Carrière et Formation

Un avocat québécois sur le terrain humanitaire en Syrie

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Sonia Semere

2025-06-20 15:00:50

Un avocat québécois engagé auprès des réfugiés en Syrie. Autour d’un café, il nous parle de droit, d’humanitaire… et de l’art de s’adapter au terrain.

Joey Hanna


Il y a plus d’un an, Me Joey Hanna quittait le Centre communautaire juridique de Montréal pour prendre la tête du bureau montréalais du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

Aujourd’hui, c’est à des milliers de kilomètres de la métropole québécoise qu’il poursuit sa mission : il a été déployé en Syrie dans le cadre de sa première affectation à l’international.

La situation sur place, encore marquée par plus d’une décennie de conflit, pose d’immenses défis sur le terrain, tant sur le plan humanitaire que juridique.

Quel rôle sa formation juridique a-t-elle joué dans un contexte aussi complexe? Comment Me Hanna est-il parvenu à s’adapter aux réalités du terrain? Et qu’a-t-il découvert sur lui-même en travaillant au cœur d’une crise humanitaire?

Me Hanna nous a donné rendez-vous au café Finca, à deux pas du bureau montréalais du HCR.

Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre mission en Syrie? En quoi consistait concrètement votre mission?

Le premier volet était professionnel. J’ai été appelé à soutenir l’équipe des communications et des relations externes de l’opération du HCR en Syrie, dans un contexte nouveau après la chute de Bachar al-Assad en décembre dernier. Cette situation a apporté son lot de défis, mais aussi d'opportunités pour la reconstruction du pays.

Nous avons dû élaborer une stratégie globale pour gérer nos relations avec les médias, le nouveau gouvernement et le public, en prenant en compte l’évolution politique et sociale du pays.

Le deuxième volet était plus personnel et axé sur ma propre croissance professionnelle et personnelle. C’était ma première expérience de ce type, et elle était d’autant plus significative pour moi étant donné que je suis d’origine syrienne. J’ai pu constater les changements profonds dans mon pays après 15 ans, mais aussi voir les contrastes et la résilience des gens face aux défis auxquels ils sont confrontés.

En tant qu'avocat, est-ce que votre expertise juridique a joué un rôle dans votre mission?

Lorsque j’ai rejoint le HCR, je me suis éloigné de la pratique traditionnelle du droit, qui est souvent centrée sur la représentation d'individus ou d'entités dans des affaires juridiques comme des litiges. Mon travail au HCR touche plutôt des aspects macro du droit, et le droit reste un fondement, mais il est en toile de fond.

J’utilise quotidiennement des concepts du droit international, comme le droit d'asile ou le droit des réfugiés, notamment en lien avec la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Cela dit, mon rôle au sein de l’équipe du HCR en Syrie ne consistait pas à représenter des demandeurs d’asile.

Ma mission s’inscrivait dans le cadre de la sensibilisation, de la communication et de la collaboration avec les gouvernements, les ONG et l’ensemble des acteurs impliqués dans la mise en œuvre du droit d’asile à travers le monde.

Cependant, il y a bien eu un projet intéressant sur lequel j’ai travaillé, intitulé Syria is Home. Ce projet visait à répondre aux nombreuses questions juridiques des Syriens de retour dans leur pays, après avoir vécu pendant des années dans des camps de réfugiés. Ces personnes se retrouvent confrontées à des questions pratiques, comme la régularisation de leur situation administrative, la naissance d’un enfant sans documents ou la revendication de biens immobiliers dont elles ne trouvent plus les titres. Dans ce cadre, j’ai participé à la mise en ligne de réponses accessibles à leurs questions juridiques et psychosociales, en utilisant un langage simple.

Comment avez-vous réussi à vous adapter à la culture locale et à comprendre la réalité du terrain, notamment en ce qui concerne vos interactions avec les Syriens sur place?

Pour moi, l’adaptation à la culture locale a été un processus d’écoute active. J’ai passé le plus de temps possible à discuter avec des collègues, des ONG, et des Syriens, pour mieux comprendre leur perspective sur la situation. Je n'étais pas là pour imposer une vision extérieure, mais plutôt en posture d’écoute et d'apprentissage.

J’ai pris beaucoup de notes, j’ai écouté les récits et les témoignages pour m'imprégner de la réalité du terrain. Étant moi-même d’origine syrienne, parlant arabe et ayant grandi dans un foyer syrien, j’ai eu la chance d’avoir une connexion immédiate avec la culture locale. Cela a facilité les échanges et m’a permis de mieux comprendre les préoccupations des Syriens.

Ce qui m’a frappé, c’est la résilience de ce peuple. Il y a une volonté incroyable de rebâtir le pays, de reconstruire. La situation reste très difficile, mais cette énergie de renouveau est très palpable. C’est comme cette image de la fleur qui pousse dans le gravier, un symbole de vie qui survit dans des conditions extrêmement hostiles.

D'un point de vue professionnel, que retenez-vous de cette mission en Syrie ? Quels apprentissages avez-vous faits sur vous-même et sur vos capacités d'adaptation dans un environnement aussi complexe?

Cette mission a été une expérience extrêmement formatrice, à la fois sur le plan personnel et professionnel. Ce que j'ai appris sur moi-même, c'est surtout la manière dont j'ai pu m'adapter à des situations difficiles, repousser mes limites et découvrir des aspects de ma propre résilience. Être en Syrie, un pays encore marqué par les séquelles d'une guerre de 14 ans, pose des défis constants, notamment en matière de sécurité. Mais c'est justement dans ces contextes-là que l'on apprend à s'ajuster et à repenser ses priorités, ses façons de travailler.

Cela m’a renforcé dans ma conviction que c’est à l’échelle locale que les choses se construisent. C’est par la communauté, par les actions de terrain, qu’on parvient à faire une véritable différence. C’est cette expérience que je garde dans le cœur : la capacité de rebâtir, de donner espoir et de rendre la force à la communauté locale.

Pour terminer, quels conseils donneriez-vous à d'autres avocats qui souhaiteraient s'engager dans des missions internationales et humanitaires?

Je leur dirais de ne pas prendre cela à la légère. Travailler dans des zones de guerre ou dans des contextes très hostiles, c’est loin d’être simple, et ce n’est pas fait pour tout le monde. Le meilleur conseil que je pourrais donner serait de bien se connaître soi-même avant tout.

Cela inclut de comprendre ses limites, ses valeurs et d’être conscient que la réalité de ces missions ne correspondra peut-être pas toujours à nos attentes initiales. Il est donc essentiel de faire un travail personnel de réflexion avant de s'engager dans ce type de carrière. Pour cela, rien de mieux que de commencer par s’impliquer au niveau national ou local, car cela permet de se préparer avant de se lancer dans des missions internationales.

Personnellement, ma première mission est intervenue après ma dixième année de pratique en tant qu'avocat, ce qui m’a permis d’avoir une certaine maturité, une patience et des attentes réalistes.

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