Les interventions de la Cour d’appel en matière de sentence

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Julie Couture

2020-11-25 11:15:00

Faut-il aller en appel en matière de sentence? Notre criminaliste prend la plume pour dresser un récapitulatif de la Cour d’appel dans ce domaine...

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Vous êtes nombreux à me lire et à me contacter à la suite de la lecture de mes chroniques sur Droit-inc.com. Vous me signalez votre intérêt grandissant pour les sujets abordés dans ces chroniques et ça me touche beaucoup. J'ai également reçu des félicitations et je vous en remercie. C'est quelque chose qui fait partie de moi : j’aime partager l’information et surtout la rendre accessible à tous. On me fait parfois remarquer que cet exercice me permet de demeurer au courant de la mise à jour de la jurisprudence et de l’état du droit. Ce à quoi je réponds par l’affirmative. En effet, pourquoi ne pas combiner ces deux désirs : celui d'apprendre et celui de partager mes connaissances. C'est dans cet esprit de partage d'information que, pour cette septième chronique, j’ai décidé de vous présenter un récapitulatif des interventions de notre Cour d’appel en matière de sentence.

Aller ou ne pas aller en appel : telle est la question

On entend souvent dire, et ce fut longtemps mon propre discours, qu'il ne vaut mieux pas aller en appel. Sans faire de jeu de mot douteux, c'est souvent peine perdue. Pourquoi? Car on sait que la Cour d’appel est limitée dans son pouvoir d’intervention, comme on sait qu’elle intervient seulement si la peine est manifestement déraisonnable ou si une erreur de principe découle de l’analyse en première instance. Cela dit, il y a lieu d'analyser chaque dossier avant de prendre une telle décision.

Sentence « bonbon » et opinion publique

Il suffit d'aller faire un tour sur les différentes plateformes de médias sociaux pour y trouver des individus aux opinions très fortes, qui prétendent qu'on assiste à une clémence générale en matière de sentence. On y prétend que les accusés reçoivent des sentences « bonbons » et que le droit est en faveur de ceux-ci plutôt que des victimes. C'est un discours qui, s'il ne fait pas l'unanimité, est assez répandu.

Depuis le mouvement #metoo, une grande part de l'opinion publique tend à croire spontanément la victime avant même de connaître les faits. Les dénonciations publiques sur internet ont d'ailleurs beaucoup fait jaser en 2020. C'est un sujet qui divise.

Beaucoup considèrent que le processus judiciaire actuel en matière de crime sexuel est injuste pour la victime, qui doit témoigner et faire la preuve de ce qu’elle avance. C'est peut-être une des raisons qui attire la compassion du public et par conséquent, son appui. Or, le tribunal populaire ne doit pas se substituer au système de justice, et c'est devant les tribunaux que les faits doivent être analysés. Le résultat qui en découle n’est pas toujours ce à quoi la victime s’attendait. Que ce soit parce que l’accusé se voit acquitté ou parce qu’il s’en sort avec une peine que certains considèrent trop clémente, rien n'est jamais gagné d'avance.

Quand on peut éviter un procès

Dans un article récent sur mon blogue juridique, j’expliquais qu’en chambre criminelle, on a instauré aussi des conférences de facilitation. Cela sert à faire le point sur la sentence à venir et voir s'il y a possibilité de régler le dossier autrement que lors d'un procès. Il arrive des situations où cela s'avère la meilleure solution à la fois pour l'accusé et la victime. L’idéal est d’avoir une suggestion commune, un compromis gagnant pour les deux parties. Mais quand la durée de détention est en cause ou qu'il faut soupeser la dénonciation et l’exemplarité au détriment de la réhabilitation et la réinsertion, les positions peuvent diverger. Devant une impasse, on peut avoir recours à la conférence de facilitation.

Qu'en est-il des véritables sentences?

Mais qu’en est-il réellement des sentences imposées et que voyons-nous dans nos salles de Cour? Je constate que les peines sont justes et appropriées, en regard à l’individu qui commet le crime, mais aussi en raison de la gravité de celui-ci. Écouter, comprendre et décider : tel est le mandat qui est donné à nos juges. Le juge d'un procès doit faire la part des choses entre l'accusé, qui peut éprouver regrets et remords, et la victime, qui peut être vulnérable, stressée et humiliée. C'est très complexe et délicat. Ce peut l'être encore davantage lorsque les avocats ne s’entendent pas sur l’issue du dossier.

Le rôle de la Cour d'appel

Il n’est pas rare qu'un dossier se retrouve en Cour d’appel par faute d’avoir obtenu gain de cause en première instance. Il revient donc à celle-ci la délicate tâche de soupeser le tout, à trois, avec un regard nouveau. Est-ce que notre Cour d’appel intervient favorablement vers une réduction de la peine ou tend plutôt vers une augmentation de celle-ci? C’est ce que j'aborde dans les prochaines lignes.

