Covid-19

L’après-crise réserve des tribunaux engorgés

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Radio -canada

2020-04-22 11:15:00

La majorité des procès ont été reportés, ce qui laisse présager, pour l'avenir, des tribunaux engorgés. Des avocats témoignent...

Me Sylvie Schirm n’a pas eu à se rendre à la cour une seule fois depuis la mi-mars.
Me Sylvie Schirm n’a pas eu à se rendre à la cour une seule fois depuis la mi-mars.
La pandémie de COVID-19 a forcé la justice criminelle autant que civile à prendre un virage technologique ultrarapide. Les moyens ont vite été mis en place pour entendre les procédures urgentes (garde d’enfants, pension alimentaire, etc.). Mais les procès ont tous été reportés, ce qui laisse présager, pour l'avenir, des tribunaux engorgés.

Me Sylvie Schirm n’a pas eu à se rendre à la cour une seule fois depuis la mi-mars.

« On envoie tous les documents par courriel à un juge chargé de faire le triage pour déterminer l'urgence comme à l'hôpital, souligne l’avocate spécialisée en droit familial. Si la demande est considérée comme urgente, on peut procéder par téléphone. »

Comme d’autres collègues, Me Schirm a réussi à régler ses dossiers grâce à la négociation. Mais elle s’inquiète de la suite des choses, à l’instar de ses collègues des autres secteurs du droit.

Et la suite des choses, ce sont d’éventuels procès en ligne dans des salles d’audience virtuelles.

L’avocate, qui compte 30 ans d’expérience, se demande bien comment justice pourra être rendue et, surtout, comment on pourra jauger la crédibilité des témoins qui seront entendus à distance.

Sans compter qu’il faut bien souvent, en cours de procès, réajuster la stratégie, consulter le client, sortir dans le corridor pour faire baisser la tension.

Me Justin Roberge partage les mêmes craintes. Lui qui fait partie d’un comité de liaison pour tenter de réduire les délais prédit que la situation sera pénible et qu’un gros embouteillage attend les tribunaux au sortir de la crise sanitaire qui nous accable.

« Il faut d’abord rattraper le retard au chapitre de l’informatisation du système, ce qui est déjà un défi, constate Me Roberge, puis sensibiliser et rendre fonctionnels tous les intervenants qui auront à manipuler cette nouvelle technologie. »

L’idée de faire un procès dans une salle virtuelle ne l’enchante pas, c'est le moins qu'on puisse dire.

« Comment mener un contre-interrogatoire serré d’un témoin, d’un expert, par webcam, alors que je ne verrai même pas qui est devant lui? Si je ne vois pas l’environnement dans lequel se trouve le témoin, comment m'assurer que personne ne lui souffle les réponses? »

L’avocat reconnaît que cela s’est fait ailleurs, mais avance qu’il vaudrait mieux commencer par des audiences qui ne nécessitent pas de témoins. Ce qui suppose que ce n’est pas demain la veille que les procès pourront se tenir de façon virtuelle.

Compromis et créativité

La majorité des procès ont tous été reportés, ce qui laisse présager, pour l'avenir, des tribunaux engorgés.
La majorité des procès ont tous été reportés, ce qui laisse présager, pour l'avenir, des tribunaux engorgés.
Mais outre les moyens déployés par tous, la crise sanitaire a aussi activé la créativité chez les avocats et sans doute incité les parties à plus de souplesse.

Depuis que les mesures sanitaires sont en place, Me Suzanne Guillet travaille sans relâche. L’avocate multiplie les séances de médiation familiale.

Les couples en instance de séparation ont besoin d’exprimer leurs craintes, de ventiler. Lorsqu’ils viennent en médiation, c’est qu’ils sont prêts à discuter.

Quand ils ont pu faire part de leurs inquiétudes et qu’ils sont à moitié rassurés, ce sont bien souvent eux qui trouvent les solutions, remarque-t-elle.

Les nouvelles contraintes imposées par la pandémie ont bousculé les horaires de tout le monde.

Plusieurs personnes ont perdu leur travail ou ont vu leurs quarts de travail complètement chamboulés, mais dans ce chaos, d’ex-conjoints sont parvenus à s’entendre sur la division des gardes d’enfants, question de permettre à l’autre parent de travailler.

Certains couples ont même choisi de retourner vivre ensemble afin de faciliter les choses pour la durée du confinement.

Ce n’est pas le cas de tous les ex-conjoints, souligne Suzanne Guillet, qui raconte qu’elle-même a dû se plier à cette nouvelle réalité et adapter sa façon de travailler.

« J’ai offert des séances de médiation téléphonique à des personnes, tard le samedi soir, pour profiter du fait que les enfants étaient au lit et leur éviter d’être témoins de cette conversation douloureuse », dit Suzanne Guillet.

L’avocate constate que cette pandémie met bien des choses en perspective et force les gens à revoir leurs priorités.

C’est étonnant combien des choses qui étaient importantes ne le sont plus... combien de disputes pour des sommes d’argent sont devenues secondaires, note Me Guillet.

Conséquences à venir

Depuis quelques semaines, les questions de garde d’enfants et de droit d’accès ont occupé les parents, et la Cour supérieure a entendu des causes urgentes un peu partout au Québec.

Le ministère de la Justice n’a pas tardé à rappeler la règle.

Autant que possible, les ordonnances et les jugements rendus se doivent d’être respectés à moins d’une situation incontrôlable (comme un enfant ou un parent infecté par la COVID-19 ou mis en quarantaine).

Mais les avocats s’attendent à ce que les tribunaux soient éventuellement saisis de plusieurs demandes de révision de pension alimentaire en réaction au bouleversement économique engendré par la crise.

Me Justin Roberge convient que le télétravail permet à bien des gens d'éviter le pire et que des mesures sont en place pour tenter de venir en aide au plus grand nombre de citoyens, mais tôt ou tard, des conséquences surviendront et cette question sera soumise au tribunal.

Sa collègue Me Schirm appréhende la même situation qui se compliquera (en cas de divorce et de partage des biens) lorsqu'il s’agira d’évaluer la valeur réelle des biens du couple, une valeur qui sera immanquablement infléchie par les hoquets d’une l’économie que le coronavirus aura meurtrie.

Comment les tribunaux s’orienteront-ils? Pourront-ils s’appuyer sur la jurisprudence constituée lors de la crise économique de 2008?

Voilà bien des inconnus dans un univers qui doit composer avec l’incertitude causée par cette situation inédite.
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