Détatouage: la Cour d’appel déboute le Collège des médecins

Didier Bert
2025-06-20 13:15:03

Le Collège des médecins du Québec (CMQ) se tournera-t-il vers la Cour suprême pour obtenir l’exclusivité des soins de détatouage?
La décision est présentement à l’étude, nous indique Me Stéphane Gauthier, associé chez Cain Lamarre, qui représente le CMQ avec sa collègue Me Andréa Provencher.
La Cour d’appel du Québec vient en effet de débouter le Collège des médecins qui réclamait l’exercice exclusif du détatouage.
Initialement, le CMQ poursuit Michèle Piuze, propriétaire de l’entreprise MP Médic, une clinique de soins laser et médico-esthétique de Québec, qui offre notamment des soins de détatouage. Le Collège des médecins reproche à l’esthéticienne des infractions d’exercice illégal de la médecine, et d’avoir laissé croire qu’elle était autorisée à exercer une activité réservée à un médecin en vertu de l’article 31 de la Loi médicale.
La poursuite trouve son origine dans une plainte déposée par Stacy Guay, une cliente de la clinique. En 2019, à la suite d'un détatouage par laser, la cliente ressent une brûlure. Elle se rend à l'hôpital où le médecin diagnostique une brûlure au deuxième degré. Pour le CMQ, le détatouage par laser est un acte invasif qui implique un risque de préjudice, et l'interprète comme une activité réservée à l'exercice de la médecine.
À la suite de cette plainte, une enquêteuse se rend à la clinique sous un nom d'emprunt pour demander un détatouage et obtenir des informations concernant une tache au visage. Elle montre des taches sous sa paupière gauche afin d’avoir l’avis de madame Piuze. Celle-ci lui recommande de consulter un dermatologue pour s’assurer qu’il n’y a pas de cellules précancéreuses.
« Après la consultation auprès d’un dermatologue, s’il n’y a pas de cellules précancéreuses, elle spécifie qu’elle peut enlever les kératoses et la couperose à l’aide d’un appareil laser », indique la décision de la juge Sylvie Marcotte de la Cour supérieure du Québec, qui entend l’affaire initialement
« Pour le poursuivant, du seul fait de prononcer les mots « couperose, angiome, etc. », constitue un diagnostic verbalisé par madame Piuze sur des termes démontrant une déficience de la santé. Ensuite, lorsque madame Piuze mentionne qu’elle peut cautériser ou enlever avec un appareil laser les taches pigmentaires, elle détermine le traitement médical », s’étonne la juge Marcotte.
En juin 2022, la juge Sylvie Marcotte acquitte Michèle Piuze de chacun des chefs d’accusation. Elle relève que l’esthéticienne a rappelé à sa cliente qu’elle devrait rencontrer un médecin préalablement aux soins esthétiques. Elle souligne aussi que « si le Tribunal suit le cheminement du poursuivant, cela signifie que tant le tatouage que le détatouage sont invasifs, car il traverse l’épiderme. Que penser des types de piercings qui traversent complètement la peau ? »
Deux ans plus tard, en avril 2024, le juge Étienne Parent de la Cour supérieure du Québec rejette l’appel du Collège des médecins. « Contrairement à ce que soutient l’appelant, qui plaide que l’intimée agit en première ligne, la Juge pouvait, après avoir entendu la preuve, conclure qu’il n’était pas possible de conclure hors de tout doute raisonnable que l’intimée avait posé un diagnostic, ou même un diagnostic différentiel, ni qu’elle avait proposé un traitement », explique le jugement.
Une interprétation restrictive
Le Collège des médecins se tourne alors vers la Cour d’appel… qui vient de le débouter. Michèle Piuze était représentée par Me Jacques Larochelle du cabinet Jacques Larochelle Avocat, et par Me Olivier Desjardins du cabinet Desjardins Riverin.
Le tribunal appuie la décision du juge Étienne Parent de la Cour supérieure. « Le juge estime que rien dans la preuve présentée ne permet d’assimiler un détatouage à l’aide d’un appareil laser à une chirurgie ou une opération relevant de la sphère médicale et de réserver ainsi aux médecins des soins esthétiques de tous types », pointe la décision de la Cour d’appel, formée par les juges Julie Dutil, Christine Baudouin et Éric Hardy. « La disposition qui prévoit l’exercice exclusif de la médecine devant être interprétée restrictivement, il conclut que si le législateur avait voulu inclure de tels soins, il l’aurait précisé de manière claire. »
Ce sont donc uniquement « les interventions (définies comme « chirurgies » ou « opérations ») esthétiques invasives ou présentant un risque de préjudice qui relèvent de l’exercice exclusif de la médecine ».
C'est bien l'interprétation des termes « intervention esthétique » qui est au cœur des jugements successifs. « Notre thèse était que cela désigne une intervention équivalente à une opération chirurgicale », explique Me Jacques Larochelle. « Et la loi sous-entend le caractère thérapeutique. Pourtant, le détatouage n’est pas une opération thérapeutique puisque le tatouage n'est pas une maladie. L'enlever n'est pas une guérison », poursuit-il.
La conséquence immédiate du jugement est que « tout ce qui est esthétique, mais qui n'est pas de la chirurgie, n'est pas réservé aux médecins », résume Me Larochelle.
« Le CMQ, de façon assez confuse, sans dire exactement de façon analytique et raisonnée le sens de cette expression, s’acharnait à inclure le détatoutage par laser », s’étonne l’avocat, qui souligne « le courage extraordinaire de madame Piuze ».
« On sait que le Collège des médecins est regardé favorablement par les tribunaux en général, du fait de son rôle bien considéré dans notre société. Le Collège en mène large, il gagne souvent », avance Me Larochelle.
Me Stéphane Gauthier, qui représente le Collège des médecins, n’a pas souhaité commenter le jugement de la Cour d’appel. « Le dossier est présentement en analyse pour porter cette affaire en appel devant la Cour suprême du Canada, et dans ces circonstances nous ne ferons pas de communication publique pour le moment » nous a-t-il répondu.