Des avocates accusées d’instrumentaliser un procès

Radio Canada
2025-09-02 15:00:46
Deux avocates sont accusées d’avoir utilisé la notoriété d’une cause médiatisée pour faire leur autopromo en ligne. Le syndic du Barreau n'est pas content…
Le syndic adjoint du Barreau du Québec, Samy Elnemr, demande au Conseil de discipline de réprimander les deux avocates qui ont défendu le meurtrier Marc-André Grenon pour avoir nui à la profession et miné la confiance du public en marge du procès.

Vanessa Pharand et Karine Poliquin sont accusées d’avoir posé un acte dérogatoire à l’honneur de la profession en diffusant une vidéo promotionnelle sur Instagram en plein pendant le procès pour meurtre et agression sexuelle de leur client, Marc-André Grenon, en février 2024.
Ce dernier a été reconnu coupable le 20 février 2024 d’avoir agressé et tué Guylaine Potvin à Jonquière, en 2000.
« Dans un procès hautement médiatisé, nos obligations déontologiques montent d’un niveau », explique Samy Elnemr, le syndic adjoint du Barreau.
La vidéo controversée montrait les avocates de la défense marcher dans les corridors du palais de justice de Chicoutimi en tenue d'avocat, pour faire la promotion de leurs toges et rabats sur les réseaux sociaux.
« Je n’ai jamais pensé que la publication pouvait être interprétée différemment qu’un encouragement pour une belle entreprise », assure l’avocate Vanessa Pharand.
Les images étaient accompagnées de la chanson Gangsta’s Paradise de Coolio ainsi que de plusieurs mots-clics comme #meurtre ou #htgawm (l’abréviation de la série de télé américaine How to Get Away with Murder).
« La personne moyenne va penser au procès et non à l’émission. C’est une question de gros bon sens. [...] La conception et la diffusion de la vidéo, les hashtags, la chanson, le catwalk sur la passerelle, tout ça mis ensemble a eu un impact négatif dans la population et jeté un discrédit sur le processus », a fait valoir le syndic adjoint du Barreau, Samy Elnemr dans sa plaidoirie.

L’avocat Giuseppe Battista, qui défend Vanessa Pharand, soutient que cette interprétation est exagérée.
« Quiconque connaît la chanson sait que c’est une critique sociale et non une chanson qui glorifie de quelque façon que ce soit la criminalité. Même chose pour le #htgawm », a-t-il plutôt plaidé.
« De diffuser cette vidéo durant les procédures de Mme Potvin manque de décence et constitue un manquement déontologique », considère Samy Elnemr, syndic adjoint du Barreau du Québec
Le syndic a ajouté : « Elles ont instrumentalisé un procès criminel à des fins personnelles ou de publicité pour une entreprise tierce, qui, de surcroît, voulait profiter de la médiatisation. »
Messages haineux
La criminaliste Vanessa Pharand a éclaté en sanglots à deux reprises en décrivant au Conseil de discipline du Barreau du Québec les messages de haine qu’elle a reçus à la suite de la médiatisation liée à la vidéo controversée.
« On m’a incité au suicide, on m’a dit que je méritais de mourir et d’être agressée à mon tour. J’étais à terre », a raconté l’avocate, visiblement encore ébranlée.
Vanessa Pharand a assuré qu’elle a agi de bonne foi et qu’elle a toujours eu la seule intention de faire la promotion d’une entreprise régionale, dirigée par des femmes.
« Tout a changé avec l’article [de La Presse] du 24 février. Il y a eu un dérapage. L’article décide que c'est de l'autopromotion, alors que c’est faux », affirme Me Giuseppe Battista, l’avocat de Vanessa Pharand.
Elle a retiré la vidéo de la sphère publique et fait basculer son compte Instagram en mode privé dès qu’elle s'est rendu compte de la sensibilité que son contenu soulevait. C’était quelques jours après la publication, mais avant la médiatisation à grande échelle.
« J’ai honte parce que quand l’interprétation différente a été publiée par la suite, pour moi c’est atroce. J’avais une pensée pour la famille de la victime. On ne peut pas faire ça à une famille qui a souffert pendant 24 ans. Jamais je n’ai prévu qu’on puisse déconstruire ma publication comme ça et c’est ça qui me fait honte », a raconté la criminaliste en sanglotant.
Selon son avocat, avant la médiatisation négative de la vidéo, le contenu a d’abord reçu de nombreux commentaires positifs.
« Plusieurs personnes ont très bien compris que c’était une publicité », a expliqué Giuseppe Battista devant le Conseil de discipline du Barreau. « Le Conseil doit tenir compte de l’intention derrière la publication. Une erreur de jugement, si erreur il y a, n’est pas une faute. »
Rôle de Karine Poliquin
L’autre avocate impliquée dans cette affaire a indiqué qu’elle a bel et bien participé à la production d’une partie de la vidéo.
D’emblée, Karine Poliquin a toutefois précisé qu’elle était néophyte en matière de réseaux sociaux, contrairement à sa collègue qui était active en ligne quotidiennement.
« C’est mon conjoint qui m’a parlé de la vidéo et, ensuite, j’ai regardé la vidéo sur le téléphone de Mme Pharand. [...] Je ne peux pas nier que j’ai aimé la vidéo », a-t-elle répondu à la question d’un membre du Conseil de discipline.
Selon le syndic, même si elle a eu un rôle moindre dans la publication de la vidéo, le fait de filmer une partie des images et d'omettre de s’informer de l’utilisation des vidéos la rend tout autant responsable d’un acte dérogatoire à l’honneur de la profession.
L’avocat de Karine Poliquin est tout à fait en désaccord. « C’est un montage auquel elle n’a aucunement participé. De ses propres mots, elle ignorait même la signification d’un hashtag avant la médiatisation de toute l’affaire », a plaidé Pierre Poupart.
Le Conseil de discipline du Barreau du Québec a pris la cause en délibéré et rendra une décision ultérieurement.
Si elles sont reconnues coupables, les criminalistes s’exposent à des amendes allant de 2500 $ à 62 500 $, ou à la radiation temporaire ou permanente.