Litige 2024

Les tendances de fond en litige civil et commercial

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Sophie Ginoux

2024-10-31 15:00:19

Me Jean-Maxim Lebrun. Source: Dunton Rainville
Me Jean-Maxim Lebrun. Source: Dunton Rainville
Aussi vaste soit-il, le droit civil et commercial s’illustre particulièrement dans plusieurs domaines actuellement. Quels sont-ils ? Et que nous indiquent-ils pour l’avenir ?

Intrinsèquement lié aux soubresauts de l’économie et de l’actualité, le litige civil et commercial est en perpétuelle évolution. Me Jean-Maxim Lebrun, associé chez Dunton Rainville, va jusqu’à le qualifier de cyclique.

« Actuellement, il est par exemple beaucoup question de restructurations et d’insolvabilités en droit commercial, ainsi que de poursuite pour vices cachés en droit civil », dit-il, avant d’ajoute que ces dossiers ont en commun une complexité et des retombées financières de plus en plus importantes.

L’immobilier

Me Annie-Pier Ledoux. Source: Bissonnette Giroux
Me Annie-Pier Ledoux. Source: Bissonnette Giroux

Parmi ces dossiers épineux, figure en bonne position l’immobilier, en prise directe avec la crise du logement que nous traversons. « Nous gérons notamment le volet légal d’investissements sophistiqués dans des locations à court terme et des rénovations d’immeubles à logements, pour lesquels les clients n’ont d’autre choix que celui d’être étroitement accompagnés par des avocats », confirme Me Lebrun.

Au regard des nombreux scandales touchant ces deux secteurs, on comprend l’importance de cette expertise légale, dans laquelle certains avocats ont même trouvé leur niche. C’est le cas de Me Annie-Pier Ledoux, du cabinet Bissonnette Giroux, qui a beaucoup de pain sur la planche en défendant tour à tour des locataires ou des propriétaires.

« Les abus de droits des uns comme des autres atterrissent de plus en plus souvent devant les tribunaux, et ils ne sont pas près de s’arrêter », confirme celle qui gère aussi bien des dossiers de rénovictions et de tactiques d’expulsion insidieuses, que d’autres de squat, de vandalisme, de troubles du voisinage… ou même d’installation illégale de spas sur des balcons. « J’en vois de toutes les couleurs, convient-elle. Mais c’est ce qui rend aussi ma pratique intéressante, d’observer les deux côtés de la médaille ».

Le secteur technologique

Me Isabelle Vendette. Source: McCarthy Tétrault
Me Isabelle Vendette. Source: McCarthy Tétrault

C’est une vérité absolue : plus une industrie se développe, plus elle est sujette à l’apparition de litiges. Les développements technologiques n’y font pas exception. Réseaux sociaux, utilisation de renseignements personnels, intelligence artificielle, cybersécurité, piratages informatiques, dark web… Les législations, les causes et la jurisprudence en matière de nouvelles technologies ne cessent de s’étoffer.

« Tous nos clients, quel que soit leur domaine d’activité, sont touchés par ces changements. Nous avons même créé un groupe multidisciplinaire spécialisé dans ces questions pour mieux les épauler, car c’est un secteur en forte demande », explique Me Isabelle Vendette, de McCarthy Tétrault.

Me Sébastien Richemont, associé chez Fasken, abonde dans le même sens. Son cabinet représente effectivement de grandes sociétés technologiques comme Microsoft, Google, TikTok et Activision Blizzard, aux prises avec des recours collectifs centrés sur des allégations de dépendance aux jeux vidéo et aux réseaux sociaux, ainsi que des manufacturiers attaqués en raison des stratagèmes trouvés par les voleurs pour pirater les clefs intelligentes des véhicules.

Me Sébastien Richemont. Source: Fasken
Me Sébastien Richemont. Source: Fasken

« Tout comme les cigarettiers avant elles, ces entreprises ont besoin de grandes équipes en charge de leur défense sur une longue période, explique-t-il. Leurs enjeux monétaires et réputationnels sont énormes. »

Mais qu’en est-il des plus petites sociétés qui font face à des demandes croissantes de rançonnage, ou encore à des critiques négatives sur le web ? Me Karim Renno, associé et cofondateur du cabinet Renno & Vathilakis, estime que le droit à l’oubli, c’est-à-dire le droit de faire retirer un avis négatif trompeur sur des plateformes comme Google Reviews ou Trip Advisor, ainsi que celui de poursuivre les individus à l’origine de cette atteinte réputationnelle, occupera de plus en plus de place dans les cours de justice.

« Comme le chaos règne pour le moment en la matière, avec toutes sortes de barrières à franchir pour effacer ces avis, puis pour identifier ceux qui les partagent, les tribunaux vont travailler sur beaucoup d’affaires du genre dans les prochaines années », dit-il.

De grands dossiers en développement

L’immobilier et les technologies ne sont pas les seules tendances en litige qui se distinguent. Pensons par exemple aux facteurs ESG (environnement, société, gouvernance), au cœur d’une tonne de législations et de manchettes médiatiques, pour nous en convaincre.

Me Karim Renno. Source: Renno & Vathilakis
Me Karim Renno. Source: Renno & Vathilakis

« Même si les États-Unis ont été pionniers dans ce domaine, les poursuites en ESG augmentent partout, notamment au Canada, confirme Me Vendette. Il peut aussi bien s’agir d’actionnaires attaquant une entreprise pour fausse représentation, que de recours collectifs de consommateurs concernant les manœuvres d’écoblanchiment, voire le danger environnemental et sanitaire que certaines compagnies peuvent représenter. »

D’autres dossiers, parfois très médiatisés, touchent la réputation d’individus et ont des conséquences financières majeures. Des affaires comme celles de Jeffrey Epstein, qui se sont soldées par des centaines de millions de dollars en dédommagements, ont marqué les esprits, tout comme les actions des institutions bancaires.

« Elles sont de plus en plus frileuses vis-à-vis des investisseurs, indique Me Renno. Dès qu’elles ont l’impression qu’un de leurs clients est impliqué dans une affaire ou fait l’objet de la machine à rumeurs, elles agissent de manière préemptive et lui coupent les fonds. Or, sans l’appui d’une banque, impossible de travailler. Des gens d’affaires se retrouvent ainsi acculés à la ruine, sans possibilité de se défendre. Il faudra que la justice se positionne à ce sujet. »

Cette même justice devrait également, selon Me Richemont, trancher la valeur réelle apportée par des experts indépendants dans toutes sortes de volets commerciaux. « La jurisprudence au Québec est muette sur cette question, comparée au reste du Canada. Pourtant, avec des repères plus clairs, beaucoup de litiges commerciaux seraient plus simples à traiter que maintenant. Ce balisage serait le bienvenu pour éviter de surcharger les tribunaux. »

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