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Déclarations frauduleuses: encore une question de crédibilité

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Alice Bourgault-roy Et Tomas Vazquez

2023-11-09 11:15:00

Focus sur une récente décision rendue par la Cour supérieure en matière de droit des assurances.
Alice Bourgault-Roy et Tomas Vazquez, les auteurs de cet article. Source: Robinson Sheppard Shapiro
Alice Bourgault-Roy et Tomas Vazquez, les auteurs de cet article. Source: Robinson Sheppard Shapiro
Dans Paul-Hus c. Sun Life, Compagnie d’assurance-vie, 2023 QCCS 3890, la Cour supérieure nous rappelle l’importance de répondre avec sincérité et de façon complète aux questions posées au moment de souscrire une police d’assurance.

Confrontée à la question de savoir si l’assuré avait l’intention de tromper l’assureur, l’analyse de la Cour démontre que la crédibilité demeure un élément clé.

Contexte

Le 13 mars 2015, Automobiles Illimitées, dont le demandeur Paul-Hus est l’unique actionnaire, formule une proposition d’assurance pour une police maladies graves auprès de la Sun Life. La personne assurée est le demandeur, et la bénéficiaire est Automobiles Illimitées.

Le 17 mars 2015, Paul-Hus se soumet à l’entrevue téléphonique lors de laquelle des questions lui sont posées notamment sur ses habitudes de vie, son état de santé et ses antécédents médicaux. Rien d’important n’ayant été déclaré, la Sun Life approuve la proposition et émet la police. Le 16 août 2018, Paul-Hus soumet une réclamation à la Sun Life.

Le Dr Brunet, neurologue traitant Paul-Hus depuis quelques années, y indique que le diagnostic est une atrophie musculaire progressive dont les premiers symptômes se seraient manifestés en 2013. Après enquête, la Sun Life avise Paul-Hus qu’elle refuse de l’indemniser, car il n’a pas répondu correctement à trois questions du questionnaire et que, s’il l’avait fait, elle n’aurait pas émis la police d’assurance pour maladies graves.

Dix jours plus tôt, Automobiles Illimitées faisait faillite, soit le 12 décembre 2018.

Le 31 mai 2021, enfin, Paul-Hus signifie à la Sun Life une demande introductive d’instance (la « Demande »). Il y allègue un diagnostic de sclérose latérale amyotrophique (SLA).

Décision du tribunal

Le Tribunal conclut tout d’abord que les déclarations de Paul-Hus, lors de l’entrevue du 17 mars 2015, sont inexactes et susceptibles de mener à la nullité de la police d’assurance.

Fausses déclarations et réticences

En effet, lors de cette entrevue, Paul-Hus omet de révéler qu’il présente depuis quelques années une faiblesse au bras et à la main gauche pour laquelle des investigations sont en cours. Il avait pourtant rapporté ses symptômes quelques semaines plus tôt au Dr Brunet, son neurologue traitant, qui avait prescrit une série d’examens afin d’établir la cause de cette faiblesse.

La consultation avec Dr Brunet faisait suite à une référence d’un plasticien consulté en janvier 2015 en raison de la position anormale de sa main. Dr Brunet notait de plus que cette faiblesse lui avait causé des lacérations cutanées importantes aux doigts lorsqu’il a laissé tomber un verre en avril 2014.

Dans sa Demande, Paul-Hus soutient n’avoir ressenti aucun symptôme avant l’émission de la police, et que le développement de sa maladie aurait été soudain. Or, son dossier médical tant antérieur que postérieur à la police révèle une installation « lentement progressive » d’une faiblesse du membre supérieur gauche depuis août 2013.

À la question pourtant claire de savoir s’il avait déjà été traité pour ou présentait des symptômes de faiblesse d’un bras ou tout autre trouble ou maladie des articulations ou des membres, il répond « non ».

Questionné à savoir si un médecin lui aurait recommandé des tests ou examens, il répond encore « non ». Il fait alors défaut de déclarer qu’il doit subir une imagerie cervicale et cérébrale, une résonnance magnétique et des examens sanguins et qu’il est en investigation en neurologie.

