Le professeur Alain Roy. Photo : Facebook.
Le professeur Alain Roy. Photo : Facebook.
C’est la controverse à l’Université d’Ottawa, où la professeure Verushka Lieutenant-Duval a été suspendue à la fin septembre pour avoir prononcé le mot « n**** » dans un cadre académique.

Devant l’indignation de ses étudiants, elle s’est excusée et leur a fait parvenir un courriel où elle proposait d’« aborder la question la semaine prochaine afin de réfléchir à ce qui convient pour traiter ce mot. Vaut-il mieux ne pas le prononcer parce qu’il est sensible? Le silence ne mène-t-il pas à l’oubli et au statu quo? »

Ce courriel a mis le feu aux poudres sur les réseaux sociaux. La professeure Lieutenant-Duval a été la cible de menaces, puis a été suspendue par l’Université d’Ottawa.

Le recteur de l’université, le juriste Me Jacques Frémont, a affirmé que la professeure avait commis une erreur en utilisant le mot « n**** », même si elle le nommait pour donner un contexte à l’art queer.

« Lors de l’incident, l’enseignante avait tout à fait le choix, dans ses propos, d’utiliser ou non le mot commençant par N; elle a choisi de le faire avec les conséquences que l’on sait », a déclaré le recteur.

Le principal regroupement de syndicats de professeurs d’université s’indigne d’une « censure morale ».

Le professeur de la Faculté de droit de l’Université de Montréal Alain Roy s’est quant à lui exprimé sur sa page Facebook personnelle.

Source : Facebook/Alain Roy Perso.

« Droit étudiant

Aucun mot ne peut et ne doit être mis à l’index dans un contexte universitaire, à moins qu’on en fasse usage avec l‘intention de blesser. Un mot ne peut jamais être considéré comme une insulte. Les mots font partie de l’histoire, aussi peu glorieuse soit-elle. Et l’histoire doit s’enseigner.

La réaction du recteur Frémont me laisse sans mot… », écrit le professeur Roy.

Si la réaction du recteur a laissé le professeur Roy sans mot, la publication sur Facebook a au contraire fait naître bien des mots des internautes. Plusieurs appuient sans réserve l’opinion du professeur, comme Mireille Hamelin.

« Tout à fait. Il y a les maux. Et les mots pour l'histoire », commente-t-elle à la suite de la publication.

D’autres, au contraire, se sont rebiffés et ont expliqué pourquoi le mot N ne devrait jamais être dit, même dans un contexte académique. La publication de Me Alain Roy est devenue une agora où le débat s’est fait féroce.

« À titre de prof qui enseigne des matières très sensibles, soit le droit de la famille, le droit de l’enfant et l’éthique animale, (...) je me fais un devoir de favoriser les débats d’idées, et tous les points de vue exprimés avec respect et sensibilité sont les bienvenus », indique le professeur Roy dans un courriel à Droit-inc.

« Mon objectif n’est pas seulement de présenter le droit positif, mais de développer l’esprit critique des étudiant.es, poursuit le professeur. C’est très clair dès le début des cours et c’est inscrit formellement dans les objectifs de mes syllabus. C’est dans cette perspective que je me suis permis de prendre position dans le débat sur ma page FB… Ouf… »

Ne jamais, jamais utiliser ce mot

«Ouf », effectivement. Le professeur ne s’attendait pas à une telle réaction en ligne, et de certains de ses propres étudiants de surcroît. Bien d’entre eux ont été peinés et indignés par sa publication.

Voici quelques extraits.

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Le commentaire de Mme Elvia Valeska Garcia Vera suite à la publication originale a reçu pas moins de 56 réponses, dont celle-ci du professeur Roy.

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Mme Safi Nsiempba, qui a été une étudiante du professeur Roy, l’accuse quant à elle de « déshumaniser totalement la question ».

« Non seulement j’ai à faire un premier ministre qui nie le racisme systémique mais en plus un professeur qui ne pourrait pas assurer un environnement sensible et sécuritaire au sein duquel je ne me sentirais pas attaquée, poursuit Mme Nsiempba. La liberté de l’un s'arrête là où celle de l’autre commence. Pour avoir été votre étudiante, j’ai dépassé le stade de la déception, je pense que votre progressisme a ses limites et clairement vous venez d’en faire la preuve. »

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Le commentaire de la jeune femme a touché son ancien professeur au coeur. « Vos accusations sont indignes », lui répond Me Roy.

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Le professeur Roy a malgré tout pu lire certains commentaires positifs venant de la communauté noire québécoise, dont celui de Mme Nathalie St-Amand.

« Il faut éviter ces dérapages outre-mesure de l'homme Noir qui se sent constamment Inférieur à l'homme blanc; alors que certains Blancs n'y voient aucune différence, estime Mme St-Amand. Or, CES mots sont inscrits dans l'histoire et avec CES mots l'on écrit la même histoire. »

Vous pourrez lire le commentaire de Mme St-Amand dans son intégralité à la suite de cet article.

