Peut-on se cacher derrière un pseudonyme?

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Philippe Senécal

2009-10-21 08:30:00

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Voici une manchette qui intéressera j'en suis certain plusieurs d'entre vous. Surtout si vous croyez que votre compte Twitter vous met à l’abri des recours en diffamation.
En Illinois, en juillet dernier, une compagnie de location résidentielle a intenté une action en dommages contre une de ses locataires alléguant que celle-ci aurait tenu des propos diffamatoires à son endroit sur Twitter. La dame aurait publié un message à l’effet que son proprio ne se souciait pas des moisissures dans son logement. Bien que le compte Twitter en question n'était suivi que par 20 personnes, le propriétaire réclame la rondelette somme de 50 000$ pour atteinte à sa réputation.

Au Québec, la juge Danielle Richer a rendu jugement le 9 juillet 2009 sur une requête en injonction interlocutoire ordonnant le retrait de propos offensants mais aussi le retrait de l’intégralité du forum de discussions situé sur le site internet des défendeurs.

Ce jugement est le dernier d’une série d’ordonnances rendues par la Cour supérieure relativement aux mêmes faits. En bref, les motifs allégués dans la demande d’injonction étaient à l’effet que plusieurs personnes, sous le couvert de pseudonymes, auraient tenu des propos faux, mensongers, injurieux et diffamatoires à l’endroit de la municipalité de Rawdon, sa mairesse et son directeur général.

Je ne souhaite pas m’attarder à la teneur des propos entretenus par les défendeurs sur le forum de discussions mais je crois qu’il est intéressant d’analyser la stratégie utilisée par les procureurs des demandeurs pour obtenir l’identité des personnes qui se cachaient derrière les noms d’emprunts et l’ordonnance qui a suivi.

En consultant le registre de noms de domaine internet, les procureurs des demandeurs ont facilement obtenu le nom de la personne responsable du forum de discussions en cause ainsi que l’identité de l’hébergeur du site internet, une société ontarienne du nom d’Inverdigm inc. Les procureurs ont savamment présenté une requête pour obtenir une ordonnance de type Anton Piller devant le juge Jean Guilbault.

Le 6 février 2008, le juge Guilbault a autorisé l’accès aux locaux d’Inverdigm et aux domiciles de certains défendeurs pour permettre aux représentants des demandeurs (ainsi qu’un huissier) de prendre une copie intégrale de la plate-forme du site internet et d’obtenir l’identification des personnes participant au forum de discussions sous des pseudonymes. Il a notamment ordonné aux employés d’Inverdigm de participer et collaborer à la collecte des informations précitées et de fournir tout code d'accès nécessaire à la récupération des données, sous peine d'outrage au Tribunal.

En résumé, les procureurs des demandeurs ont non seulement demandé (et obtenu) le retrait du site internet des propos jugés offensants mais ils ont également demandé (et obtenu) le retrait complet du forum de discussions et la permission de s’introduire dans des lieux privés afin de copier intégralement les systèmes informatiques de l’hébergeur et du responsable du forum de discussions.

Je comprends que les ordonnances de type Anton Piller sont à la mode depuis quelques temps mais pour en faire un bon usage je crois qu’il est opportun d’en rappeler une notion fondamentale. Dans l’arrêt Celanese, la Cour suprême a précisé que pour accorder une telle ordonnance, il doit exister une preuve convaincante que le défendeur a en sa possession des objets incriminants et qu’il est réellement possible que le défendeur les détruise. À la lecture du jugement de la juge Richer, il ne semble y avoir aucune preuve à l’effet qu’il était possible ou probable que les défendeurs détruisent des éléments incriminants. Qui plus est, ce recours extraordinaire est ordinairement réservé aux cas de fraude, de contrefaçon et de violation des droits de propriété intellectuelle.

À la lumière des faits énumérés dans le jugement de la juge Richer, je ne crois pas, avec déférence, que l’ordonnance de type Anton Piller était appropriée.

Est-ce que ceci signifie que les demandeurs n’avaient aucun recours pour obtenir la véritable identité des personnes qui se cachaient derrière les pseudonymes? La réponse se retrouve encore en Common Law : il s’agit de l’ordonnance de type Norwich.

Cette ordonnance a pour objectif d’obtenir de l’information auprès d’un tiers préalablement au dépôt de la requête principale. Elle vise donc à ordonner à un tiers de fournir l’identité d’une personne qui cause le préjudice grave allégué afin de permettre au demandeur de prendre les moyens nécessaires par la suite contre les bonnes personnes sans violation grotesque à la propriété et à la vie privée.

