Au cœur du droit carcéral

Sonia Semere
2025-06-06 15:00:00

Forte de plus de 11 ans d’expérience, Me Mélanie Martel s’est particulièrement distinguée au cours de sa carrière dans le domaine des crimes à caractère sexuel ainsi que les infractions reliées aux stupéfiants.
L’avocate qui pratique au sein du cabinet Martel Savard & Associés était la personne idéale pour nous éclairer sur un domaine de pratique qui amène son lot de difficultés : le droit carcéral.
Dans cette entrevue, Me Martel se confie sans détours à Droit-inc, abordant sa vocation pour le droit carcéral, les enjeux liés à la santé mentale des détenus et la nécessité d’établir un lien de confiance pour permettre à ses clients d’accéder à la justice.
Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir le droit carcéral comme domaine de pratique?
Au début de ma pratique, je faisais exclusivement du droit criminel puis je me suis rendue compte que le droit carcéral était un domaine qu’on connaissait peu comme avocat criminaliste.
C’est un champ en pleine expansion, notamment en ce qui concerne la reconnaissance des droits des détenus.
Justement, en tant qu’avocate en droit carcéral, comment intervenez-vous concrètement auprès des détenus? Quel est votre rôle au quotidien?
Le droit carcéral, c’est un domaine très particulier, un mélange de criminologie, de droit criminel et de droit administratif. Il faut donc connaître un peu chacun de ces domaines pour bien intervenir. Ce n’est pas un droit purement technique ou juridique : il y a aussi tout un aspect humain à considérer.
Contrairement au droit criminel où on se concentre sur des éléments comme l’actus reus et le mens rea, en droit carcéral, on s’intéresse davantage à la personne. On va chercher à comprendre pourquoi elle a posé tel geste, ce qu’elle en pense aujourd’hui, comment elle évolue. On travaille beaucoup dans une optique de réinsertion sociale et de réhabilitation.
Est-ce que vous êtes également impliquée dans le suivi de la santé mentale des détenus?
Si un détenu a besoin de médication, on s’assure qu’il ait accès aux traitements nécessaires. On fait des représentations auprès des directions ou des services de santé pour qu’il y ait un suivi avec des psychiatres, des psychologues. On travaille beaucoup en collaboration avec d’autres professionnels comme les médecins, les psychologues et les criminologues.
En droit carcéral, il faut composer avec des enjeux humains, sociaux, médicaux…
Vous parlez d’un domaine en pleine expansion. Qu’est-ce qui explique justement tous ces changements législatifs en droit carcéral?
Quand j’ai commencé à pratiquer, j’ai vite réalisé à quel point c’était difficile pour les personnes détenues de faire valoir leurs droits. Leur accès aux tribunaux est limité, souvent compliqué. Le fait qu’elles soient incarcérées rend tout plus difficile : rédiger des demandes, envoyer des lettres aux greffes.
Avec le temps, il y a eu une augmentation du nombre d’avocats qui se sont intéressés à cette pratique, et ça a vraiment changé la donne. On le voit dans les statistiques de la Commission québécoise : en dix ans, les taux de représentation par avocat ont beaucoup augmenté. Et plus il y a d’avocats, plus les détenus ont accès à la justice, plus les droits sont reconnus. C’est un cercle vertueux.
Il y a eu les fameux recours sur l’isolement cellulaire. Avant, ce n’était pas vraiment remis en question. Aujourd’hui, il y a une reconnaissance judiciaire du fait que l’isolement, ce n’est pas banal, que ça a des impacts graves. Et ce sont des recours comme ça qui ont permis d’ouvrir la porte à d’autres revendications, à plus de reconnaissance des droits des détenus.
D’un point de vue personnel, quels sont les plus grands défis que vous avez pu rencontrer dans votre pratique quotidienne?
Un des plus grands défis, c’est la réticence de certains agents correctionnels à nous voir arriver en établissement. Souvent, ils perçoivent notre présence comme une forme de critique de leur travail. Parce qu’on est là pour défendre les droits des détenus, ça peut être perçu comme s’il y avait eu un manquement, une faute quelque part. Heureusement, ça tend à s’améliorer tranquillement, mais ce n’est pas encore parfait…
Comment arrivez-vous à créer un lien de confiance avec les détenus? Il s’agit, bien souvent, de personnes démunies, qui n’ont pas forcément confiance au système judiciaire. Quelle est votre approche?
C’est une très bonne question, parce que c’est vrai que plusieurs détenus ont l’impression que le système leur a tout enlevé. Donc c’est difficile pour eux d’avoir confiance. Moi, j’arrive en reconnaissant ça ouvertement. Je leur dis que je comprends leur méfiance envers le système.
Ensuite, je prends le temps de leur expliquer chaque étape, je leur donne accès à une ligne sans frais pour qu’ils puissent me joindre. C’est dans le temps que le lien se bâtit. Quand ils voient que ce que je dis se réalise, tranquillement, la confiance revient. C’est notre rôle aussi, comme acteur du système, de leur montrer qu’ils peuvent demander de l’aide et être entendus.