« Je suis devenu un méchant »

Le professeur Roy a fait parvenir à Droit-inc le commentaire qu’il a écrit suite à un éditorial de La Presse. Il y exprime tout le désarroi qu’a causé en lui les réactions des internautes suite à sa publication, les internautes dont certains étaient des étudiants avec qui il croyait « avoir un lien de confiance ».

« J’ai terriblement mal dormi cette nuit. J’ai trouvé très dur d’être pris pour cible par des étudiant.es avec qui je croyais avoir un lien de confiance, avec qui j’ai collaboré d’une manière ou d’une autre dans la lutte aux oppressions sous une forme ou sous une autre, du simple fait d’avoir invité au débat sur cette page et d’avoir exprimé mon avis.

Je suis devenu un méchant, un prof insensible à la souffrance d’autrui. Et lorsque j’ai osé écrire que ceux et celles qui étaient inscrit.es à mes cours de l’hiver que sont le droit de l’enfant et l’éthique animale devraient peut être reconsidérer leur décision d’y assister puisqu’il y est question d’enjeux délicats abordés dans le respect des opinions de tous et chacun, mais sans censure, c’en était fait : « Franchement troublant », a-t-on écrit, que « j’incite les étudiant.es à l’abandon » et que je sois fermé... à la liberté d’expression.

Ça laisse un goût amer. Mais bon, il faut continuer à avancer, resté concentré sur nos convictions, la lutte aux inégalités est trop importante pour qu’on se laisse démobiliser. »

Le professeur enseigne depuis des années des matières qui sont sujettes à débats et qui peuvent heurter les sensibilités :
  • Droit de l’enfant : avortement, châtiment corporel de l’enfant, droit de l’enfant adopté de connaître ses origines, adoption autochtone, etc.
  • Droit de la famille : égalité homme-femme, mariage entre conjoints de même sexe, homoparenté, etc.
  • Éthique animale : utilisation des êtres animaux à des fins récréatives, abattage animal rituel, véganisme, etc.

Aucun de ses cours n’aborde précisément le droit des Noirs, et parions que cela demeurera ainsi...

Le commentaire de Mme Nathalie St-Amand à la suite de la publication du professeur Alain Roy.

« Commençons par le commencement! Je suis abasourdie de constater que l'utilisation d'un simple mot puisse toucher autant dans un contexte purement académique!

Ce que JE dis lors de mes discussions sur l'Histoire des Noirs, c'est que NOUS devons apprendre à mener nos combats. Ici, le sujet ne traite pas de racisme, mais bien tourne autour du mot NÈGRE que même le rédacteur du texte n'a osé écrire au complet craignant de blesser certaines âmes sensibles.

Les Noirs reprochent aux Blancs incluant même les écoles congréganistes en Haïti de ne pas nous enseigner NOTRE histoire. Et quand vient le temps d'en parler, un expert doit taire certains mots ou certaines expressions... qui font pourtant partie de l'histoire. Il y a une division au sein de la communauté noire - certains sont en faveur du mois de l'histoire des Noirs qui est février et d'autres entièrement en désaccord.

Voyons! Est-ce que le mot existe? Et dans quel contexte l'emploie-t-on? Dans le cadre d'une insulte d'une personne mal intentionnée, il sortira! Et ce, sans hypocrisie! Pourquoi? Pour blesser! Pour faire mal! Est-ce qu'il fait mal! OUI! Parce que cela nous rappelle une certaine diminution entre deux êtres humains.

Nous avons déjà lutté pour cette liberté et ce droit! Celui d'être reconnu et accepté pour un être humain. Est-ce que nos enfants subissent encore les séquelles de l'esclavage? OUI!

Somme toute, par qui l'histoire serait-elle mieux enseignée si les mots causent autant de maux à toute l'Humanité? Il faut éviter ces dérapages outre-mesure de l'homme Noir qui se sent constamment Inférieur à l'homme blanc; alors que certains Blancs n'y voient aucune différence. Or, CES mots sont inscrits dans l'histoire et avec CES mots l'on écrit la même histoire.

N'oublions pas d'avoir fait de grands progrès. Et, cette même histoire nous conte que des Nègres ont été sauvés par des Blancs qui ont risqué leur vie pour nous aider à nous libérer. Certains les dénoncent encore et nous sommes conscients qu'ici le racisme n'est toléré sous aucune forme.

Nous avons déjà mené la plus grande bataille et la plus historique de l'Humanité. Donc, nous devrions avoir grandi. La lutte continue, certes! Faisons place à notre intellect pour éviter d'accuser à tort et à travers tout ce qui est contraire à notre opinion personnelle. Ceci étant, pour s'instruire il faut connaître l'Histoire.

Et si, dans le même contexte académique le mot avait été utilisé par un professeur NOIR pour expliquer la même histoire, aurait-il eu autant d'impact? »