Ces avocats à mieux connaître

Miss Anton Piller

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Emeline Magnier

2014-05-26 15:00:00

Droit-inc a rencontré l'une des seules femmes chefs d’un groupe litige au Québec. Elle revient sur son parcours, sa pratique en matière de fraude et son expérience de gestionnaire…

Depuis le mois d'avril 2011, Me Danielle Ferron est associée et chef du secteur litige chez Langlois Kronström Desjardins, l'une des plus grosses équipes en litige au Québec qui regroupe 65 avocats.

Membre du Barreau du Québec depuis 1993, elle est reconnue pour son expertise en litige civil et commercial, notamment en matière de recours extraordinaires tels que les ordonnances de type Anton Piller, véritable perquisition en matière civile.

Femme investie et passionnée, elle a répondu aux questions de Droit-inc.

Droit-inc: Comment en êtes vous arrivée à pratiquer dans le domaine de la fraude?

Depuis le mois d'avril 2011, Me Danielle Ferron est associée et  chef du secteur litige chez LKD
Depuis le mois d'avril 2011, Me Danielle Ferron est associée et chef du secteur litige chez LKD
Me Danielle Ferron: Depuis mon stage du Barreau que j'ai effectué dans un petit cabinet de huit avocats et où j'ai débuté ma pratique, j'ai toujours pratiqué en litige. C'était une belle école: on faisait de tout et en 1993, on cherchait encore dans des livres (rires). Au fil du temps, je me suis dirigée vers le droit de la faillite, et j'ai notamment travaillé sur la faillite des dépanneurs Perette.

En 1997, j'ai eu la chance d'être nommée séquestre intérimaire dans le dossier du Marché central métropolitain qui représentait une fraude de 340 millions de dollars. C'était un dossier très marquant: j'étais à la cour une fois par semaine pendant un an contre des avocats seniors. J'ai pu acquérir une bonne expérience et ça m'a donné la piqûre pour les dossiers de fraude.

Mais à l'époque, je ne connaissais pas du tout ce domaine de pratique. Une semaine après la fin de mon mandat, je suis partie en congé maternité, ce qui a aussi été l'occasion de réfléchir à ma carrière. Si je voulais travailler sur ce genre de dossiers, je devais changer de bureau et rejoindre une structure nationale. J'ai alors intégré le cabinet Borden Ladner Gervais et j'ai commencé à me rapprocher des juricomptables et des enquêteurs.

En 2002, alors que j'étais en congé maternité pour mon deuxième enfant, Me Robert Charbonneau m'a proposé de revenir plus tôt au bureau pour un gros dossier Anton Piller. J'ai saisi l'opportunité, c'était trop beau pour ma pratique. Puis j'ai commencé à en faire plusieurs, à écrire des articles et à donner des conférences. Quand certains confrères sont en demande, ils me demandent d'agir comme avocat indépendant. Les compétiteurs me voient comme une alliée et certains m'appellent Miss Anton Piller (rires)!

Pourquoi avoir choisi ce domaine de pratique en particulier?

Le volet enquête m'intéresse beaucoup. J'ai un certain plaisir à démasquer quelqu'un qui se pense plus intelligent que le système et qui a imaginé tout un stratagème pour arriver à ses fins. Il faut réussir à percer des trous dans leur histoire pour finir par les démasquer, c'est toujours très challengeant: il faut faire des saisies, aller chercher des injonctions telle que l'injonction Anton Piller ou d'autres recours urgents. Il y a beaucoup d'adrénaline et j'aime me relever les manches.

Les avocats en litige sont souvent vus comme une source de dépenses. Dans les dossiers de fraude, du côté de la victime, les sommes ont déjà été détournées: il y a eu perte et le client vient nous consulter pour arrêter l'hémorragie et avoir justice. On devient le moyen de se faire rembourser.

Depuis récemment, j'interviens également en tant qu' « amie de la Cour » dans le cadre de perquisitions pénales quand des notions de confidentialité professionnelle sont en jeu: je dois aider le défendeur à protéger le secret professionnel tout en garantissant l'action du demandeur. Avant que la preuve ne lui soit remise, j'extrais ce qui est couvert par le secret professionnel.

Pourquoi avez-vous choisi de rejoindre Langlois Kronström Desjardins?

