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« En droit, le coeur et la tête ne sont pas toujours alignés »

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Céline Gobert

2018-07-23 15:00:00

La pratique en cabinet, ça n’était pas pour elle. Après quelques mois chez Stikeman, cette juriste a suivi ses rêves de création. Est-ce que ça valait le coup?

Maude Choko, Comédienne, scénariste, dramaturge et productrice
Maude Choko, Comédienne, scénariste, dramaturge et productrice
Comédienne, scénariste, dramaturge et productrice, Maude Choko a toujours eu des projets artistiques plein la tête. En mars dernier, sa pièce « Trois fois passera, la dernière y restera? » a été sélectionnée à l’Espace La Risée dans le cadre de l’événement « Paroles de Femmes ».

Mais la juriste n’est jamais loin: l’un de ses personnages est une étudiante en droit, tourmentée par un exposé qui va contre ses principes...

À 38 ans, Maude Choko a encore un pied dans la profession: elle est chargée de cours en droit du travail à McGill. Sa prochaine charge de cours aura lieu à la session d’hiver 2019.

Sa carrière de juriste commence les étés chez Heenan Blaikie, où elle rencontre alors celui qui deviendra son mari, Me Sébastien Caron, et avec qui elle a aujourd’hui trois enfants âgés de 14, 12 et 8 ans.

Son baccalauréat en droit de l’Université de Montréal en poche, la jeune femme effectue un stage de six mois en 2003 au département de la liberté syndicale du Bureau international du travail de Genève, avant d’intégrer à son retour le cabinet Stikeman au sein du département de droit du travail.

Mais elle comprend vite que le droit ne la satisfait pas entièrement…. Car c’est avant tout la création qui lui donne le sentiment de vivre pleinement.

Droit-inc : Vous avez donc commencé votre carrière chez Stikeman...

Maude Choko : Oui, mais à peine quelques mois plus tard j’ai eu la merveilleuse surprise de tomber enceinte. Ce n’était pas prévu. Le défi a donc été de l’annoncer à Stikeman, ce qui n’était pas évident puisque j’étais jeune avocate et que je venais d’arriver. Finalement, ils l’ont pris avec philosophie. Durant mon congé de maternité, j’en ai profité pour faire une maîtrise en droit et reprendre des cours d’improvisation car le théâtre me manquait.

Que se passe-t-il à votre retour au cabinet?

Je réalise qu’une pratique privée en grand cabinet avec des enfants, c’est impossible, du moins si l’on veut passer du temps avec ses enfants. Je ne ferme pas la porte à la pratique privée mais c’est quelque chose que je pourrais peut-être faire quand ils seront plus grands.

Vous pensez qu’avoir des enfants a freiné votre carrière?

Oui, et non. Ça m’a peut-être freiné dans une carrière disons « traditionnelle », mais ça m’a rapidement ouvert beaucoup de portes sur des questions que je ne me serais pas posé avant 10 ou 15 ans autrement. Par exemple, j’ai réalisé que faire du droit ne me satisfaisait pas pleinement. Jouer et créer me manquaient terriblement.

Vous ne croyez pas aux récits de femmes en pratique privée qui réussissent aussi à élever des enfants?

Oui, j’y crois, mais ce sont des personnes qui ont de l’aide à temps plein à la maison. Et je leur tire mon chapeau, mais ça ne me convenait pas à moi.

Que vous procure le fait de jouer, de créer?

Un sentiment d’être en vie. Je sais surtout comment je me sens quand je ne joue pas et ne crée pas : toute croche. C’est une vraie sensation de manque. Jouer et créer me procurent une satisfaction, la sensation d’être dans le moment présent, d’en profiter pour de vrai, de voir le temps qui passe. J’ai aussi le sentiment de devenir une meilleure personne, tout en sondant perpétuellement la plus fascinante des « bibittes » : l’humain.

Et ça, le droit ne vous le procurait pas?

Non, ces aspects étaient complètement évacués dans le droit, où j’étais surtout dans ma tête. Je me sentais incomplète, car le coeur n’était pas à l’ouvrage. Chez Stikeman, les clients sont du côté patronal, donc toutes les causes ne me tenaient pas à coeur. Faire en sorte qu’un syndicat ne rentre pas dans une entreprise, je trouve ça moyennement motivant.

Pour quelqu’un dont le sujet de mémoire est la liberté d’association, c’est un peu ironique…

C’est surtout contradictoire. Mais c’est la réalité de beaucoup de gens. Les bons élèves sont repêchés par les cabinets pour défendre des intérêts dont ils ne savent parfois pas grand-chose au départ. Rares sont les gens dont la tête et le coeur s’alignent parfaitement. Entre ma famille et ce genre de dossiers, les choses ne me convenaient plus vraiment donc en 2005 j’ai arrêté la pratique. Mais, même s’ils défendent des intérêts auxquels je ne crois pas, j’y ai rencontré des avocats adorables qui sont d’excellentes personnes…

Depuis 2005, vous n’avez plus jamais pratiqué?

Non, j’ai eu un deuxième puis un troisième enfant. J’ai fini mon mémoire de maîtrise, puis j’ai commencé un doctorat que j’ai soutenu en 2015. J’ai commencé mes formations d’artiste en « autodidacte » aux Ateliers Danielle Fichaud et au studio Straeon. En 2014, j’ai accepté un contrat de trois ans comme professeur en droit privé à l’Université d’Ottawa. En parallèle, les agences de casting se montraient frileuses à m’inviter en audition, donc j’ai dû monter des projets par moi-même. J’aime ça dans ce milieu : quand on commence à être confortables, on est confrontés à quelque chose qui nous ramène à zéro.

Pouvez-nous parler de votre projet le plus récent?

En mars, l’Espace La Risée a joué la pièce Trois fois passera, la dernière y restera? que j’ai écrite. Il s’agit d’une pièce féministe avec trois monologues de femmes qui vivent des situations extrêmes. La première femme est une étudiante en droit qui doit faire un exposé en adoptant une position « pro vie » et qui livre ses pensées quant au droit à l’avortement. Finalement, la juriste n’est jamais très loin! (Rires)

Vous n’avez jamais regretté de vous être lancée dans une voie plus précaire financièrement versus la sécurité d’un emploi d’avocate?

La grande question! Si j’étais certaine que mon travail déboucherait sur une reconnaissance, je ne me poserais même pas la question… Mais à moyen-terme, à long-terme, je ne sais pas si je pourrais continuer dans une telle situation sans reconnaissance. C’est décourageant de ne pas avoir la sensation de participer d’une quelconque façon à la société. On a l’impression de créer dans le vide. Parfois, ça ressemble à un acte de foi.

Quelles ont été les réactions du milieu juridique autour de vous?

Jusqu’à l’année dernière, je ne m’assumais pas à 100 %... donc souvent je ne racontais pas toute mon histoire. Je répondais simplement que j’étais professeure, ou avocate, ou au doctorat.

Pourquoi? Vous aviez honte?

Non mais les gens aiment catégoriser, et les choses sont parfois plus compliquées, elles ne tiennent pas en deux phrases. Alors c’est comme ça que je réglais ce problème.

Aujourd’hui vous êtes fière de dire que vous êtes une artiste?

Oui! Et ça a été une prise de conscience de me dire « C’est maintenant ou jamais! », de me donner le droit de le faire. J’ai toujours eu un sentiment d’imposteur. Peu importe ce que je faisais, j’avais l’impression de pas être assez bonne, pas assez parfaite. Je ne veux plus m’embêter avec ça. Maintenant, je laisse les autres décider de ce qu’ils pensent!
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