Me Karine Péloffy, ancienne directrice du Centre québécois du droit de l’environnement de 2014 à 2018.
Me Karine Péloffy, ancienne directrice du Centre québécois du droit de l’environnement de 2014 à 2018.
Jusqu’à présent, la plupart des procès en matière d’environnement opposait des individus à des groupes industriels ou de grandes entreprises.

Ces plaintes continuent de se généraliser, mais une nouvelle tendance se dessine : devant l’inaction des gouvernements, des groupes de citoyens, souvent encadrés par des ONG, décident de porter plainte contre leurs dirigeants.

Des actions citoyennes ont ainsi eu lieu en Belgique, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande, ou encore tout récemment aux États-Unis, où une plainte de 21 jeunes citoyens américains « Juliana vs. US » accuse notamment le gouvernement d’avoir favorisé le changement climatique et mis en péril le droit des générations futures à « la vie, la liberté et la propriété », tel que le garantit la Constitution.

Cette semaine, le Canada leur a emboîté le pas.

En effet, le groupe ENvironnement JEUnesse, représenté pro bono par le cabinet Trudel, Johnston et Lespérance, a déposé lundi une demande à la Cour supérieure pour lancer une action en justice contre le gouvernement canadien, qu’ils accusent d’avoir négligé ses responsabilités vis-à-vis des bouleversements climatiques et de mettre en péril l’avenir des jeunes générations.

Il s’agit d’une première explique Me Karine Péloffy, ancienne directrice du Centre québécois du droit de l’environnement de 2014 à 2018 : « une première au Canada, mais aussi à l’international, car il s’agit d’un recours collectif et qu’il y a la réclamation de dommages punitifs » nous explique l’avocate. L’action collective serait en effet portée au nom de tous les québécois « de 35 ans et moins ».

« Symboliquement, c’est fort d’agir au nom de tous les jeunes du Québec. On a une des procédures de recours collectif les plus progressistes au monde alors oui, c’est un avantage ».

De plus en plus de litiges

Et si la justice était la seule voie pour forcer le passage à l’action et accélérer le changement?

C’est ce que croit la juriste.

« Quand l’exécutif et le législatif ne suffisent pas, on se tourne vers le judiciaire » résume l’avocate, avant d’indiquer que les plaintes liées aux problèmes environnementaux sont exponentielles : 900 cas recensés sur 24 pays en 2017, sûrement plus en 2018.

« Les litiges se multiplient, il y en a de différents types. Le cas de Juliana aux États-Unis embrasse la cause la plus générale, le droit constitutionnel fondamental lié à la vie et à la sécurité, souligne Me Péloffy. C’est ce type de litige qui pourrait avoir le plus d’impact. La plainte attaque le gouvernement dans ses actions et ses inactions, c’est très vaste.»

Forcer l’application des textes

Pour Me Karine Péloffy, « quand l’exécutif et le législatif ne suffisent pas, on se tourne vers le judiciaire ».
Pour Me Karine Péloffy, « quand l’exécutif et le législatif ne suffisent pas, on se tourne vers le judiciaire ».
Tout récemment, un groupe de 900 citoyens de l’ONG Urgenda a remporté une victoire inédite au Pays-Bas : suite à leur plainte, la justice a ordonné au gouvernement de réduire ses émissions de CO2 de 25% d’ici 2020 par rapport au niveau de 1990.

C’est le quatrième rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) qui a servi de preuve, un texte adopté par les gouvernements eux-mêmes... La décision a été confirmée en appel et s’est même vue encore plus ancrée dans les droits humains.

« Les recours en justice ont une valeur symbolique forte, car ils permettent de changer le discours sur l’environnement : peu à peu, le fait d’avoir un climat stable est désigné comme un droit. Et ces recours ont aussi un effet concret. Le jugement a pour l’instant été porté en appel, mais s’il est confirmé, les Pays-Bas par exemple devront être obligés de se conformer au jugement de la cour », détaille Me Péloffy.

Les décisions de justice ont donc plus d’autorité qu’un texte international comme l’Accord de Paris sur le Climat. Les accords environnementaux, contrairement aux accords économiques, ne sont jusqu’à présent pas contraignants regrette l’avocate. Mais celle-ci voit dans les recours en justice ponctuels la possibilité de renforcer les ententes internationales.

« Les recours en justice vont permettre de pouvoir enfin mettre en œuvre l’Accord de Paris. Il y a des mécanismes en place dans l’Accord de Paris, mais il n’y a pas d’obligations. Les recours au niveau national viennent s’assurer qu’on puisse vraiment atteindre ces objectifs. »

Toutefois, le foisonnement de tels recours contre les industries et les gouvernements peuvent les motiver à aller chercher un meilleur accord international.

«Car le risque permanent de litige peut les pousser à vouloir un accord plus contraignant. »

Des changements de conscience?

Dans le cas du recours collectif canadien, le chemin est encore long avant de voir son application concrète : le jugement pour l’autorisation peut prendre de longs mois, il peut y avoir des tentatives de faire rejeter le recours, on peut s’attendre à ce que ça aille à la Cour suprême, un processus qui peut prendre des années prévient Me Péloffy.

Mais l’impact de ce recours collectif peut être d’une nature plus diffuse dans la société.

« Les gens en parlent, il y a l’idée d’une injustice inter-générationnelle qui apparaît. On peut espérer que ça mène vers des changements de conscience » avance-t-elle.

Les citoyens semblent en tout cas les mieux placés pour initier le mouvement, selon elle.

«La mentalité des citoyens évolue plus vite que celle des gouvernements. Et le fait d’aller devant les tribunaux est une des façons de montrer que les citoyens sont rendus plus loin » conclut Me Péloffy.