Corruption : l’ex-PDG de SNC-Lavalin blâmé par un conseil de discipline

Radio Canada
2025-08-14 10:30:58
L’Ordre des ingénieurs du Québec a reconnu l’ex-PDG coupable de manquements durant sa direction de SNC-Lavalin. Son avocat n’a pas voulu commenter…

L’ancien grand patron de SNC-Lavalin Jacques Lamarre a été reconnu coupable par le conseil de discipline de l'Ordre des ingénieurs du Québec d’avoir notamment « toléré un système de corruption et de collusion » lorsqu’il était à la tête de la firme de génie. Après environ deux ans d’enquête, la décision finale de quelque 300 pages est tombée le 1er août dernier. Radio-Canada l'a obtenue avant qu’elle soit rendue publique.
Jacques Lamarre a été reconnu coupable de 7 des 14 chefs qui pesaient contre lui, pour des événements survenus entre 2000 et 2009. Ils sont tous liés aux scandales de corruption qui ont éclaboussé SNC-Lavalin (devenu AtkinsRéalis) il y a une dizaine d’années.
Cette affaire avait entre autres mené à la condamnation pour corruption de deux anciens hauts dirigeants de la firme de génie, Riadh Ben Aïssa et Sami Bedawi. Une filiale de l’entreprise avait aussi plaidé coupable à une accusation de fraude.

Plusieurs manquements
Lors de son procès, Riadh Ben Aïssa avait allégué que les hauts dirigeants de SNC-Lavalin avaient sciemment approuvé des pots-de-vin et des cadeaux somptueux à des membres de la famille de l’ancien dictateur libyen, Mouammar Kadhafi, en échange de lucratifs contrats de construction. Il avait été notamment question d’un yacht de 25 millions de dollars américains.
Le grand patron était-il au courant de ces faveurs? Jacques Lamarre l’a toujours nié. Le conseil de discipline de son ordre professionnel a justement fouillé cette question dans de nombreux documents et témoignages. Au bout du compte, il a conclu qu’il croyait à moitié M. Lamarre dans ses explications, lui dont la mémoire devenait à géométrie variable lorsqu'il devait se défendre.
Pour plusieurs chefs d’accusation, le principal intéressé a souligné n'avoir conservé aucun souvenir ni document. Le conseil de discipline lui reproche d’avoir versé de l’argent pour décrocher des contrats lucratifs en Libye sous le régime Kadhafi. Il accuse l’ex-patron d’avoir fermé les yeux sur une série de drapeaux rouges, dont une hausse inhabituelle des paiements à une société écran, afin de ne pas compromettre un important contrat.
Une visite à deux millions
Jacques Lamarre a aussi accepté que SNC-Lavalin couvre les frais d’une visite au Canada du fils du dictateur libyen, Saadi Kadhafi, en 2008. Hôtels, restaurants, limousines, services de sécurité et même d’escortes : la facture avait frôlé les 2 millions de dollars. Même s’il n’était pas content de l’avoir sur les bras, l’ancien PDG a tout de même consenti à cette visite pour aider à faire des projets en Libye, a statué le conseil. Il a ainsi enfreint le Code de déontologie de sa profession. Pendant sa visite, Saadi Kadhafi en avait profité pour acheter un luxueux condo à Toronto. Il a ensuite été rénové au coût de 200 000 $, une facture payée par SNC-Lavalin.
Or, la preuve recueillie n’a pas permis de conclure que M. Lamarre a autorisé ces dépenses, selon le conseil de discipline. Celui-ci a néanmoins souligné qu’il jugeait peu crédible la version de l’ex-patron selon laquelle il n’a pas été mis au courant après coup. Quant au fameux yacht offert au fils Kadhafi, là aussi la preuve a été jugée insuffisante. Selon Jacques Lamarre, cet achat n’a pas été porté à sa connaissance. À l’époque, cette dépense avait été autorisée par l'ex-chef des affaires financières de SNC-Lavalin, Gilles Laramée.
Collusion et prête-noms
Le conseil de discipline a aussi retenu que M. Lamarre avait permis en 2005 le versement de 200 000 $ — par enveloppe brune et fausse facture — au parti Union Montréal de l’ex-maire Gérald Tremblay, afin d’obtenir des contrats de la Ville. La formation était alors en pleine campagne pour sa réélection. Le tribunal a aussi blâmé l’ancien patron d'avoir toléré un système de prête-noms permettant le remboursement de contributions politiques d'employés.
Il a aussi négligé de mettre en place des mesures de surveillance, et de mettre un terme aux procédés malhonnêtes ou douteux concernant les appels d'offres. Pendant le processus, M. Lamarre a tenté d’obtenir un arrêt des procédures, faisant valoir son âge avancé (82 ans), le fait qu’il ne travaille plus, et que ce processus aurait dû avoir lieu bien avant, les faits reprochés remontant désormais à plus de 16 ans.
Non seulement ses souvenirs se sont estompés, mais il pourrait aussi les télescoper avec des informations rapportées par les médias, a-t-il souligné. Le conseil a toutefois rejeté la requête. Le conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec est un tribunal quasi judiciaire indépendant et autonome de l’Ordre dont la mission est de protéger le public, peut-on lire sur son site web. Une prochaine audience doit déterminer la sanction contre Jacques Lamarre. La date n’a pas encore été fixée.