Tous savent que la Cour d’appel doit faire preuve de retenue lors de l’appel d’une sentence. Son intervention est limitée aux situations contre-indiquées et où il y a erreur dans la détermination de la peine à donner. Il faut que l’erreur ait eu une incidence sur la détermination de la peine pour que ce soit justifié.

Après avoir pris le temps de consulter les décisions de l’année en cours en matière de sentence sur le site de la Cour d’appel, je fus agréablement étonnée des résultats de ma recherche. S'il fut un temps où j’ai eu l’impression qu’elle n’intervenait que rarement, cette fois-ci j’ai plutôt trouvé leur analyse rigoureuse et interventionniste.

Quelques décisions en matière de sentence en 2020

Dans un jugement où l’individu a reçu une peine de douze (12) ans d’incarcération, bien qu’elle l’ait trouvé sévère, la Cour d'appel a statué et conclu qu’elle n’était pas nettement déraisonnable. En effet, l’individu en cause était un criminel de carrière spécialisé en trafic de stupéfiants. La Cour d'appel n’est donc pas intervenue dans ce cas-ci. Cela dit, dans presque tous les autres cas, elle est intervenue, que ce soit à la hausse ou à la baisse.

Dans une décision R. c. Colegrove, la peine d'une personne autochtone accusée d'événements de violence jugés graves et survenus à de nombreuses reprises, a été augmentée par la Cour d’appel. Suite à leur révision, la personne a reçu une sentence de 44 mois d’emprisonnement. Bien que l’homme puisse bénéficier d’une peine plus clémente dû à son statut d’autochtone, la Cour d'appel a néanmoins réévalué la sentence à la hausse, notamment à cause du risque de récidive considéré élevé.

Dans la décision R. c. Sylvain, concernant un cas de voies de faits graves lors d'une bagarre à la sortie d'un bar, la Cour d’Appel a non seulement accueilli la requête pour permission d’appeler ainsi que l’appel en partie, mais a également cassé l’ordonnance de peine discontinue. Le jugement initial imposait une peine d’une période de 90 jours de détention de fins de semaines. En effet, « l’imposition d’une peine d’emprisonnement discontinue exigeait une démonstration convaincante que celle-ci est proportionnelle à la gravité objective de l’infraction et à la culpabilité morale du contrevenant, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, puisqu’il s’agit d’une agression violente, grave et injustifiée à l’endroit d’un inconnu. » La peine a donc été revue à la hausse. Une sentence d’emprisonnement de 24 mois moins 1 jour a été substituée à celle imposée en première instance.

À l’inverse, dans la cause Nadeau c. R., la Cour d’Appel a déterminé que le juge de première instance avait commis une erreur de principe quant à la sentence émise en n’envisageant pas de rendre une ordonnance d’emprisonnement dans la collectivité. Puisque les préalables prévus à l’article 742.1 du Code criminel étaient réunis, ça aurait dû être le cas. Bien que l’appelant ait été poursuivi par mise en accusation, les infractions reprochées offraient un très large éventail de peines possibles. De nombreux facteurs atténuants avaient été notés au dossier. L'appel fut donc accueilli et la Cour a substitué la peine de 17 mois et 22 jours d’emprisonnement à une peine de 17 mois et 22 jours d’emprisonnement avec sursis à être purgée dans la collectivité.

Dans un autre jugement, concernant le projet Diligence, la Cour d’appel dans R. c. Lafortune a pratiquement doublé la peine d’emprisonnement à être purgée à domicile par l'accusé. En effet, l’accusé avait aidé un membre des Hells Angels à planifier le blanchiment d’argent de la drogue dans l’industrie de la construction et la prise de contrôle du marché de la maçonnerie entre les années 2006 et 2009. L'homme avait été initialement condamné à 12 mois d’emprisonnement dans la collectivité ; la Cour d’appel a fait passer de 12 à 23 mois sa peine à purger dans la collectivité.

Dans le jugement R. c. Foster, pour des voies de faits graves, une peine d’emprisonnement de 15 mois fut substituée à celle de 90 jours d'emprisonnement les fins de semaine imposée en première instance, et ce même si l’individu avait déjà purgé sa peine discontinue. Il fut déterminé que « l’imposition d’une peine d’emprisonnement discontinue ne constitue pas une expression du principe de dénonciation qui correspond à la gravité objective de l’infraction ou à la responsabilité morale de l’intimé, compte tenu notamment de son refus de suivre le traitement médical requis par son TDAH qui pourrait diminuer son risque de récidive. »

Un autre jugement rendu par notre Cour d’appel, R. c. Amato, a revu à la hausse la peine imposée au contrevenant. La Cour rappelle ici le principe de parité et a comparé la peine imposée à un autre individu faisant partie de la même organisation criminelle avec un degré de responsabilité supérieur, Siminaro, qui lui avait plaidé coupable plus tôt dans le processus. Ceci lui avait été favorable. La peine ayant été imposée à Siminaro étant de 36 mois, la Cour a imposé à Amato une peine de 30 mois en modifiant la peine imposée en première instance.

