Cinéma

Séance ciné : l’argent fait-il le bonheur ?

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Céline Gobert

2012-09-07 17:00:00

Pour patienter avant l’avalanche de festivals promise par Montréal et Toronto les prochaines semaines, deux détours à faire. Le premier en Russie, le second en Angleterre…
A comme Andrei

Pour les avocat(e)s qui veulent découvrir le nouveau cinéma russe

Plaie d’argent n’est pas mortelle… L’argent ne fait pas le bonheur, mais il contribue… On connaît les proverbes.

Avec l’argent, en centre névralgique de son troisième long-métrage (après Le retour et Le bannissement), Andrei Zviaguintsev met en place une implacable dissertation sur le sujet.

Via Elena, sainte qu’il mue progressivement en meurtrière, il éventre ses protagonistes, au rythme des beaux morceaux de Philip Glass, et expose ce qu’il y a de pire en eux : désir de possession, paresse, cupidité.

Film de clôture d’Un certain regard au Festival de Cannes 2011, Elena met en scène un personnage-titre ambigu, que le cinéaste nous laisse le soin de juger (ou non). Ancienne infirmière, aujourd’hui condamnée au rôle d’épouse-servante pour un mari quasi mourant (et riche), elle est piégée de tous côtés.

Par le patriarcat suintant et tenace d’une Russie moderne. Par des choix complexes : sauver son fils paresseux et son ado de petit-fils de la misère de blocs d’immeubles gris et ternes.

Lorsque son époux fait un infarctus, s’apprête à signer un testament qui léguerait tous ses biens à sa fille, sans rien laisser aux enfants de sa femme, Elena doit trancher. Jusqu’à se confronter à la plus radicale des solutions…

Zviaguintsev est désespéré, noir, mais réaliste. Notre société de consommation, il l’apparente à un démon qui balaie tout. L’écran plasma du salon annihile toute volonté de s’en sortir. La religion a laissé place au nihilisme. L’hédonisme se compare à l’égoïsme.

Tous les personnages, eux, défendent leurs propres intérêts, au détriment de toute morale, privilégiant les liens du sang, à toute éthique.

On nous parle de classes, du bien, du mal, des riches, des pauvres. Le ballet est parfaitement construit, en cadres fixes, plans séquences, contrastes ; huilé, comme une machine, lancé à toute allure vers l’issue (forcément) tragique.

La thématique n’est pas nouvelle (les socialement bannis qui désirent ardemment prendre leur revanche sur les plus nantis), mais le traitement, lui, est profondément moderne.

Les cages dorées portent simplement aujourd’hui d’autres noms : chômage, télévision, chips, voiture de luxe et clubs de sport.

(A voir en ce moment à l’Excentris)

A comme Andrea

Pour les avocat(e)s qui aiment le cinéma à la Ken Loach

Tout comme dans Red Road, son précédent long-métrage, Andrea Arnold inscrivait ses protagonistes au coeur d'une réalité sociale amère et difficile, où pauvreté et exclusion côtoient mal-être et délinquance.

Même si tout cela demeure le quotidien de Mia, à l'agressivité en bandoulière, là n'est pas le sujet.

Non, il se trouve ailleurs, dans ces ouvertures salvatrices, ces bouffées d'air que se trouvent les personnages, pour supporter justement leur ancrage dans le terne.

Déjà, l'amour et le désir d'abord, seules issues envisageables du coeur et du corps aux frustations de tous les jours, amour de toutes les promesses pour la mère (Kierston Wareing, géniale), amour de tous les possibles pour la fille (sublime Katie Jarvis), qui voit en l'homme, l'amant parfait que lui interdit la vie, et, en filigrane, le père de substitution.

Ensuite, l'échappée soudaine par la passion (le hip hop), le rêve (l'audition), la promenade (les fabuleuses séquences dans la nature) et le fantasme (en un Autre, parfait et adulé).

De toutes les manières possibles, Andrea Arnold ne parle que de fuites: dans l'alcool, dans l'illusoire, dans l'ambition, dans la colère, un refus- de tous et de toutes- d'assumer les choses et de regarder bien en face toutes les saletés promises par l'existence.

Lorsque la vie reprend ses droits, la vérité éclate au visage, brûlant les yeux comme un gaz lacrymo, acide, dur, féroce.

L'homme ne borde plus comme un père mais baise comme un con, et, le cheval blanc- hautement symbolique- se fait abattre signant simultanément la fin de l'innocence d'abord, des espoirs de prince charmant ensuite, et fait taire- enfin- toute joie et toute rage.

Il est alors temps de partir (et non plus de fuir) et de laisser derrière soi, avec la force d'une claque que l'on assène à une gamine, les belles chimères d'autrefois.

Life's a bitch clame Nas en chanson lors du final. On est d'accord.

(A voir à la Cinémathèque québécoise)
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