En effet, dans la sphère du droit criminel au Québec, si les hommes et les femmes sont représentés presqu'à parité dans une proportion respective de 9 % et 7 %, la pratique privée reste la chasse gardée des hommes, qui occupent ce secteur à 50 % contre 32 % des femmes, selon le dernier portrait du Barreau.
En Ontario, les résultats d’une étude rendue publique par l'Association canadienne des avocats criminalistes révèlent que les femmes demeurent plus susceptibles d'abandonner la pratique privée en droit criminel que les hommes. De 1996 à 2014, sur les 47 avocates ontariennes en droit criminel qui exerçaient dans une firme privée, seules 13 d'entre elles avaient survécu dans ce milieu 18 ans plus tard. Soit un taux d'abandon de 72 %.
Les raisons pointées du doigt: les impondérables en matière d'heures de travail, un salaire précaire et la difficulté à concilier travail et famille. Assiste-t-on au même phénomène au Québec?
La maternité en veilleuse
Pour les criminalistes québécoises interrogées par Droit-inc, les premières années en droit criminel - que l'on soit un homme ou une femme - sont ardues. « Il est très difficile de se monter une clientèle », admet Me Maude Pagé-Arpin qui fait écho aux propos de ses consoeurs.
Mais pour les femmes, un enjeu de taille existe: il faut remettre à plus tard son projet de fonder une famille. « Je n'ai pas encore d'enfants, ajoute Me Pagé-Arpin, car pour une avocate en pratique privée comme moi, c'est une source de stress. Il est nécessaire que le conjoint soit capable de beaucoup s'impliquer.»
Même son de cloche chez Me Julie Couture, avocate criminaliste, ce qui ne l'a pas pour autant empêchée de mettre au monde trois enfants. À 37 ans, son dernier-né a 15 mois. « J'ai pris six mois de congé de maternité, j'ai accouché en décembre, et j'avais des procès fixés en juin, raconte-t-elle. Même en congé, il n'y a pas une journée où je n'ai pas téléphoné au travail. »
Me Valérie La Madeleine admet que la compétition est forte dans les premières années. Elle aussi a attendu quelques années avant de penser à la maternité. Aujourd'hui, elle et son conjoint ont deux enfants de deux et trois ans. « Deux jours avant mon accouchement, j'étais en cour pour une requête de remise en liberté », lance-t-elle.
L'attrait d'une stabilité
Si le droit criminel attire tout de même plus de 900 femmes au Québec, il reste encore du chemin à faire pour qu'elles investissent la sphère privée où dominent les hommes. « Le privé, ce n'est pas le lot de tout le monde, c'est plus difficile d'y attirer les jeunes femmes qui souhaitent concilier travail et famille, mais c'est en voie de changer », assure Me Danièle Roy, présidente de l'Association des avocats de la défense de Montréal.
« Il faut avoir beaucoup de discipline, mettre les bouchées doubles tout en étant consciente que tu ne feras pas énormément d’argent du jour au lendemain, insiste Me Lida Sara Nouraie. Il faut aussi accepter qu’en tant que travailleur autonome, tu n’as pas d’excellentes conditions de travail. Si une personne n’est pas prête à faire plusieurs sacrifices et à travailler très dur, je crois qu’elle aura de la difficulté à percer en pratique privée.»
Apprendre à s'organiser, Me Nouraie connaît. Elle et son conjoint, lui aussi avocat, jonglent ensemble les affaires de leur cabinet et les imprévus liés au fait d'avoir un enfant en bas âge. Un autre poupon entrera bientôt dans l'équation puisque Me Nouraie doit accoucher dans deux semaines. « Et je ne suis toujours pas en congé de maternité », glisse-t-elle.
Dans l'étude ontarienne, 20 % des femmes d'une même cohorte ont tourné le dos à la pratique privée en droit criminel pour un poste au gouvernement. Ce statistique ne surprend pas Me Nouraie puisqu'au public, dit-elle, les avocates trouvent une plus grande stabilité, un horaire établi, de meilleures conditions de travail, des avantages sociaux et une sécurité financière.
Le sexisme banni au Québec ?
Chez les Ontariennes, la discrimination a été invoquée parmi les raisons pour lesquelles les femmes délaissent le droit criminel. « Le manque de respect envers les femmes n'est pas toléré au Québec, estime Danièle Roy, même s'il y a eu quelques écarts comme celui du juge (Jean-Guy) Boilard qui a été sévèrement réprimandé.» Elle rappelle au passage que la juge en chef de la Cour du Québec ainsi que la juge en chef adjointe de la chambre criminelle et pénale sont toutes deux des femmes.
Au sujet de l'arrêt visant le juge Boilard, Me Maude Pagé-Arpin croit qu'un message clair a ainsi été envoyé aux juges que ce genre de comportement n'était plus accepté.« C’est en provenance des avocats âgés de sexe masculin qu’on remarque le plus grand sexisme. Il n’est pas rare qu’on remette en question l’opinion de « la petite » avocate, surtout si elle a l’air jeune, et ce, même si elle possède une plus grande expertise dans le domaine visé », ajoute-t-elle, bien qu'elle n'aie jamais été victime de ce double standard.
« La clientèle a plus facilement l'impression que les hommes ont une plus grande notoriété », ressent pour sa part Me Valérie La Madeleine.
La passion l'emporte
Même si les défis restent grands et que la paie tarde à venir - les femmes se font souvent négocier des tarifs à la baisse selon nos témoignages -, les avocates criminalistes persistent et signent par passion pour leur travail. «Je fais mon travail par passion, par conviction, et non pour l'argent, soutient Me Julie Couture. Il n'y a rien de plus gratifiant que le merci des clients. »
Me La Madeleine a déjà été tentée par la Couronne mais, après réflexion, elle a choisi de conserver sa liberté d'action en restant à son compte. Contrairement à plus de 60 % des Ontariennes de l'étude, Me Lida Sara Nouraie n'a jamais songé à quitter le navire.
« Je crois profondément que si tu as une passion pour quelque chose, tu y arriveras et tu réussiras à trouver l’équilibre tôt ou tard. L’important c’est de ne pas baisser les bras », conclut-elle, philosophe.
Au Québec…
-12 971 avocates sur 25 341 membres du Barreau
-51,2 % des membres sont des femmes
-62 % des « jeunes membres » sont des femmes
-38 % de femmes en pratique privée
-37 % des hommes travaillent de 41 à 51 heures/semaine
-44 % des femmes travaillent de 31 à 40 heures/semaine
-7 % des femmes pratiquent le droit criminel (contre 9 % d'hommes)
-8 % des femmes pratiquent le droit de la famille (contre 3% d'hommes)
-Le taux horaire médian des femmes se situe entre 101 $ et 151 $ tandis que celui des hommes atteint 151 $ à 200 $.
-12 971 avocates sur 25 341 membres du Barreau
-51,2 % des membres sont des femmes
-62 % des « jeunes membres » sont des femmes
-38 % de femmes en pratique privée
-37 % des hommes travaillent de 41 à 51 heures/semaine
-44 % des femmes travaillent de 31 à 40 heures/semaine
-7 % des femmes pratiquent le droit criminel (contre 9 % d'hommes)
-8 % des femmes pratiquent le droit de la famille (contre 3% d'hommes)
-Le taux horaire médian des femmes se situe entre 101 $ et 151 $ tandis que celui des hommes atteint 151 $ à 200 $.
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