De même, à la question concernant les examens et tests à des fins diagnostiques qu’il aurait eus dans les cinq années précédentes, il répond « non », négligeant de déclarer un EMG subi à peine trois semaines auparavant, une ponction lombaire et une IRM faits dans le cadre d’une évaluation pour migraines avec photophobie, ainsi qu’une tomodensitométrie pratiquée en janvier 2015.

Face à un telle preuve, le tribunal conclut que les déclarations de Paul-Hus au moment de la souscription de la police sont inexactes et susceptibles de mener à la nullité de la police. Mais encore faut-il établir la fraude, puisque la police est en vigueur depuis plus de deux ans au moment de la réclamation (article 2424 C.c.Q.).

Caractère frauduleux

Le fardeau de preuve incombant à l’assureur qui cherche à annuler une police en raison de fausses déclarations est onéreux. La Cour nous réfère à l’arrêt de principe Giguère c. Mutuelle Vie des fonctionnaires du Québec (1995 CanLII 4658 (QC CA)), qui explique que l’intention de tromper est un élément supplémentaire essentiel de l’acte.

Or, bien que Paul-Hus allègue ne ressentir ou ne soupçonner aucun symptôme de maladie avant l’entrevue téléphonique du 17 mars 2015, son dossier médical révèle tout le contraire. Mais cela n’est pas tout. Lors de l’instruction, il est observé que Paul-Hus consulte un document qui sera obtenu et produit par la Sun Life. La juge Germain écrit :

(…). Il s’agit de la lettre de refus de Sun Life du 28 décembre 2018 qu’il a annotée des mentions « bonne foi » et « répondu non en toute bonne foi j’étais en attente de rien aucun résultat ». Il paraît pour le moins curieux qu’il prenne la peine d’écrire ces termes en guise de rappel et sente le besoin de les répéter à de multiples reprises dans le cadre de son témoignage et lorsque contre-interrogé.

La juge précise qu’il ne suffit pas de répéter que l’on a été de bonne foi pour justifier de pareilles omissions. De l’avis du Tribunal, ces éléments démontrent clairement l’intention de Paul-Hus de cacher son véritable état de santé dans le but de tromper la Sun Life et d’ainsi obtenir la couverture d’assurance souhaitée.

Il ne pouvait ignorer que ses symptômes et l’investigation en cours étaient de nature à influencer de façon importante la décision de l’assureur d’accepter le risque, et ses réponses évasives à l’égard des réponses fournies au questionnaire laissent perplexe.

Matérialité eu égard au risque

Finalement, comme la Sun Life remplit son fardeau de preuve en démontrant l’impact des faits non déclarés sur son appréciation du risque à l’aide d’une expertise en tarification, la juge Germain déclare la nullité ab initio de la police d’assurance.

Fait intéressant, Paul-Hus soutient dans sa Demande que le 1er février 2018, il a reçu un diagnostic de sclérose amyotrophique. Or, la preuve révèle qu’en aucun moment un tel diagnostic n’a été émis. Cette maladie, contrairement à celle qui a été diagnostiquée dans son cas, est couverte par la police.

De plus, rappelons que, si Paul-Hus est la personne à assurer, la bénéficiaire de la police est Automobiles Illimitées. Or, en 2018, la compagnie fait faillite. Dès lors, comme soulevé par la Sun Life et retenu à bon droit par le Tribunal, seule Automobiles Illimitées avait l’intérêt requis pour réclamer le paiement de la prestation d’assurance maladies graves.

Le recours aurait pu être rejeté pour cette dernière raison également.

Au final, on constate que la crédibilité est encore l’élément clé lorsque vient le temps d’établir la fraude en matière d’assurance.

À propos des auteurs

Alice Bourgault-Roy est associée au sein du groupe droit des assurances du cabinet Robinson Sheppard Shapiro. Elle concentre principalement sa pratique sur les mandats de défense en responsabilité professionnelle et civile, ainsi qu’en assurance de personnes.

Tomas Vazquez s’est joint à Robinson Sheppard Shapiro comme étudiant en mai 2021 après avoir terminé sa troisième année d’études en droit à l’Université de Montréal.

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