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Affaire Delisle : le DPCP remet en question les explications de Lametti

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Radio-canada Et Cbc

2024-03-18 13:15:41

David Lametti. Source: Radio-Canada / La Presse canadienne / Adrian Wyld
Le DPCP ne comprend toujours pas pourquoi l’ancien ministre de la Justice a ordonné la tenue d’un second procès dans l’affaire de l’ex-juge Jacques Delisle…

David Lametti a ordonné un nouveau procès à Jacques Delisle en 2021, alors que le rapport de son comité d’experts ne faisait état d’aucune erreur judiciaire. Le DPCP s'interroge encore aujourd’hui sur les raisons qui ont motivé cette décision allant à l’encontre des conclusions de ce document.

Maintenant que Jacques Delisle a reconnu avoir causé la mort de sa femme, le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec (DPCP) a confié à Enquête qu’il s’attend à ce que l’ancien ministre fédéral de la Justice, David Lametti, justifie publiquement sa décision d’avoir ordonné un nouveau procès à l’ancien juge en 2021.

Radio-Canada a rencontré le grand patron du DPCP, Me Patrick Michel, vendredi à son bureau du boulevard Laurier, à Québec. La veille, Jacques Delisle avait plaidé coupable à une accusation d’homicide involontaire au palais de justice de Québec, mettant ainsi fin à une saga judiciaire de 15 ans.

Bien que le volet juridique soit clos, Me Michel a accepté de revenir sur l’incompréhension qui persiste entourant la décision de David Lametti d’ordonner la tenue d’un nouveau procès dans ce dossier.

« On ne comprend pas ce qui a pu convaincre le ministre à ce jour », laisse tomber Me Michel, qui s’inquiète pour les impacts de cette décision sur la confiance du public envers le système de justice.

« Une décision comme ça (...) déconsidère non seulement l’administration de la justice, mais ça déconsidère aussi le processus de révision des condamnations injustifiées », déplore-t-il.

Me Patrick Michel. Source: Radio-Canada

Dans son communiqué d’avril 2021, David Lametti a annoncé avoir ordonné la tenue d’un nouveau procès pour Jacques Delisle en soutenant qu’une « erreur judiciaire s’est probablement produite ».

Il y précise que sa décision découle de la découverte de nouveaux renseignements qui n’étaient pas devant les tribunaux au moment du procès.

Huit ans après avoir été condamné à une peine de prison à vie pour le meurtre de sa femme, Jacques Delisle a donc été libéré en 2021 en attendant son deuxième procès.

Me Patrick Michel considère que la déclaration du ministre Lametti ne repose sur aucun élément qui appuyait la thèse de l'erreur judiciaire.

Enquête a demandé à Me Patrick Michel : « Si vous aviez une question à poser à David Lametti par rapport à ce dossier-là, quelle serait-elle?»

« Est-ce qu’il y a eu dans le processus décisionnel (...) une intervention (...) qui a pu influencer sa décision?» Répond-il.

« Cela a beau être une décision du ministre, une décision discrétionnaire, mais cette discrétion ne peut pas être exercée de façon arbitraire », insiste-t-il.

En quête de réponses

Me Michel mentionne que le bureau du DPCP a fait parvenir deux missives au Groupe de révision des condamnations criminelles du Canada (GRCC) pour tenter de comprendre ce qui pouvait expliquer la décision du ministre.

« La décision d’ordonner un nouveau procès, ça rétablit la présomption d'innocence. Alors, ça rétablit notre fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité dans le cadre d'un nouveau procès », explique-t-il.

Il détaille que cela signifiait concrètement de « réévaluer l’ensemble de la preuve avant de décider si on allait reprendre ou non le procès sur l’accusation originale de meurtre au premier degré ».

« On aurait pu choisir de réduire l’accusation, on aurait pu choisir de faire un arrêt des procédures si, par exemple, à la lumière du rapport du GRCC, on avait été nous-mêmes convaincus qu’un innocent a pu être condamné », précise-t-il.

Dans une des correspondances envoyées au GRCC, le bureau du DPCP écrit : « Nous nous interrogeons sur la possibilité que d'autres éléments qui nous sont inconnus aient été soumis dans le cadre du processus pour convaincre le ministre ».

« Nous sollicitons votre collaboration afin de nous confirmer si d'autres éléments [...] existent et, le cas échéant, nous faire part de la nature de ceux-ci en nous indiquant à qui nous adresser pour les obtenir », peut-on également lire dans le document.

Le DPCP n’a jamais eu de réponses à ses questions.

Non à Radio-Canada

Enquête a interpellé David Lametti pour lui donner l’occasion de s’expliquer, mais il a refusé notre demande d’entrevue.

Par courriel, l’ancien ministre écrit qu’il a accordé une entrevue au chroniqueur Yves Boisvert de La Presse « qui s’intéresse à de tels dossiers depuis longtemps ».

Jacques Delisle. Source: Radio-Canada / La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Il poursuit en mentionnant que « ça devrait répondre à vos questions, mais je peux vous assurer maintenant que le processus a été bien suivi ».

Dans cet article publié le 16 mars dernier, David Lametti assure que sa décision n’est pas seulement basée sur le rapport du GRCC.

Il fait allusion à des avis juridiques qu’il a commandés auprès, notamment, d’un juge et d’un « éminent juriste » provenant de l’extérieur du Québec.

Il est inconcevable pour Patrick Michel d’apprendre, après trois ans de procédures additionnelles, l’existence d’avis juridiques.

« Je ne veux pas spéculer, mais on est en droit de se demander : si on avait eu ces opinions-là au moment où on les a demandées, est-ce que ç'aurait pu influencer notre décision de continuer les procédures? Juste qu’on ait à se poser ces questions-là, c’est préoccupant. Ce n’est pas souhaitable pour la confiance du public », clame-t-il.

« C’est préoccupant de voir que le verdict d’un jury confirmé jusque par la Cour suprême puisse être invalidé comme ça sur la base d’opinions que seul le ministre de la Justice a vues », affirme-t-il.

Par ailleurs, Patrick Michel admet aujourd’hui qu’il a même envisagé de la faire réviser par un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

Après analyse, l’idée a été abandonnée. « À cause des délais que ça aurait provoqués (...). Les choses ne se seraient pas terminées en première instance », dit-il.

Il plaide pour davantage de justification de la part du ministre dans pareille situation. « On serait en droit de s’attendre à des explications, une forme d’imputabilité, de reddition de compte. Quelle forme ça doit prendre? Je l’ignore », reconnaît-il.

À la question : « Pensez-vous que Jacques Delisle a pu avoir un traitement de faveur? Patrick Michel réplique du tac au tac : En tout cas, s’il a eu un traitement de faveur, ce n’est pas du DPCP.»

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