Annulation du procès pour corruption de cinq coaccusés de Frank Zampino

Radio -Canada
2020-12-03 13:14:00

La juge Joëlle Roy, de la Cour du Québec, a décrété l’arrêt des procédures visant les cinq hommes dans une décision dévastatrice pour l’UPAC, qu'elle tient responsable de violations flagrantes aux droits constitutionnels des accusés pour sa gestion inappropriée de l'écoute électronique amassée dans le dossier.
La décision vise Bernard Poulin et Dany Moreau, de la firme SM, Kazimierz Olechnowicz, de CIMA+, et Normand Brousseau, de HBA Teknika, ainsi que Robert Marcil, ancien directeur des infrastructures et voirie à la Ville de Montréal.
Ils avaient tous été arrêtés par l’UPAC le 19 septembre 2017, en compagnie de l’ex-président du comité exécutif de la Ville Frank Zampino, l’ex-solliciteur de fonds pour le défunt parti Union Montréal Bernard Trépanier, ainsi que l’ex-vice-président de la firme CIMA+ Yves Théberge.
Tous avaient été accusés de fraude, de complot et de corruption dans le cadre d’un système d’attribution de contrats municipaux à des firmes de génie-conseil en échange de versement dans les coffres d’Union Montréal, alors dirigé par Gérald Tremblay.
La décision de la juge Roy survient un peu plus d’un an après qu’elle eut également décrété l’arrêt des procédures contre Frank Zampino, qui a longtemps été le bras droit de l’ex-maire Tremblay.

La juge avait par conséquent invalidé le mandat d’écoute électronique obtenu par les enquêteurs dans cette affaire, invalidant du même coup l'ensemble de la preuve obtenue dans le dossier.
Cela avait convaincu les cinq derniers coaccusés de présenter une demande similaire.
Bernard Trépanier est pour sa part décédé en août 2018, tandis qu’Yves Théberge avait choisi de plaider coupable aux accusations portées contre lui.
L'UPAC épinglée
Dans sa décision étalée sur 12 pages, la juge Roy souligne que pas moins de « 233 conversations présumées privilégiées dans le système informatique de la police n'ont toujours pas été transmises à un juge autorisateur », comme l'exigeait pourtant son ordonnance dans le mandat d'écoute électronique accordé le 17 juin 2015.
La magistrate impute le tout à une improvisation, une désorganisation et un cafouillage dans la salle d'écoute, puis au niveau des enquêteurs par la suite.
Cette situation, mise au jour au fil des procédures, est « encore plus grave » que lors de la requête en arrêt des procédures qui a eu lieu dans le dossier de M. Zampino, écrit-elle, en concluant que la police n'a pas observé son devoir de diligence.
« Il aura fallu deux requêtes en arrêt des procédures et des demandes de divulgation de la preuve de la défense afin de révéler une gestion de l'écoute électronique déficiente à plusieurs égards, voire négligente, lors d'une enquête d'envergure par des enquêteurs chevronnés », résume-t-elle.

« Des policiers, enquêteurs à l'UPAC, chef d'équipe, capitaine et supérieurs qui ne respectent pas l'ordonnance d'un juge afin de choisir leur preuve, d'en faire un tri, de constituer leur dossier de façon éditoriale, selon les fins qu'ils recherchent, ne peut être toléré », écrit-elle.
« Décider autrement enverrait le message que les fins justifient les moyens, peu importe ceux qui sont privilégiés et employés par les policiers, et peu importe également qu'ils constituent des violations flagrantes aux droits constitutionnels des accusés et à une ordonnance du juge », poursuit la magistrate.
« Il s'agit d'une grave atteinte à l'intégrité de notre système de justice et un discrédit sur son administration. Il ne s'agit pas d'une décision rapide, prise par un policier dans le feu de l'action. Il s'agit d'actes concertés, continus et impliquant plusieurs paliers décisionnels, d'où émane la consigne de ne pas tout envoyer au juge, soit d'enfreindre son ordonnance. Pour d'autres, il est question de laxisme et de négligence. »
La juge Roy estime conséquemment que l'enquête de l'UPAC est « viciée » et que « la preuve entendue érode la confiance à accorder au reste de l'enquête ». Selon elle, il s'agit d'ailleurs « d'un des cas les plus manifestes où un arrêt des procédures s'impose ».
« La preuve entendue ne permet pas au Tribunal de poursuivre dans un tel contexte où l'on a fait fi, intentionnellement, du caractère privilégié des conversations avocat-client et des conséquences sur la qualité et l'admissibilité de la preuve recueillie. De l'avis du Tribunal, il s'agit d'un comportement grave de l'État, qui met en cause l'intégrité de notre système de justice », continue-t-elle.
30 jours pour décider d'en appeler
Le procureur du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) dans ce dossier, Me Julien Tardif, s'est dit « déçu » par la décision de la juge Roy. Il compte analyser la décision avant de décider s'il la porte en appel, comme cela a déjà été fait dans le dossier de M. Zampino. Il a 30 jours pour le faire.

« Pour le ministère public, la situation s’est toujours expliquée en fait par une succession d’erreurs humaines qui est tout à fait normale ou inévitable dans le contexte de l’ampleur d’une opération d’écoute électronique comme celle qui a été menée dans le dossier Fronde », a-t-il ajouté.
« La preuve avait révélé une situation pire que dans le cas de M. Zampino. Alors, ce n’est pas étonnant cette décision. C'est la juge qui, au fond, rétablit le secret des communications entre un citoyen et son avocat », a pour sa part commenté l'avocat de Bernard Poulin, Me Marc Labelle.
Le cabinet de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a pour sa part fait savoir que ces décisions en matière criminelle n’ont « pas d’impact sur les recours civils en recouvrement » intentés par la Ville, qui sont toujours en cours.
Ces démarches judiciaires doivent permettre à Montréal et à ses contribuables d'obtenir une compensation « pour les sommes injustement obtenues par les acteurs des stratagèmes frauduleux », en plus des millions de dollars déjà récupérés par l'entremise du Programme de remboursement volontaire.