Judiciarisation de la grève étudiante : préserver la légitimité du mouvement

Julien D.-Pelletier, Marc-Antoine Cloutier, Louise Boyd
2012-04-23 11:15:00

D’entrée de jeu, il est bien illusoire d’envisager l’absolue homogénéité d’opinion de la population estudiantine du Québec. Tous sont à même de constater depuis le début des divergences de points de vue, reflétant du même coup la diversité démocratique au sein de nos collèges et universités. Le contraire serait inquiétant. Par ailleurs, les instances associatives mises en place aux fins de débat et pour refléter ces divergences d’opinion sont les seules à pouvoir régir le droit de piquetage des étudiants.

Depuis les tous débuts du mouvement, la société québécoise a été à même de constater un soulèvement populaire comme cela a déjà existé auparavant, malgré son ampleur rarement égalée sur notre territoire. Pacifique dans son essence, et créatif dans ses moyens, la grève générale illimitée ayant actuellement cours n’est pas pour autant un phénomène nouveau. Les règles du jeu sont établies depuis les toutes premières initiatives de solidarité sociale, à l’origine beaucoup plus associées au monde du travail. Ces règles sont simples et leur respect par les principaux protagonistes peut décider du succès ou de l’échec d’une initiative démocratique.
Il faut rappeler que le droit de grève des travailleurs n’est pas né d’une modification législative, mais bien d’une lutte sociale au nom de la liberté d’association et d’expression. En ce sens, la grève étudiante est présente dans le paysage québécois depuis les années 50. Bien loin d’être un simple boycott, la présente grève étudiante découle directement du mandat de représentation qu’octroie la loi aux associations étudiantes québécoises. Nous soulevons en ce sens les arguments juridiques qui militent à voir encadré le droit de grève des étudiants par les lois québécoises et invitons le gouvernement à cesser d’agir à l’image de certains employeurs des années 50, qui invitaient les employés contre la grève à franchir les lignes de piquetage pour tirer profit du chaos.

Qu’arriverait-il si cette tendance à la judiciarisation devenait monnaie courante? Alors que rien n’empêche n’importe quelle partie intéressée de présenter une requête pour mettre fin au piquetage, quels seraient les impacts sur la vie démocratique étudiante ou sur la vie démocratique en général? Si l’on fait la comparaison avec le monde du travail, ce n’est pas pour rien que les conflits entre travailleurs et patronat ont été balisés à l’extérieur des instances judiciaires. Ce n’est pas pour rien non plus que la qualification de « grève illégale » n’est utilisée que de façon exceptionnelle. Ces normes existent afin d’assurer à l’être humain le pouvoir de revendiquer des droits collectifs sans la peur que cela ne dégénère au chaos ou suscite la violence entre étudiants ou travailleurs d’opinion différentes. Une « grève illégale » entraîne chez celui qui défend un droit légitime la perception qu’il n’a plus rien à perdre, que de toute façon, ses actions ne seront pas reconnues par l’État. Ne reste alors que le moyen de la radicalisation pour tenter d’attirer l’attention de l’opinion publique afin de la rallier à sa cause. D’aucuns seront d’avis que ce dernier moyen ne fonctionne que dans de rares exceptions, et que la société toute entière gagne à ce que le droit à la liberté d’expression puisse se manifester dans l’ordre.
Il faut éviter le plus possible de restreindre par voie judiciaire le droit de piquetage et de manifester. Non pas qu’il y ait lieu de douter de la probité de nos tribunaux quant aux demandes qui leur sont adressées, mais leur utilisation entraîne inévitablement l’affaiblissement de l’équilibre démocratique, en plus de donner une perception négative non-justifiée du mouvement dans l’opinion publique. Notre engagement s’inscrit dans le respect de la démocratie et du pacifisme. Ces derniers sont les seuls moyens pour qu’un groupe puisse avoir la légitimité nécessaire à la promotion de ses revendications.
Julien David Pelletier, co-fondateur et directeur exécutif, Marc-Antoine Cloutier co-fondateur et directeur général, et Me Louise Boyd, avocate conseil, tous trois chez Juripop.
Sur l'organisme :
Les avocats de la Clinique juridique Juripop ont représenté l’association des étudiants en sciences sociales de l’Université Laval, l’association des étudiants de musique de l’Université de Montréal, l’association générale des étudiants du Collège de Rosemont, l’association des étudiants de l’Université du Québec à Rimouski et la Fédération étudiante collégiale du Québec.