La triparentalité reconnue au Québec

Sonia Semere
2025-05-09 15:00:33

Une décision historique. La Cour supérieure du Québec a statué, le 25 avril dernier, que la limite de deux liens de filiation prévue au Code civil est inconstitutionnelle.
Le juge Andres C. Garin accorde au gouvernement du Québec un délai de 12 mois pour mettre en place un nouveau régime de filiation qui ne comporte plus cette restriction.
La décision repose sur les cas de trois familles sans lien entre elles, mais dont les parcours illustrent bien la diversité des structures parentales modernes.
Dans le premier dossier, un couple hétérosexuel déjà parent forme un trio amoureux avec une autre femme. Le deuxième cas implique un couple dont la femme, après une chimiothérapie, devient mère grâce à une mère porteuse.
Le troisième cas concerne un couple de femmes ayant eu recours à un ami gai pour concevoir un enfant.
Avec ce jugement, le Québec devrait emboîter le pas à d’autres juridictions canadiennes, dont l’Ontario, la Colombie-Britannique, l’Alberta et la Saskatchewan, qui reconnaissent déjà la pluriparentalité dans certaines circonstances.
Me Marc-André Landry, associé au sein du cabinet Lavery, a représenté les familles à titre pro bono. Son engagement pour la reconnaissance de la pluriparentalité, les motivations du juge, les implications sociales et juridiques de la décision… il se confie à Droit-inc.
Pourriez-vous résumer le cœur de la décision rendue par la Cour ?
Dans cette affaire, la Cour a d’abord reconnu l’évolution des modèles familiaux à travers les époques, en faisant notamment référence à l’homoparentalité. La question centrale était de savoir si, en vertu du droit québécois, il est possible de reconnaître légalement plus de deux parents pour un même enfant.
Le juge Garin a conclu que le Code civil, dans sa forme actuelle, ne le permettait pas. Il a donc fallu analyser la situation sous un angle constitutionnel. Nous avons plaidé plusieurs fondements, notamment le droit à la sécurité ainsi que la protection contre la discrimination fondée sur divers motifs.
Le juge a retenu que les dispositions du Code civil qui limitent la filiation à deux parents ou moins sont discriminatoires au sens de l’article 15 de la Charte canadienne, en raison du statut familial, qui est reconnu comme un motif analogue. Ce motif, bien qu’il ne figure pas explicitement à l’article 15, est considéré comme une caractéristique immuable liée à la personne.
Une fois cette discrimination établie, la Cour devait déterminer si elle pouvait être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte. Le juge Garin a tranché que non : cette discrimination ne peut être justifiée dans une société libre et démocratique.
Par conséquent, les articles du Code civil qui restreignent la parentalité à deux personnes sont invalides. Le juge a accordé un délai de 12 mois au législateur pour modifier la législation, compte tenu de la complexité du droit de la filiation.
En quoi cette décision change-t-elle concrètement le droit de la filiation au Québec ?
Il s’agit d’un renversement majeur, d’autant plus que, lors de la récente réforme du droit de la famille, notamment sur la procréation assistée et les mères porteuses, le ministre de la Justice avait expressément refusé d’inclure la multiparenté à l’ordre du jour.
Aujourd’hui, la Cour affirme clairement que cette réalité familiale doit être reconnue, comme c’est déjà le cas dans plusieurs autres juridictions canadiennes, nord-américaines et européennes.
Et vous, en tant qu’avocat pro bono, quel rôle avez-vous joué dans ce dossier? Qu’est-ce qui vous a motivé à vous engager dans ce combat pour la reconnaissance des familles pluriparentales ?
Nous étions plusieurs avocats à nous être impliqués bénévolement dans ce dossier. Il allait de soi que j’allais m’y investir. La question me touchait personnellement.
Je suis né dans une famille « traditionnelle » : un père et une mère mariés. Mais mes parents ont divorcé quand j’avais un an, et depuis mes trois ans, ma mère est en couple avec une femme, Ginette. Ginette était avocate, ma mère infirmière, mon père économiste, et Ginette m’a élevé comme son propre fils.
Je l’ai toujours appelée « ma mère » aussi. Bien sûr, dans mon cas, la multiparenté juridique ne s’appliquerait pas, car Ginette n’était pas partie prenante au projet parental initial. Mais je comprends très bien ce que vit un enfant qui est élevé par trois parents et qui doit constamment justifier sa réalité familiale. C’est cette compréhension intime et personnelle qui m’a poussé à m’engager dans cette cause.