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Modifications à la charte : Réalités juridiques ou uniquement politiques?

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Mathieu Piché-messier

2008-01-07 09:18:00

La Commission Bouchard-Taylor et les débats à l’Assemblée nationale ont récemment apporté matière à réflexion pour les jeunes avocats de notre association.

Au cours des dernières semaines, nous avons pu observer une certaine effervescence du côté de l’actualité juridico-politique en ce qui concerne d’une part, les modifications projetées à la Charte des Droits et Libertés de la Personne (ci-après « la Charte québécoise» ) pour, au départ, y créer une certaine hiérarchie entre les droits que cette dernière protège, nous disait-on, et d’autre part, la version du projet de loi actuel qui semble réaffirmer le droit à l’égalité entre les hommes et les femmes.

Enfin, nous avons également pu prendre connaissance de la récente demande d’un parti d’opposition de modifier le préambule de ce même texte de loi pour y inclure une référence à la primauté de la laïcité, ce qui représente un pas de plus face à l’actuel projet de loi, alors même qu’aucune conclusion n’a encore été tirée par les commissaires.

Le projet de loi visant à amender la Charte québécoise se fonde-t-il sur un vide juridique qui doit être comblé ou est-il simplement un instrument symbolique visant à répondre à une stratégie politique?

La proposition du gouvernement suggérant une modification au préambule de la Charte québécoise de manière à affirmer le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes à titre de valeur fondamentale de notre société nous semble en effet davantage répondre à une volonté populaire des Québécois d’assurer le respect de cette valeur fondamentale plutôt qu’à combler un vide juridique.

Purement sur le plan juridique, cette égalité nous apparaît déjà protégée par divers instruments législatifs, tant sur le plan national qu’international. En effet, la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte canadienne ») trouve d’une part application au Québec.

Il est vrai que cette dernière se limite aux rapports entre les individus et l’État, quoique celle-ci a tout de même un rôle à jouer pour une portion des cas où la question du respect de cette égalité se pose. De plus, depuis maintenant plus de 25 ans, le Canada a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes consacrant le principe d’égalité entre les sexes.

Bien que cette convention internationale ne s’applique pas directement devant nos tribunaux nationaux, il n’en reste pas moins qu’elle peut être utilisée dans le cadre de l’interprétation de la Charte québécoise.

Il est vrai que la Charte québécoise, contrairement à la Charte canadienne, couvre une plus grande juridiction puisque, tel que décrit plus haut, celle-ci s’applique tout autant aux relations entres les institutions publiques et les individus, qu’aux relations privées entre individus.

Cependant, la Charte québécoise interdit déjà la discrimination fondée sur le sexe. L'amendement proposé, bien que ce ne soit pas l’intention recherchée, entraînera indubitablement une certaine hiérarchisation des droits fondamentaux protégés par la Charte québécoise.

Il faut toutefois souligner qu'en matière de droits de la personne, une certaine proportion de la population milite en faveur d’une hiérarchisation des droits fondamentaux. Or, est-ce la tangente qui devrait être prise par le gouvernement, tous partis confondus?

Un tel amendement, a priori louable, pourrait en effet générer un effet pervers. En effet, dans un tel contexte, lorsque certaines situations d’affrontement entre des droits fondamentaux, tels l'égalité entre les sexes et la religion, se présenteront, l’égalité des femmes devra nécessairement l’emporter dans le cadre du travail d'interprétation des tribunaux.

Il est à noter que cette situation a récemment été débattue par le Tribunal des droits de la personne dans sa décision Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Hôpital Général Juif, 2007 QCTDP 29. Dans cette cause, la Commission, au nom de deux plaignantes, alléguait que l’Entente sur la sexualisation des postes de préposés aux bénéficiaires conclue entre l’Hôpital et le Syndicat portait atteinte au droit des plaignantes de bénéficier de conditions de travail exempte de discrimination fondée sur le sexe, alors que l’Hôpital alléguait le droit des bénéficiaires de recevoir des soins intimes par un préposé du même sexe.
A
insi, dans ce dossier s’affrontait divers droits protégés par la Charte québécoise, entre autres, les droits à l’intégrité de la personne, à la vie privée, à la sauvegarde de la dignité, à la liberté de religion et le droit à des conditions de travail exemptes de discrimination.

Or, vu les circonstances de ce dossier, le tribunal a réaffirmé le courant jurisprudentiel établissant le principe d'égalité des droits fondamentaux et la possibilité pour les tribunaux de pouvoir faire usage de leur discrétion judiciaire de manière à apprécier les faits en fonction des circonstances de chacune des causes.

Un autre bel exemple est la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bruker c. Marcovitz, 2007 CSC 54 où l’exercice d’évaluation entre la revendication au droit à la liberté de religion devant être concilié avec les droits, les valeurs et le préjudice qui lui étaient opposés, a à nouveau été réalisé sans heurts.

En effet, dans cette dernière cause, la Cour a confirmé le jugement de la Cour supérieure qui avait octroyé 45 000 $ de dommages à une femme dont le mari avait renié une clause du contrat de divorce prévoyant qu’il s’engageait à consentir à un divorce religieux traditionnel, privant ainsi son ex-conjointe de l’exercice indépendant du choix pour une personne de se remarier.

Par ailleurs, nous sommes d’avis que le Préambule identifie déjà le principe de l'égalité hommes-femmes en tant que valeur fondamentale de notre société, tel que reproduit ci-après: «Considérant que tous les êtres humains sont égaux…».

Les êtres humains sont ainsi égaux, peu importe leur origine ou leur sexe. Tel est le principe sous-jacent ayant été édicté par le législateur en 1975 et ayant été retenu par les tribunaux dans leur appréciation factuelle de chacun des cas où la question a dû être débattue. D’ailleurs, les accommodements jugés raisonnables ayant été accordés le sont toujours sur une base individuelle.

Ainsi, les récentes propositions de modifications législatives à la Charte québécoise nous semblent davantage motivées par les soubresauts de la Commission Bouchard-Taylor et le débat public qui l’entoure et non sur une réelle lacune juridique.

Un des principes fondamentaux qui doit guider le législateur est celui de l’applicabilité des lois et nous vous soumettons que les récentes propositions formulées par les trois partis sont superflues, inutiles, et comportent même un risque de ne pas atteindre l’objectif visé en créant indirectement une hiérarchisation des droits protégés, laquelle n’est pas souhaitée par le législateur à l’heure actuelle puisque cette solution n’a finalement pas été retenue.

Par Mathieu Piché-Messier, président de l’Association du Jeune Barreau de Montréal
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