Quant à savoir s’il était nécessaire d’ordonner le retrait complet du forum de discussions plutôt que seulement le retrait des propos supposément injurieux, je laisse ça à votre discrétion.


Droit et Techno

Deux fois par mois, Dominic Jaar et Philippe Senécal, conseillers juridiques de Conseils Ledjit, rédigent pour vous des billets rapportant des nouvelles technologiques liées au droit ainsi que des nouvelles juridiques relatives aux technologies. Pour consulter toutes leurs chroniques, cliquez ici.

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25 commentaires
  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    DSG
    I’ve always said that the internet is the wild west when it comes to law. It is a safe haven for criminal activity such as gambling, finding minors for sexual activity, copyright violations, networking for terrorist and racist groups etc. The article indicates that measures are being taken to flush out anonymous postings so as to make people accountable for their actions. But the only real solution, which is very unpopular with computer geeks, is to regulate the internet much like we regulate radio waves and television.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    Risque de destruction de la preuve
    C'est ben plus l'fun de prendre des raccourcis intellectuels. ça met de l'action et ça fait travailler plus de gens. C'est donc utile en période de ralentissement économique. Vive les ordonnances Cowboys !

    Quand au respect de la règle de droit, c'est bon pour le criminel. C'est du moins ce que nous dit la juge Abella, dans ses critiques sur l'accessibilité de la justice, où elle déclare qu'on peut "tourner les coins rond" en civil car la liberté d'une personne n'est pas en jeu !

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    Radio Waves & TV
    TV communication is made possible by radio waves. Therefore, regulation of radio waves is a way to control TV and radio.

    The radio spectrum is a scarce resource and it is easy to monitor.

    Althought Internet bandwidth is limited, the number of possible UDP and TCP ports, and the infinite number of ways to use them, is making the internet impossible to regulate (unless you are ready to impose drastic limitation to the system).

  4. DSG
    Re : Radio Waves & TV
    > TV communication is made possible by radio waves. Therefore, regulation of radio waves is a way to control TV and radio.
    >
    > The radio spectrum is a scarce resource and it is easy to monitor.
    >
    > Althought Internet bandwidth is limited, the number of possible UDP and TCP ports, and the infinite number of ways to use them, is making the internet impossible to regulate (unless you are ready to impose drastic limitation to the system).

    Limit, yes: by requiring people to obtain licenses by a governmental body in order to own a website. Hence the contents of the site may be monitored. But like I said, it defeats one of the purposes of the internet, which is to allow losers incapable of making real human contact to chat online and view porn anonymously. But it’s a small price to pay to maintain the rule of law, everywhere.

  5. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    Re: Re : Regulation
    "Limit, yes: by requiring people to obtain licenses by a governmental body in order to own a website. Hence the contents of the site may be monitored."


    Requiring a license to own a website would be useless, even if you could impose this obligation worldwide.

    Your remark is a typical of lawmakers' illusions toward the ease with wich the Internet can be controled. People tend to forget that the Internet can be the host of communications that go far beyond websites and e-mails, and some communication protocols make monitoring useless or impossible.

    If you want to see a governement wasting its time trying to implement simplistic regulations, look at the efforts of Austraia.

  6. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    Contre Me
    Un recours collectif contre les insanités de Me ?

  7. Me
    Me
    >>>> I’ve always said that the internet is the wild west when it comes to law. It is a safe haven for criminal activity such as gambling, finding minors for sexual activity, copyright violations, networking for terrorist and racist groups etc.

    Wow. These are so fresh, never read before comments regarding the Internet. So you've always said it? Impressive.

  8. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    Re: Contre Me
    Je préfère la sanction extrajudiciaire au recous collectif.

    Maintenant ils appellent ça la justice participative. C'est la version moderne du lynchage.

  9. Me
    Me
    >>> But the only real solution, which is very unpopular with computer geeks, is to regulate the internet much like we regulate radio waves and television.

    Unless your hosting service is located in Sealand. You can't regulate there, unless their government does it :)

    Une idée d'article: qu'est-ce que les tribunaux québecois peuvent en matière de diffamation (et autres) contre un serveur situé sur Sealand?

  10. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    anton piller
    pas possible d'obtenir la preuve contre Me car il paraît que c'est l'expert en anton piller...il saura d'avance ce qui arrive...

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