p.c.).
Processus d’exécution
Ce processus débute par la transmission par le créancier (celui ayant obtenu gain de cause) de ses instructions à l’huissier, lesquelles sont retranscrites dans un avis d’exécution. Cet avis est par la suite déposé au dossier de la Cour et peut être consulté gratuitement au greffe de la Cour ou sur SOQUIJ, moyennant des frais.
Prescription et renouvellement de la dette
Le débiteur condamné par un jugement à payer une somme d’argent doit savoir que sa dette peut être réclamée pendant 10 ans et que si le créancier exécute ce jugement dans ce délai, celui-ci recommencera à courir pour la même durée et la dette demeurera due si elle n’est toujours pas remboursée. L’article 2924 du Code civil du Québec (C.c.Q.) mentionne que : « Le droit qui résulte d’un jugement se prescrit (se termine) par 10 ans s’il n’est pas exercé ».
Un créancier n’ayant pas été en mesure d’exécuter son jugement dans le délai de 10 ans pourra interrompre cette prescription par le dépôt d’un avis d’exécution en s’assurant de le signifier au débiteur, conformément à l’article 2892 al. 2 du C.c.Q. Ainsi, il est clair qu’un créancier bien avisé pourra renouveler indéfiniment le délai pour exécuter son jugement, jusqu’au paiement complet de sa créance. Il est crucial que l’avis d’exécution soit déposé au dossier de la Cour et signifié au débiteur pour constituer une interruption valide et il n’est pas nécessaire que la saisie effectuée par la suite soit concluante.
Confirmation jurisprudentielle
Affaire Conseil mohawk de Kanesatake c. Sylvestre
Ce mode d’interruption de la prescription extinctive des droits résultant d’un jugement vient d’être confirmé dans l’affaire Conseil mohawk de Kanesatake c. Sylvestre, 2025 CSC 30 :
(62) (…) Le dépôt et la signification de l’avis, lequel fait lui-même partie de la demande en justice aux fins de saisie, ont interrompu la prescription en 2016 par application de l’art. 2892 C.c.Q.
Et nous citons une partie du résumé de cette honorable Cour :
(…) le dépôt et la signification d’un avis d’exécution constituent une demande en justice qui interrompt le délai de prescription de 10 ans. (…) Le fait que l’huissier n’avait par la suite trouvé aucun bien à saisir et qu’il avait suspendu la saisie était sans importance. Le fait qu’il n’avait pas informé le débiteur que la saisie avait été suspendue n’était pas important lui non plus.
(…) la période de 10 ans existe pour faire en sorte que les gens agissent à temps et pour favoriser la stabilité dans les relations débiteur-créancier, mais elle ne devrait pas punir les créanciers qui prennent les mesures appropriées avant l’expiration du délai de prescription. Par cette décision, la Cour a fourni aux créanciers ainsi qu’aux débiteurs clarté et certitude sur la façon dont les jugements qui condamnent quelqu’un au paiement d’une dette peuvent être exécutés, de même que sur les types de circonstances qui peuvent interrompre le délai de prescription.
Précisions supplémentaires
La prescription est interrompue lorsqu’un avis d’exécution est déposé au dossier de la Cour et signifié au débiteur par l’huissier.
L’avis d’exécution peut comprendre plusieurs choix de saisie et l’huissier peut en tenter plusieurs, tout dépendant du cas.
Une saisie infructueuse ne fait pas en sorte qu’il y a un rejet automatique de la « demande en justice ». Dans ce cas, l’avis d’exécution demeurera valide et son effet sera interruptif de la prescription afin que le délai de 10 ans recommence à courir pour le même délai.
Il n’y a pas d’exigence qu’un procès-verbal d’un huissier soit rédigé en l’absence d’une saisie fructueuse. L’huissier peut préparer un procès-verbal de carence pour attester qu’aucun bien n’a été saisi, mais le C.p.c. n’impose pas cette exigence et le débiteur ne subit aucun préjudice si cela n’est pas fait.
Il n’y a pas d’interruption de la prescription de 10 ans si le débiteur s’oppose à l’exécution et que le Tribunal accepte son opposition.
Conclusion
Cet enseignement de la Cour suprême du Canada confirme que la signification d’un avis d’exécution permet de maintenir valides les conclusions d’un jugement pour une période renouvelable de 10 ans.
À propos des auteurs
Me Marc-André Bouchard est membre du groupe Litige du cabinet Lavery.
Martin Laprade est parajuriste chez Lavery.
Hippolyte Guay est parajuriste chez Lavery.