Agression sexuelle : la Cour d’appel choisit l’absolution plutôt que la prison

Élisabeth Fleury
2025-09-08 10:15:55

Reconnu coupable d'agression sexuelle sur son ex-conjointe, un aspirant courtier immobilier voit sa peine d'emprisonnement annulée par la Cour d’appel, qui juge qu’une absolution conditionnelle serait dans l'intérêt véritable de l'appelant et ne serait pas contraire à l'intérêt public.

L’appelant était représenté par Me Louis Frédéricq Carmichael, du cabinet Heller Carmichael, alors que la position du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), l’intimé, était défendue Me Francis Villeneuve-Ménard.
Le contexte
L'appelant a été reconnu coupable le 23 avril 2024 d'avoir touché sa conjointe à une dizaine de reprises, par-dessus ses vêtements, pendant qu'elle dormait. Ces gestes, commis entre octobre 2019 et juillet 2020, visaient selon lui à initier des relations sexuelles. Il les cessait lorsque la jeune femme lui signifiait ne pas vouloir de relation.

Avant sa relation avec l’appelant, la jeune femme avait vécu plusieurs épisodes de violence physique et sexuelle. Ces expériences ont laissé chez elle des séquelles importantes, qui l’ont rendue particulièrement vulnérable aux gestes commis par l’appelant, résume la Cour d’appel dans sa décision. À noter que ce dernier ne connaissait pas le passé de la jeune femme au moment de la commission des gestes reprochés, a-t-il été mentionné en preuve.
À l’audience sur la détermination de la peine, l’intimé a proposé une peine d’emprisonnement de 12 mois, tandis que l’appelant réclamait une absolution conditionnelle.

Le juge de première instance, Benoît Gariépy, a condamné l’appelant à une peine de huit mois d'emprisonnement à purger dans la collectivité, estimant qu'il n'y avait pas de « préjudice réel » à l'encontre de sa future carrière de courtier immobilier et qu'une absolution serait contraire à l'intérêt public. Selon lui, l’appelant n’avait pas démontré qu’il avait un intérêt véritable à bénéficier d’une absolution.
Le juge Gariépy a retenu plusieurs facteurs aggravants, dont le mauvais traitement d'un partenaire intime, l'abus de confiance et la fréquence des gestes. Il a également noté des facteurs atténuants, comme l’absence d'antécédents de l’accusé, son faible risque de récidive, son emploi stable et son soutien familial.
Les positions des parties
En appel, Maxime Simard a fait valoir que le juge de première instance avait commis des erreurs de principe en refusant l'absolution. Il a soutenu que le juge avait mal interprété le critère d'« intérêt véritable » de l'accusé, ignorant le fait que sa demande de permis de courtier immobilier était en suspens en raison du dossier criminel.
L’appelant a également reproché au juge d'avoir accordé une importance excessive aux objectifs de dénonciation et de dissuasion au détriment de la réinsertion sociale.
Le ministère public a pour sa part défendu la décision du premier juge, affirmant que la peine initiale était proportionnelle à la gravité de l'agression sexuelle et qu'elle était nécessaire pour maintenir la confiance du public dans le système judiciaire.
L'analyse de la Cour d'appel
La Cour d'appel a accueilli l'appel et infirmé le jugement, statuant que le premier juge avait bel et bien commis des erreurs de principe.
Sur l'intérêt véritable, la Cour d’appel a jugé que le simple fait que l'Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec ait mis en attente la demande de permis de l'appelant constituait une preuve suffisante d'une possibilité de préjudice professionnel. Il n'était pas nécessaire, selon elle, de connaître l'issue finale pour reconnaître cet intérêt.
Sur l'intérêt public, les juges Savard, Marcotte et Kalichman ont estimé que le juge de première instance n'avait pas correctement pondéré les objectifs de la peine. Ils ont rappelé que la peine devait être proportionnelle et tenir compte des circonstances précises de l'infraction.
« L’appelant, dans le but d’avoir des relations sexuelles avec la personne avec laquelle il entretenait habituellement de telles relations consensuelles, a touché la victime à différentes reprises par-dessus ses vêtements, alors qu’ils étaient couchés dans le même lit. Compte tenu des circonstances, la Cour estime que l’infraction en l’espèce implique des gestes sexuels de moindre gravité [...]. À cet égard, il convient également de noter que dès que la victime se réveillait, lorsqu’elle n’était pas intéressée, elle retirait la main de l’appelant, ce qui mettait fin aux attouchements », écrivent-ils dans leur décision.
La Cour d'appel a donc réévalué l'ensemble des facteurs. Elle a reconnu la gravité des faits et leur impact sur la victime, mais a également souligné les efforts de l'appelant et mis en lumière ses remords, son introspection, son faible risque de récidive et son engagement dans une thérapie.
Les juges Savard, Marcotte et Kalichman ont du reste souligné l'importance d'encourager la réinsertion des délinquants.
« Bien qu’une absolution demeure une mesure rare pour une agression sexuelle, elle peut être accordée lorsque les circonstances s’y prêtent », a rappelé la Cour d’appel avant d’accorder à l’appelant une absolution conditionnelle de trois ans, qui inclut une probation de 18 mois, 240 heures de travaux communautaires et l'interdiction de contacter la victime.
« Une très belle victoire »
L’avocat de l’appelant se réjouit de cette « très belle victoire ».
« C’est une décision particulière [...]. La Cour d’appel a accordé l’absolution alors que le juge Gariépy avait quand même donné huit mois de prison [avec sursis], alors que tout reposait sur l’erreur sur le consentement, que c’était un gars sans histoire qui pensait, comme malheureusement plusieurs hommes, que la façon d’inviter sa conjointe à avoir une relation sexuelle, c’était de la caresser doucement. Mais c’est tout en train de changer, ça, et avec raison », a souligné Me Louis Frédérique Carmichael au cours d’un entretien avec Droit-inc.
Son client, a-t-il poursuivi, a compris la notion de consentement grâce à une thérapie, « qui n’a pas été facile à trouver ». « Ce n’est pas comme des thérapies pour les hommes violents ou pour les agresseurs sexuels, ça, il y en a une multitude. Il a fallu avec un psychothérapeute monter en quelque sorte une thérapie et montrer au juge que cette thérapie-là a été concluante », a exposé l’avocat.
Quand Me Carmichael a demandé l’absolution, au départ, « beaucoup de personnes n’y croyaient pas ». « De la jurisprudence où des juges ont accordé l’absolution dans un dossier d’agression sexuelle, je peux vous dire qu’il n’y en a pas beaucoup. De mémoire, j’avais un ou deux jugements », a-t-il partagé.
Le corridor d’intervention de la Cour d’appel était étroit et le parcours vers la victoire, pas évident, a souligné l’avocat. « C’est un chemin qui est long et une situation qui n’est pas facile à gérer avec le client, avec sa famille [...]. Donc évidemment, quand on reçoit un jugement comme ça, on se dit, comme avocat: je vous l’avais dit qu’on avait pris le bon chemin! »
Le DPCP a fait savoir à Droit-inc qu’il allait prendre le temps d’analyser « rigoureusement » la décision afin de déterminer si le dossier sera porté en appel.