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Une avocate chevronnée blanchie par le Barreau

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Élisabeth Fleury

2025-07-31 15:00:53

Le Conseil de discipline du Barreau blanchit une avocate chevronnée des accusations de manquement à la déontologie qui pesaient contre elle après une plainte contre un juge.

La criminaliste Marie-Hélène Giroux a été acquittée des quatre chefs de plainte disciplinaire qui avaient été déposés contre elle dans la foulée de la plainte qu’elle avait elle-même portée contre le juge à la Cour du Québec Manlio Del Negro au Conseil de magistrature du Québec.

David Robitaille - Source : Robitaille Avocats
La décision a été rendue le mois dernier par le Conseil de discipline du Barreau du Québec, composé du président, Me Georges Ledoux, et des membres Julie Borduas et David Robitaille.

Ces quatre chefs de plainte disciplinaire avaient été déposés par un syndic ad hoc, Me François Robillard, qui a plaidé pour

Nadine Touma

lui-même devant le Conseil de discipline. L’intimée était représentée par Me Nadine Touma.

Le contexte

Le 4 juin 2022, une demanderesse d’enquête, dont l’identité est frappée d’une ordonnance de non publication, transmet une demande d’enquête au Bureau du syndic du Barreau à l’endroit de l’intimée.

Cette demande concerne sa conduite à l’endroit du juge Del Negro lors des auditions des 28 juin, 5 juillet et 17 décembre 2019 ainsi que relativement aux commentaires qu’elle a formulés le 19 octobre 2021 dans le cadre d’une enquête menée par le Comité d’enquête du Conseil de la magistrature du Québec.

Me Nicolas Bellemare, syndic adjoint du Barreau, décide après enquête de ne pas porter plainte contre l’intimée.

Le 20 décembre 2022, la demanderesse d’enquête demande la révision de cette décision auprès du Comité de révision des plaintes du Barreau.

Le 13 mars 2023, le Comité de révision des plaintes rend une décision concluant qu’il y a lieu de porter plainte contre l’intimée et de nommer un syndic ad hoc à cette fin. Le Conseil d’administration du Barreau du Québec désigne Me François Robillard à titre de syndic ad hoc le 14 avril 2023.


Les chefs

La plainte initiale, déposée le 16 janvier 2024 par le syndic ad hoc, reprochait à l'avocate les manquements suivants :

  • manquement au devoir de soutenir l'autorité des tribunaux en s'attaquant « gratuitement » à l'intégrité du juge;
  • manquement au devoir d'agir en tout temps avec honneur, dignité, intégrité, respect, modération et courtoisie;
  • transmission de commentaires faux ou qu'elle devrait savoir faux;
  • induction ou tentative d'induction en erreur du tribunal, en transmettant des commentaires qu'elle savait faux ou devait savoir faux.

Le litige avec le juge

L'affaire remonte à juin 2019. L’avocate criminaliste, Barreau 1989, reprend un mandat et se retrouve, à la suite d’un quiproquo, dans l'incapacité de se présenter à une audition fixée pour procès, croyant qu'il s'agissait d'une comparution pro forma.

le juge Manlio Del Negro - Source : Droit-inc

Insatisfait des explications, le juge Manlio Del Negro cite Me Giroux pour frais. Il la critique vertement, avant de conclure que l’avocate a commis un manquement à l’administration de la justice et de la condamner à des frais de 1000$.

Marie-Hélène Giroux - Source : Marie-Hélène Giroux Avocate

L'avocate conteste cette décision par une requête en certiorari et en prohibition devant la Cour supérieure. Le 23 septembre 2020, le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure accueille cette requête et casse la décision du juge Del Negro, soulignant un « manquement clair et sérieux aux règles de justice naturelle » de la part du juge.

Le juge Blanchard précise que son jugement ne porte pas sur le comportement de l'avocate, mais uniquement sur la procédure suivie en première instance.

À la suite de cette décision, l'avocate dépose, le 17 octobre 2020, une plainte contre le juge Del Negro au Conseil de la magistrature du Québec.

C'est lors de l'enquête du Conseil de la magistrature, plus particulièrement durant une rencontre tenue le 9 juillet 2021 avec l'avocate assistant le Comité d'enquête, que les commentaires reprochés à Me Giroux sont recueillis.

Lors de cette rencontre, l’avocate allègue notamment que le juge est un ami de son ex-mari, qu'il aurait de l'animosité à son égard et qu'il aurait tenté de la piéger.

L'argumentation des parties

Le syndic ad hoc a soutenu devant le Conseil de discipline du Barreau que les commentaires de l'avocate étaient « gratuits », « choquants » et qu'ils attaquaient l'intégrité du juge.

De son côté, l'avocate a plaidé qu'elle devait être acquittée des quatre chefs, arguant notamment que ses commentaires ne constituaient pas une faute disciplinaire d'une gravité suffisante.

Me Giroux a insisté sur le droit de tout avocat de contester une décision judiciaire et de déposer une plainte au Conseil de la magistrature sans contrevenir à son obligation de soutenir l'autorité des tribunaux, tant que cela est fait de bonne foi.

Elle a également soutenu que ses commentaires avaient été faits dans un contexte privé, c’est-à-dire lors d'une entrevue pour l'enquête du Conseil de la magistrature.

La décision du Conseil de discipline

Tout en rappelant l’importance fondamentale du droit à une audition devant un juge impartial et la présomption d'impartialité des juges, le Conseil de discipline du Barreau souligne dans sa décision que la liberté d'expression d'un avocat inclut le droit de déposer une plainte contre un juge au Conseil de la magistrature, en formulant des motifs à l'appui.

Cette liberté n'est pas illimitée et doit s'exercer dans le respect des obligations professionnelles, mais elle permet aux avocats de soulever des questions légitimes, notamment concernant la partialité, observe le Conseil.

Selon lui, les allégations de l'avocate dans sa requête en certiorari, qui ont mené à l'annulation du jugement du juge Del Negro par la Cour supérieure, étaient soulevées « de façon légitime ».

Le Conseil de discipline a également analysé la preuve globale et le contexte dans lequel les commentaires reprochés ont été faits. À son avis, « il existait un contexte factuel permettant à l’intimée de croire, de bonne foi, en la partialité du juge Del Negro ».

En effet, écrit le Conseil, la plainte de l’intimée était fondée sur les échanges tendus avec le juge Del Negro et sur le jugement du juge Blanchard rendu le 23 septembre 2020, même si, en définitive, cette croyance ne s’est pas avérée fondée à l’issue de l’enquête du Comité d’enquête du Conseil de la magistrature du Québec.

Pas une faute déontologique

Le Conseil de discipline conclut que le plaignant n'a pas réussi à se décharger de son fardeau de preuve de manière claire et convaincante.

Selon lui, les actions et commentaires de l'avocate, bien que parfois « ambiguës et imprécises », ne constituaient pas une faute déontologique d'une gravité suffisante pour justifier une sanction disciplinaire, compte tenu notamment de la liberté d'expression d'un avocat dans le cadre d'une plainte légitime contre un juge.

Droit-inc a tenté de recueillir les commentaires des parties, mais n’avait pas eu de retour au moment de mettre en ligne cet article.

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