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Une veuve fait appel du jugement sur le refus d'accorder un foie à son défunt mari

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Radio -canada

2021-05-03 13:15:00

L’homme en question est mort d’une hépatite alcoolique grave, mais n’a pas pu bénéficier d’une greffe malgré les souhaits de son épouse…

Debra Selkirk. Photo : LinkedIn
Debra Selkirk. Photo : LinkedIn
Debra Selkirk interjette appel de la décision d'un tribunal ontarien qui a statué en mars que les règlements sur les transplantations d'organes du Réseau Trillium pour le don de vie et du Réseau universitaire de santé ne sont ni anticonstitutionnels ni discriminatoires contre les personnes qui ont une dépendance à l'alcool.

À l'époque de sa mort, Mark Selkirk n'a pu être inscrit sur la liste d'attente pour une greffe de foie, parce qu'il n'était pas sobre depuis six mois.

Il était entré à l'hôpital à l'automne 2010, où il a reçu un diagnostic d'insuffisance hépatique aiguë. « On lui a dit qu'il avait besoin d'une transplantation de foie urgente, parce que les tests sanguins ont révélé qu'il avait une espérance de survie de 10 à 20 % sans greffe », se souvient sa femme Debra Selkirk.

M. Selkirk explique à son hématologue qu'il n'a pas bu un verre depuis trois semaines. « Elle lui a répondu qu'on ne prendrait pas son cas en compte, puisqu'il faut être sobre durant six mois avant que son nom soit inscrit sur la liste des patients en attente d'une greffe », poursuit Mme Selkirk.

Mark Selkirk meurt une douzaine de jours plus tard d'insuffisance hépatique le 24 novembre 2010 à 52 ans.

« Les personnes ayant une dépendance à l'alcool sont stigmatisées dans la communauté médicale, qui est réticente à les soigner, ou à leur offrir une greffe, et cette remontrance est universelle », affirme la plaignante Debra Selkirk.

Devant le refus des médecins, Mme Selkirk a proposé de donner une partie de son foie à son mari, mais en vain. « Le foie est un organe qui se régénère en trois mois, mais il faut en prélever une portion variant de 60 à 70 % pour pouvoir greffer l'organe sain à un malade », explique-t-elle.

Mme Selkirk dit qu'elle n'était pas inquiète pour sa santé et qu'elle était prête à faire ce sacrifice, parce que le Réseau universitaire de santé (UHN) a réalisé 800 opérations en 20 ans, selon ses recherches, grâce aux organes d'un donneur en vie.
« Il n'y a rien de plus traumatisant que de voir des médecins qui refusent de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour sauver un être cher », dit-elle.

Règles et obligations

En Ontario, c'est le Réseau Trillium pour le don de vie (RTDV) qui administre les programmes de dons d'organes dans la province. Il établit les critères d'admissibilité des patients. L'UHN (Réseau universitaire de santé) gère pour sa part le programme de dons d'organes pour les donneurs vivants.

À partir de 2015, Mme Selkirk conteste le délai de six mois de sobriété que le RTDV avait établi en 2010 pour les personnes ayant une dépendance à l'alcool. Un délai qu'elle juge anticonstitutionnel et discriminatoire, puisque les malades qui souffrent d'un problème de foie non lié à l'alcool n'ont pas à attendre.

À son audience en février 2021, Mme Selkirk soutenait que le refus de l'hôpital d'aider son mari violait ses droits inscrits à la charte et que cette violation a provoqué sa mort.

« Il existe une peur dans le public selon laquelle les donneurs n'accepteront pas de donner leur foie à un receveur qui a un trouble lié à la consommation d'alcool, parce qu'ils ont l'impression que leur organe sera gaspillé et c'est exactement ce que les médecins m'ont expliqué », selon Debra Selkirk.

La résidante de Hamilton ajoute qu'il ne s'agit en fait que d'un mythe, puisque les règles de l'UHN sont fondées sur l'anonymat, c'est-à-dire que le donneur, ou sa famille, ignore tout de l'identité et de la condition médicale du receveur.
Mme Selkirk affirme que les toxicomanes devraient avoir le même accès à une transplantation de foie que ceux qui vivent avec l'Hépatite C ou qui souffrent d'embonpoint.

