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L’arbitrage salarial de la LNH vu par un avocat...

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Camille Laurin-desjardins

2020-11-05 15:00:00

André Lepage est l’un des rares avocats québécois à représenter les équipes de la Ligue nationale de hockey dans des dossiers d'arbitrage salarial. Entretien...
Me André Lepage. Photos : Site web de BCF et Wikipédia
Me André Lepage. Photos : Site web de BCF et Wikipédia
Habituellement, ce sprint de négociations a lieu en plein milieu de l’été. Mais cette année, COVID oblige, l’arbitrage salarial pour les joueurs et les équipes de la LNH, c’est maintenant que ça se passe, jusqu’au 8 novembre – même si on ne sait toujours pas quand commencera la saison!

Comment ça se déroule, dans les coulisses, surtout en cette année très particulière? Comment devient-on avocat spécialisé dans cette branche assez pointue?

Droit-inc en a discuté avec Me André Lepage, associé chez BCF, le cabinet qui représente le plus d’équipes de la LNH (et le seul bureau québécois). L’avocat en droit du travail a joint BCF en 2014, après la fermeture de Heenan Blaikie, où il a commencé sa carrière.

Chaque année, celui qui a été admis au Barreau en 2002 met le reste de sa pratique (et un peu sa vie!) sur pause pendant plus de deux mois, pour se consacrer nuit et jour à l’arbitrage salarial pour la LNH.

Droit-inc : Comment êtes-vous arrivé dans cette branche assez nichée du droit?

En fait, j’ai commencé par vouloir être avocat… Je ne savais même pas que le droit pouvait mener à faire ce genre de pratique, dans le sport. C’était encore beaucoup plus rare à l’époque, il y a 20 ans, qu’aujourd'hui.

Quand j’ai fait ma course aux stages, j'ai été recruté chez Heenan Blaikie. Je faisais du sport études, j’adorais le hockey, et on m'a dit : « ça tombe bien, on veut partir un département du sport au bureau. Et on a besoin de jeunes dynamiques comme toi. » J’hésitais entre quelques bureaux d'avocats, et ça m’a convaincu de joindre ce cabinet-là.

Il y avait au bureau un avocat qui est maintenant juge à la Cour supérieure, qui s'appelle Daniel Dumais, et il faisait déjà de l'arbitrage salarial pour les Nordiques de Québec. C’est lui qui m’a donné ma chance.

Le bureau Heenan Blaikie a été accrédité par la LNH, à l'époque, à la fin des années 1990. Et Daniel Dumais m'a gentiment impliqué dans les dossiers, avec un autre jeune avocat de l'époque, qui s'appelle Julien Brisebois, qui est maintenant le directeur général du Lightning de Tampa Bay.

Et 20 ans plus tard, je dirige une équipe d'une dizaine de personnes – et ils sont incroyables. On représente plus de la moitié des équipes de la LNH : on est rendu à 17 équipes, sur les 31. Les autres sont représentées par Davies, BLG, des bureaux américains... On a fait notre place, et c'est nous qui occupons la majeure partie du terrain, de notre belle ville de Québec! On est très fiers de ça.

Est-ce que cela occupe une grande place dans votre pratique?

C'est une période très spécifique dans l’année, très intense – et je la vis présentement! Habituellement c’est tout le mois de juillet – pour moi, ça commence en juin, et ça se termine au mois d'août.

À cause de la COVID et des activités de la saison qui ont été déplacées, le fameux mois de juillet, on le vit maintenant.

J'ai du travail que je dois faire avant la saison, du travail de développement avec mes clients... Donc pour moi, c'est à peu près deux mois, deux mois et demi par année. Ce sont des mois très intenses, on travaille deux mois en un…

C’est le fun. C’est un domaine qui est différent. C'est un moment dans l’année où on a l’impression de faire complètement autre chose. Ça nous change un peu de notre pratique plus habituelle!

Mais le sport – parce que je ne fais pas juste de l’arbitrage salarial –, c’est environ 25 % de ma pratique. Le reste du temps, je suis un avocat en droit du travail et de l'emploi.

L’arbitrage salarial se déroule en ce moment; expliquez-nous comment ça se déroule…

Il y a une catégorie de joueurs dans la convention collective appelée «groupe 2», donc des agents libres avec restrictions. Ce groupe a la possibilité de faire déterminer leur salaire par un arbitre, un juge. C'est de ce groupe-là dont on s'occupe. On ne s'occupe pas des recrues ni des joueurs autonomes sans compensation. C'est vraiment le groupe entre les deux.

Il y a des dates limites où les joueurs peuvent demander l’arbitrage. Ils doivent soumettre une demande d'arbitrage. Cette année, la période d'arbitrage se déroule du 20 octobre au 8 novembre. Il y a eu 26 demandes de joueurs, donc il y a 26 causes qui sont fixées entre ces dates-là. Parfois trois ou quatre par jour.

On doit préparer le dossier pour aller plaider devant l’arbitre – c'est-à-dire un juge, un arbitre en droit du grief. On prépare un mémoire et un cahier d'annexes. Dans notre mémoire limité à 42 pages de texte, on explique notre position, pourquoi le joueur X devrait gagner tel montant, et on le compare à d’autres joueurs de la ligue nationale, qu'on doit choisir par une formule, et ils doivent absolument faire partie du « comparable exhibit », un document qui est approuvé par la LNH et l'Association des joueurs. On peut seulement piger dans ces comparables-là.

L'Association des joueurs prépare la même chose, et on les échange 48 heures avant l'audition. Ces 48 heures vont servir à préparer notre présentation, et aussi notre réponse à leur position – en anglais, on appelle ça un « rebuttal » – qu’on va déposer lors de l’audition.