Je suis quelqu'un qui est proche des gens. Il y a plusieurs bons côtés dans un grand cabinet national mais pour moi, il y avait aussi certains irritants quant à la grosseur et la taille du bureau. J'avais plus l'impression d'être une actionnaire qu'une associée, ce n'était pas mon idéal. Quand Me Chantal Chatelain m'a proposé de me joindre à LKD en tant que chef du groupe litige, je connaissais la réputation de l'équipe.

Le management était de mon âge et j'aurais mon mot à dire sur la direction du cabinet. Ma pratique en matière de fraude avait sa place et allait venir renforcer celle du groupe. Le « fit » était bon et je retrouvais le côté plus familial qui me manquait, je pouvais donc allier le meilleur des deux mondes.

Comment s'est passée votre arrivée à la tête du groupe de litige?

Quand j'ai intégré LKD, il n’y avait pas eu de chef du groupe litige pendant plusieurs mois et l’équipe avait besoin d’une nouvelle impulsion. J'ai identifié les priorités et déterminé un plan d'action pour redynamiser l’équipe avec des activités de formation et des échanges formels sur des questions juridiques précises.

Je me suis assurée que les plus jeunes disposaient des ressources nécessaires pour assurer l'évolution de leur pratique à la hauteur de leurs attentes et de celles des associés. Il y a moins de procès qu'avant mais on va à la cour plus longtemps: il faut donc veiller à ce que chacun ait la possibilité de plaider et de faire des interrogatoires.

Et puis, il faut aussi avoir du fun ! Pour avoir une équipe forte et une belle synergie, nous avons organisé des activités sociales. Aujourd'hui, notre équipe arrive à maturité et est très dynamique. Il faut veiller à conserver cet acquis, c'est un éternel recommencement. Je m’assure que chacun maintienne un bon niveau de bonheur organisationnel: ma porte est toujours ouverte, les gens peuvent venir me voir pour des besoins individuels comme pour des questions de gestion.

Quelles sont les qualités d'un bon plaideur?

Être un avocat de litige, c'est une spécialité: c'est l'art de prendre l'histoire de son client et de la transformer en procédure et de la plaider. À chaque fois, il faut apprendre et fouiller. Ce n'est pas facile, il faut être passionné et aimer ce qu'on fait. Quand on a à cœur de donner un bon service, il y a forcément du stress, mais ça fait aussi partie du plaisir d'être là. Ça me prend toujours deux-trois minutes pour être correcte devant le juge (rires), ça montre que c'est important.

Une bonne capacité d'écoute est aussi fondamentale pour comprendre les problèmes et les besoins, et proposer un résultat adapté qui considère l'aspect juridique et commercial de l'opération. Il faut être un bon médiateur et savoir trouver des solutions de rechange: un litige ça coûte cher et c'est long. Et puis, une bonne dose de jugement: je vais assez rarement à la cour: je n'ai pas besoin d'un juge pour me donner la réponse; si les deux avocats savent où ils vont, on connaît l'issue.

Que pensez-vous de la place faites aux avocates en pratique privée?

Il y a un désir de trouver des solutions pour améliorer la situation et faire que les femmes trouvent leur place et restent en pratique privée. Le milieu du litige et de la fraude est très masculin et ça m'est arrivé plus d'une fois d'être la seule femme à assister à une conférence.

Il n'y a que 20% de femmes associées qui siègent sur les comités de gestion alors qu'elles représentent 60% des diplômés. Ce n'est pas acceptable. Sans faire de généralités, les femmes ont des qualités différentes de celles des hommes et ont souvent une meilleure sensibilité émotionnelle. Comme société, nous avons intérêt à tirer avantage des forces de chacun.

Il faut prendre conscience de ces différences et adapter les pratiques, avec une politique interne claire, de la responsabilisation et une meilleure gestion du travail d'équipe pour permettre aux femmes d'avoir du temps flexible et d'être en charge de beaux dossiers même si elles travaillent à temps partiel. Il y a 20 ans, on n'avait pas ces discussions. Il y a du changement mais il faut agir et faire des efforts concrets, mesurables et sanctionnés.

Le mentorat et l'accompagnement sont aussi très importants. Je suis membre de l'Association Femmes en finance du Québec où j'ai rencontré des femmes seniors qui m'ont conseillé et qui m'ont aidée à poser les bons gestes aux bons moments et à travailler sur mon développement professionnel.

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