Elle explique par exemple que les personnes qui ont de mauvaises habitudes alimentaires n'ont pas à prouver qu'elles sont capables d'arrêter de consommer de la malbouffe. « Ceux qui consomment trop d'alcool sont donc punis par rapport à ceux qui mangent mal », déclare-t-elle.

Selon elle, les critères du Réseau Trillium sont arbitraires et ils mettent en danger la vie des patients, bien qu'ils n'aient aucune preuve scientifique. « Il est en revanche médicalement prouvé que les patients comme mon mari meurent avant six mois s'ils ne reçoivent pas une greffe à temps », dit-elle.

Décision de la magistrate

Dans son verdict, la juge Jasmine Akbarali mentionne que les dons d'organe sont rares en Ontario et que cette pénurie contraint les médecins à prendre des décisions difficiles. « La liste d'attente a été établie pour attribuer de façon judicieuse les organes disponibles », écrit-elle.

Elle cite des statistiques indiquant que 202 foies ont été greffés en Ontario d'avril 2018 à mars 2019, alors que de 700 à 750 patients étaient en attente d'un nouveau foie dans la province durant la même année.

« Greffer le foie d'un donneur à un patient insatisfaisant ne sauvera probablement pas la vie du receveur, mais sacrifiera à coup sûr la vie d'un patient prometteur qui aurait pu survivre s'il avait reçu le même foie. L'enjeu ne pourrait être plus élevé », avance la magistrate Jasmine Akbarali.

La magistrate rappelle en outre à Mme Selkirk que le taux de morbidité chez un donneur vivant est de 30 % à la suite du prélèvement d'une partie d'un foie, bien que le taux de mortalité ne soit que de 0,2 %. « Un risque trop élevé pour la santé du donneur », souligne-t-elle.

La juge a donné raison au Réseau Trillium en précisant qu'il n'existe pas de science exacte. « Le monde médical n'a pas réussi à développer une meilleure méthode pour s'assurer que les organes qui sont rares sont octroyés de façon raisonnable à ceux qui en bénéficieront probablement le plus pour leur santé », poursuit-elle.

Elle a enfin salué les efforts de Mme Selkirk pour sa détermination à défendre des patients qui sont dans la même situation que celle de son mari. « Vous lui avez rendu sa dignité », conclut-elle.

Une cause déjà caduque

La magistrate reconnaît toutefois que la moitié des arguments de Mme Selkirk sont devenus caduques lors des audiences, parce que l'obligation des six mois de sobriété a été abandonnée avec l'adoption d'un projet pilote, qui est devenu la norme en novembre 2020.

Le Réseau Trillium a en effet changé ce critère controversé, en lançant en 2016 un projet pilote après des discussions avec l'UHN. « J'étais très heureuse de l'apprendre, parce que d'autres personnes dépendantes auraient enfin plus de chance que Mark », se souvient Mme Selkirk.

La plaignante admet qu'il est maintenant facile de s'inscrire sur la liste d'attente, mais les nouveaux critères de sélection sont si strictes selon elle, que seuls 10 % des malades ayant une dépendance à l'alcool arrivent à obtenir une transplantation.

« Ils regardent si vous êtes en mesure de rester sobre durant six mois, ils testent votre dépendance à l'alcool, ils regardent votre historique de consommation... rien n'a changé , vous êtes de facto disqualifié », explique-t-elle en donnant les raisons de son appel.

« Il est inacceptable de maintenir le statu quo, si vous savez que vous allez refuser un patient; il vous incombe de poursuivre les recherches et d'assouplir vos critères de sélection, parce qu'il est question de la vie d'un individu », selon Debra Selkirk.

Le Réseau Trillium n'a jamais répondu à nos demandes d'entrevue pour les fins de cet article. L'UHN écrit pour sa part dans un courriel qu'il serait inapproprié de faire un commentaire, puisque le litige est entré dans sa phase d'appel.
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