Lire ici la chronique de la semaine dernière de Me Hillier
Rares sont les campagnes électorales qui ne sont pas marquées par un point tournant ; un moment décisif qui vient changer la donne. Dans cette optique, plusieurs stratèges diront qu’ils préfèrent de loin débuter les hostilités d’une campagne en deuxième position plutôt qu’en tant que meneurs. En politique, chasser a toujours été plus facile que de se faire chasser : tout porte à croire que le présent scrutin ne fera pas exception à ces grands principes.
Alors que la Coalition Avenir Québec de François Legault avait débuté la campagne confortablement en territoire majoritaire, ce qui devait arriver arriva au courant des derniers jours: la CAQ s’est vu rattraper, en premier lieu, par ses propres péripéties et, ultimement, par le Parti libéral du Québec, qui suit aujourd’hui la CAQ de très proche au niveau des intentions de vote. Le cauchemar de M. Legault a commencé à se manifester en plein débat inaugural des chefs, jeudi dernier, seulement pour s’accentuer davantage au courant de points de presse subséquents.
Lisée, grand gagnant
Mais, parlons d’abord de ce premier débat.
Sans aucun doute, le vainqueur de cette joute oratoire initiale fut Jean-François Lisée du Parti québécois. Clair dans ses interventions, c’est peut-être la première fois depuis le début de cette campagne qu’il s’est réellement présenté à l’électorat en tant que chef d’État envisageable. Il a réussi à merveille à positionner son Parti québécois comme seule alternative progressiste plausible aux partis « austères » de messieurs Couillard et Legault, tout en gardant un ton aussi éloquent que convaincant.
Pour leur part, Philippe Couillard et Manon Massé sont restés fidèles aux personnalités qu’on leur connaît. Le chef du PLQ, a su vanter le bilan de son parti sur le plan économique, tout en réitérant les promesses électorales chères à la campagne de son parti. Mme Massé, se servant de son style terre-à-terre, a multiplié elle aussi les promesses et engagements dans le but de faire rêver les électeurs ; or, on pouvait se demander, après avoir entendu parler d’autant investissements de dizaines (voire de centaines) de millions de dollars pendant les quelques heures du débat, d’où proviendrait tous ces fonds sans augmenter le fardeau fiscal des Québécois.
Le grand perdant de ce débat a nécessairement été François Legault. Certes, en tant que meneur dans les sondages, il était à prévoir qu’il ferait l’objet des tirs croisés de ces trois adversaires. Impatient et paraissant agacé à plusieurs reprises tout au long du débat, M. Legault n’a jamais réussi à clairement expliquer ni ses engagements électoraux ni les moyens qu’il mettrait en place pour les réaliser.
Malgré que l’éducation à la petite enfance ou, en plus simple, « la maternelle 4 ans », soit un pilier de son programme électoral, le chef de la CAQ a peiné à vanter les mérites de sa promesse en comparaison aux engagements des autres chefs concernant la bonification du système de CPE existant. Même chose en ce qui concerne le salaire des enseignants : alors que M. Legault pouvait (à l’aide d’une des nombreuses références à la situation « en Ontario » qui ont marqué ce débat) facilement exposer son plan de match afin de mieux rémunérer et encadrer nos enseignants, il s’est enfargé dans une explication chiffrée, sans queue ni tête, sur la révision des échelons de salaires.
S’il n’était question que d’un débat plutôt mal réussi du côté du chef de la CAQ, ce parti se retrouverait probablement encore aujourd’hui bien installé dans la majorité des intentions de vote à travers le Québec. Or, quotidiennement depuis ce premier débat, François Legault navigue toujours aussi inhabilement le dossier polarisant de l’immigration. Alors qu’il avait promis, en plein débat, d’« expulser les gens qui ne sont pas encore citoyens » si ces derniers ne réussissaient pas un test de français et de valeurs après trois ans au Québec, M. Legault a paru brouillon à plus d’une reprise depuis. Il s’est montré carrément mal renseigné sur le système d’immigration en place, voire sur le simple statut de citoyen canadien.
Mais au-delà de ces quelques mauvais clips médiatiques, M. Legault a peut-être, malgré lui, transformé l’enjeu de l’immigration en « question de l’urne ». Sans surprise, parallèlement aux sorties rocambolesques du chef de la CAQ sur ce dossier épineux, de plus en plus de personnalités, notamment du milieu des affaires, sortent de l’anonymat pour critiquer les propositions caquistes en matière d’immigration, surtout en rattachant cet enjeu à la pénurie de main-d’œuvre que vivent de plus en plus d’entreprises, particulièrement celles exploitées en région.
À la lumière de ces derniers jours difficiles de M. Legault, d’une part, et de la performance solide du PQ jusqu’à maintenant (laquelle ne limite pas au seul bon débat de M. Lisée), il n’est en rien surprenant que la course commence à drôlement se resserrer. La plus récente projection des totaux sièges de qc125, mise à jour aujourd’hui, montre la CAQ avec 60 élus et le PLQ, 44, laissant la balance du pouvoir aux partis souverainistes.
La montée du PQ depuis le débat (au détriment, surtout, de la CAQ) sourit aux Libéraux de Philippe Couillard, qui se retrouvent quasiment à égalité statistique avec la CAQ au niveau du vote populaire, selon le plus récent sondage Mainstreet / Groupe Capitales Médias. Du côté de l’équipe de Jean-François Lisée, il faudra puiser significativement davantage autant à droite qu’à gauche (chez Québec solidaire) s’ils souhaitent conserver une chance de remporter le scrutin du 1er octobre. Le PQ se retrouve aujourd’hui autour de 20% dans les intentions de vote.
La question qui tue : parlera-t-on, réellement, d’environnement, d’ici la fin de la campagne ? Le débat en anglais de ce soir serait l’occasion tout indiquée pour y consacrer plus d’attention. Si l’un des partis a tout à gagner qu’on en traite davantage, c’est bien QS, qui espère toujours ravir quelques sièges additionnels à Montréal et même à Québec.
Me Ryan Hillier est chef de la direction de NOVAlex, un cabinet d’avocats d’affaires et clinique juridique pro bono qu’il a cofondé en 2016, après avoir pratiqué au sein de deux bureaux nationaux et occupé la présidence de la Jeune Chambre de commerce de Montréal. Depuis ses premiers pas en politique en 2007, il a notamment été membre du Comité aviseur pour le Québec de l’ancien chef du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff, et l’un des membres fondateurs de la Coalition Avenir Québec, où il a conseillé le chef du parti, François Legault, au sujet des dossiers jeunesse.
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