Cette année, c'est particulier, ça se fait par la plateforme Zoom... Habituellement, ça se ferait à Toronto. Après la journée d’audition, l'arbitre a 48 heures pour nous remettre sa décision par écrit, et la décision peut seulement être pour des contrats d’un an ou de deux ans – la plupart du temps, ce sont des contrats d’un an.

On reçoit la décision... et qu'on l'aime ou non, on est lié par elle. Il existe un droit de refus de la décision, mais c'est seulement pour certains critères, certaines situations très particulières, qui sont assez rares. Donc, en général, on doit accepter la décision, et c'est le contrat du joueur pour la saison prochaine.

Quelles équipes représentez-vous?

On en représente 17. Cette année, ce sont sept équipes qui ont des dossiers en arbitrage – ça dépend qui ils ont dans leur équipe et où ils sont rendus dans leur carrière, s'ils ont des contrats ou non…

Cette année, on a des dossiers pour les Sénateurs d'Ottawa, les Sabres de Buffalo, les Maple Leafs de Toronto, les Islanders de New York, les Bruins de Boston, les Panthers de la Floride et l'Avalanche du Colorado.

Ça doit être particulier, cette année, puisqu'on ne sait toujours pas quand et si la saison va reprendre...

Oui, c'est particulier pour le monde du hockey... Pour nous, ça ne change pas grand-chose, parce qu'on a une date de fin pour ce qu'on fait, comme d'habitude. On détermine quand même le salaire pour l'année qui s'en vient.

Mais c'est sûr que l'Association des joueurs et nous mettons de l’avant des arguments par rapport à la saison qui vient de passer, à la valeur de cette saison-là, étant donné la suspension des activités, et qu'il y a plus d'équipes qui se sont qualifiées pour les séries... Je ne veux pas trop rentrer dans les détails, parce que ce n’est pas encore fini! Mais, évidemment, il y a des arguments mis de l'avant par les deux parties, considérant la valeur de la saison prochaine, qui, on ne sait pas encore si elle va avoir lieu et quand elle va commencer...

Mais pour l'essentiel, ça ressemble beaucoup aux autres années, à part le fait que c'est fait virtuellement, au lieu d'en personne. Ça, c'est très différent... Par exemple, moi, j'avais plusieurs joueurs en Russie, en Suède... Habituellement, ils auraient pris l'avion, ils se seraient déplacés à Toronto, on les aurait rencontrés à l'hôtel la veille ou l'avant-veille, pour faire des séances de négociations, essayer de régler la situation hors cour. Le matin, souvent, on va déjeuner avec eux, pour une dernière tentative de régler... Cette année, il n'y a pas ça du tout.

Est-ce que vous pouvez faire ça virtuellement?

Ce n'est pas impossible, mais c'est sûr que le contact humain versus faire ça virtuellement, ce n’est pas la même chose! Donc cette année, il y a autant de règlements hors cour que les autres années... mais ça se fait un peu différemment.

Et si jamais la saison est annulée, les contrats que vous négociez présentement ne pourront pas être reportés à l'année d'après?

Non. La décision sera valide pour la saison 2020-2021, à moins que la LNH et l'Association des joueurs décident de reporter les salaires de la saison 2020-2021 à la saison d'après... mais ce serait surprenant. Ce qu'on fait, c'est vraiment pour la saison 2020-2021. Donc, si elle n'a pas lieu, il y a de fortes chances que ce ne soit tout simplement pas considéré, qu’on doive recommencer l'année prochaine.

En quoi l’arbitrage salarial est-il différent d’un dossier plus « conventionnel » en droit du travail?

Ce qui est le plus différent, c’est la rapidité. Par exemple, cette année, on a reçu les demandes d'arbitrage le 8 octobre, et le 8 novembre, les 26 dossiers vont être terminés. Nous, sur les 26, nous en avions 14, avec nos sept équipes. Donc évidemment, faire 14 dossiers d'arbitrage en un mois, c’est très intense. On travaille jour et nuit pendant un mois – et je n’exagère presque pas! On travaille extrêmement fort.

Ce qui est agréable, c'est que – soit parce que les dossiers se règlent ou qu'ils sont plaidés et qu’on reçoit une décision – on a des résultats rapides.

Contrairement à des dossiers d’arbitrage au civil, par exemple... Souvent, entre le moment où il y a une demande d'arbitrage et le moment où on va être entendu devant un arbitre, il peut se passer des mois, des années, même. Ici, ça se fait en quelques jours, quelques semaines tout au plus, parce qu'il faut qu'on ait le résultat avant que la prochaine saison commence.

C'est aussi particulier au domaine du sport : la plupart du temps, les dossiers sont urgents, comme dans le domaine du sport olympique. Des fois, il faut savoir quel athlète va pouvoir aller à telle compétition pour se classer pour les JO. il peut arriver qu’entre le moment où on se pose la question, et le moment où un des deux athlètes doit prendre l’avion, il y ait moins de 72 h! Il faut que le juge ou l'arbitre ait entendu le dossier et rendu sa décision à l'intérieur de ce délai.

Le système qui a été mis en place, l'arbitrage salarial, c'est pour mettre un temps limite, et ça force les parties à négocier. Parce que les parties savent qu'entre le moment où elles font la demande, et le moment où elles vont passer en cour, il reste seulement un mois (tout au plus) avant qu'on soit devant le juge.

C'est pour ça que dans 90% des cas et plus, il y a des règlements. Si ce système n'existait pas, les choses s’étireraient. C'est l'avantage de ce système. Il y a seulement le hockey et le baseball qui fonctionnent comme ça.
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