Les fourchettes de peines

En 2019, la Cour suprême est intervenue dans l’affaire R. c. Friesen, 2020 CSC 9, une histoire horrible de contacts sexuels avec des enfants et de tentative d'extorsion. L'accusé avait reçu en première instance une peine de 12 ans d'emprisonnement. La Cour d’appel a réduit la peine à quatre ans et demi d’emprisonnement pour l’infraction de contacts sexuels et à dix-huit mois d’emprisonnement à purger concurremment pour l’infraction de tentative d’extorsion. L'affaire s'est finalement rendue en Cour Suprême pour répondre à la question suivante : La Cour d’appel a-t-elle fait erreur en modifiant la peine infligée par le juge chargé de déterminer la peine? La Cour suprême a finalement ensuite rétabli la peine initiale de 12 ans, et s'attaque à la fourchette des peines données en matière d’abus sexuels sur les enfants. « Au stade de la détermination de la peine, pour bien s’attaquer à la violence sexuelle contre des enfants, les juges chargés de déterminer une peine doivent bien comprendre le caractère répréhensible des infractions d’ordre sexuel à l’égard d’enfants et les torts considérables qu’elles causent, et donner effet à ces deux facteurs dans l’infliction d’une peine. »

Un jugement étoffé, qui rappelle que bien que les agressions sexuelles laissent des marques non seulement physiques, mais aussi psychologiques sur leurs victimes. La violence sexuelle affecte tant l’intégrité physique que sexuelle. Les dommages subis par les victimes sont grands et documentés. Les législateurs, en augmentant les peines minimales, renforcent le sentiment d'importance de sévir contre les crimes sexuels à l’égard des enfants.

La Cour dicte :

« Les enfants sont les plus vulnérables et en danger chez eux et auprès des personnes en qui ils ont confiance. (…) Plus de 74 % des infractions d’ordre sexuel à l’endroit d’enfants et de jeunes déclarées par la police ont été commises dans une résidence privée en 2012 et 88 % de ces infractions ont été commises par une personne connue de la victime. »

La protection des enfants est l’une des valeurs les plus fondamentales de notre société et ce jugement reflète l'importance de cette valeur chère à nos yeux. Dans la pratique quotidienne, depuis l’arrêt Friesen, on remarque une certaine augmentation dans la sévérité des peines dans ce type de crime. La fourchette des peines possibles est là pour nous aider à déterminer la sentence appropriée pour chaque cas. Cette année, les tribunaux d'appel nous invitent à revoir nos critères habituels.

Sentences, communication et terrains d'entente

En conclusion, on constate que les Cours d’appel se questionnent constamment sur la manière d'arriver à la meilleure sentence possible. Il faut travailler plus encore nos représentations sur sentence.

Je reste convaincue que la suggestion commune des parties est une solution gagnante, puisque depuis l’arrêt Cook, le juge est pratiquement tenu de la suivre et ne peut s’en dissocier. Face à une impasse, une conférence de facilitation peut certainement aider les parties à trouver un terrain d’entente, évitant ainsi un processus d’appel et des années d’incertitude et d'insécurité. Quand un appel est rejeté, le client doit se constituer prisonnier et bien souvent, de grands espoirs sont anéantis.

La communication est une des clés de la réussite. Parlons-nous, entendons-nous et surtout, expliquons bien les choses à nos clients, dans la douceur et la compassion.

Sur l’auteure

Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Elle a fait ses débuts avec l'honorable juge Marco LaBrie et l'honorable Alexandre St-Onge tous deux maintenant juge à la Cour du Québec. Fondatrice de Couture avocats, elle pratique en droit criminel et pénal exclusivement.

Maître de stage pour le barreau du Québec, elle a longtemps formé les jeunes avocats et avocates criminalistes ce qui lui a aussi permis d’avoir trois enfants. Entrepreneure depuis le début de sa pratique du droit, et très présente sur le web, elle pourra partager ses expériences afin d'aider le plus possible la communauté juridique. Elle a longtemps commenté l'actualité dans le Journal de Montréal comme l'avocate du journal et dans son blogue juridique en plus de plusieurs passages à la télévision.
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