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La fraude sur les marchés publics doit être punie

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Jean-francois Parent

2018-11-28 13:15:00

La Cour est jugée trop laxiste envers les comploteurs d’un stratagème d’appels d’offres truqués ayant rapporté plus de 15M$.

Stéphane Godri, juge de la Cour du Québec.
Stéphane Godri, juge de la Cour du Québec.
C’est du moins ce qu’on comprend d’une récente décision de la Cour d’appel, qui rappelle la Cour du Québec à l’ordre.

Les entrepreneurs de la firme Civ-Bec, arrêtés dans le cadre des perquisitions de l’UPAC en 2012, ont écopé de peines dans la collectivité allant de 18 à 24 mois moins un jour pour des trucages leur ayant permis de remporter frauduleusement des soumissions d’une valeur de plus de 15 millions de dollars.

Ces peines imposées par le juge de la Cour du Québec Stéphane Godri, plus tôt cette année, avaient été jugées trop clémentes par le DPCP.

La Cour d’appel s’est rangée à l’avis du DPCP et a ordonné l’emprisonnement des filous. Pasquale Fedele, Jacques Lavoie et Patrick Alain, de Civ-Bec, l’entreprise qui traficotait les appels d’offres de Saint-Jean-sur-Richelieu, notamment.

Les accusés étaient représentés par Me Jean-Marc J.D. Tremblay, de Monterosso Giroux, Me Mélissa Beaulieu-Lussier et par Me Ngoc Thang Nguyen, respectivement.

Mes Magalie Cimon et Mathieu Longpré plaidaient pour le compte du DPCP.

Une fraude somme toute banale

Le nœud du problème réside dans le jugement de première instance, où le juge Godri distingue entre l’établissement de fausses factures et la fraude contractuelle dans son sens large.

Pour l’essentiel, Stéphane Godri estime que « le ministère public fait fausse route en comparant le stratagème utilisé pour obtenir les contrats de travaux publics avec les malversations qui font la manchette depuis quelques années au Québec en matière d’octroi de contrats publics ».

L’absence « d’abus de confiance ou de corruption » rend le stratagème de fausses factures moins grave, et ne requiert donc pas des peines aussi sévères que celles réclamées par le DPCP.

Malgré la préméditation des inculpés et leur cupidité avérée,« le système utilisé pour effectuer les fraudes, soit la collusion entre les entrepreneurs, n’était pas très compliqué », tandis que la « preuve est silencieuse quant au bénéfice qu’ils auraient pu retirer des fraudes et du stratagème des fausses factures ».

Ceci expliquant cela, les peines sont trop clémentes aux yeux du DPCP. Dans ses moyens d’appel, les procureurs de ce dernier soutiennent que le juge de première instance a insisté « indûment sur l’absence d’un facteur aggravant, à savoir l’abus de confiance, créant ainsi une minimisation injustifiée de la gravité objective et subjective des infractions et des facteurs aggravants prouvés », imposant des peines à toutes fins utiles inappropriées, soit des peines dans la collectivité allant de 18 à 23 mois.

Un jugement trop complaisant

Les entrepreneurs de la firme Civ-Bec, ont écopé de peines dans la collectivité allant de 18 à 24 mois moins.
Les entrepreneurs de la firme Civ-Bec, ont écopé de peines dans la collectivité allant de 18 à 24 mois moins.
Pour la Cour d’appel, le juge minimise la gravité subjective des infractions commises parce que « les stratagèmes utilisés ne sont pas sophistiqués, que les montants fraudés ne peuvent être chiffrés, que la preuve est silencieuse quant aux bénéfices qu’auraient pu en obtenir les intimés, etc. », peut-on lire dans la décision du 16 novembre.

Les juges Bich, Mainville et Healy écrivent que « les peines dans cette affaire sont nettement en marge des principes de réprobation et de dénonciation collective. Les conséquences très graves, à la fois financières et sociales, d’un système organisé de collusion dans l’octroi de contrats de travaux publics requièrent l’imposition de peines qui démontrent que de tels systèmes ne seront ni banalisés ni tolérés par les tribunaux ».

La Cour d’appel inflige donc de nouvelles peines, citant la proportionnalité invoquée dans R. c. Nasogaluak, arrêt selon lequel la peine doit « refléter la réprobation de la société à l’égard de l’infraction en cause(…) et correspondre à la culpabilité morale du délinquant ».

La Cour d’appel relève que « les fraudes impliquant des deniers publics sont particulièrement préoccupantes », et que les fraudes « dans les appels d’offres pour des travaux publics soulèvent d’ailleurs des préoccupations au Québec où ce type de comportement illégal semble avoir été fortement banalisé par plusieurs entrepreneurs œuvrant dans le milieu de la construction, dont plus particulièrement les intimés ».

Sans compter que de contourner les règles d’adjudication « comporte donc une gravité objective supplémentaire, considérant le risque élevé que ce genre de criminalité représente pour la société », minant la crédibilité des institutions politiques et la primauté du droit.

Et quoiqu’en pense le juge de première instance, on a bel et bien affaire à des « fraudes de grande importance dont la fourchette appropriée des peines se situerait entre 3 à 5 ans d’emprisonnement, vu l’absence d’abus de confiance ».

Direction la prison

Pour Pasquale Fedele, qui avait écopé de 18 mois dans la collectivité, le banc de trois juges estime plutôt qu’il mérite au minimum « plus de deux ans d’incarcération (et que) l’emprisonnement dans la collectivité ne peut être envisagé dans son cas vu que l’article 742.1 du Code criminel exclut cette mesure lorsque la peine est de deux ans ou plus ».

Pour Jacques Lavoie, « son implication dans l’affaire est grave et, selon le principe de la parité, la même peine devrait lui être imposée, vu notamment le risque de récidive qui existe dans son cas ». Cependant, le DPCP ne réclame que 24 mois moins un jour et, même si « dans les circonstances de cette affaire, une peine plus sévère aurait été justifiée », la Cour d’appel se range l’avis du DPCP et ordonne l’emprisonnement.

Pour le troisième complice Patrick Alain, « l’analyse des facteurs qui pourraient justifier une ordonnance d’emprisonnement dans la collectivité devient difficile, sinon impossible », tranche la Cour d’appel. D’autant que « selon le rapport présentenciel le concernant, Patrick Alain nie son implication », ce qui motive d’autant l’incarcération pendant 18 mois.
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