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La loi qui voulait encadrer les technologies

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Dominic Jaar

2009-08-11 14:15:00

Je crois rêver ! Le mois de juin 2009 aura été un mois record pour la citation de ma loi fétiche, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (« LCCJTI »).
En effet, depuis son entrée en vigueur, il y aura bientôt 8 ans, cette œuvre législative n’avait jamais été autant citée en seul mois : 4 fois ! À preuve, il y a deux ans, mon ami Jean-François De Rico et moi recensions à peine 16 décisions dignes de ce nom dans le cadre d’un article produit pour la conférence annuelle des juges de la Cour supérieure, maintenant publié dans les Développements récents sous le titre tautologique Le cadre juridique des technologies de l’information.

Nous sommes loin de la coupe aux lèvres mais tout de même… Je commence à croire qu’à force de répétition dans le cadre d’articles, de billets, de conférences, etc., les juristes commencent à percevoir les occasions inouïes d’innovation qui se cachent dans cette loi. Il ne reste qu’à les maitriser et à les utiliser !

Voici un survol des divers sujets abordés dans celle-ci et de l’usage que pourraient en faire les juristes, mais aussi leurs clients :

1) Environnement sans papier : numérisation, transfert, communication électronique, signature électronique, conservation et archivage des documents technologiques.
2) Preuve électronique : valeur juridique, force probante et métadonnées.
3) Gestion de la pratique du droit et éthique: automatisation de la création documentaire et des processus, cabinet virtuel, réseautage en ligne et privilège.

Par contre, lorsqu’on se penche sur la jurisprudence actuelle, on doit se rendre à l’évidence : dans nombre de cas, bien que le bon résultat juridique soit atteint ou que justice soit rendue, le syllogisme juridique est souvent approximatif. On pourrait être tenté de blâmer la magistrature pour ces méprises mais il appert des jugements qu’il s’agit plutôt généralement de l’ignorance ou de l’incompréhension des dispositions de la LCCJTI par les avocats, ou de leur inaptitude à en véhiculer l’essence qui en est la source.

Un exemple

Penchons-nous sur l’une des dernières décisions rendues : Montréal (Ville) c. Bolduc, 2009 CanLII 30774 (QC C.M.)

Dans le cadre d’une requête pour rejet de constat d’infraction, la défense allègue que « le constat d’infraction produit en preuve est invalide parce qu’il n’est pas signé, et ne fait que mentionner le nom du policier ». Elle se fonde, entre autres, sur l’article 75 de la LCCJTI qui stipule :

«Lorsque la loi prévoit qu’une signature peut être gravée ou imprimée ou apposée au moyen d’un fac-similé gravé, imprimé ou lithographié ou qu’une marque peut l’être au moyen d’une griffe, d’un appareil ou d’un procédé mécanique ou automatique, elle doit être interprétée comme permettant, sur support papier, d’apposer la signature autrement que de façon manuscrite ou de faire apposer la marque personnelle par quelqu’un d’autre. Une telle disposition n’empêche pas de recourir à un autre mode de signature approprié à un document, lorsque ce dernier n’est pas sur support papier.»

Malheureusement pour la défense, le ''Règlement sur la forme des constats d’infraction'' prévoit diverses possibilités dont, à l’article 22, que « le papier utilisé pour la matérialisation du constat d’infraction destiné au défendeur, de celui destiné à l’autorité judiciaire pour être au dossier du tribunal […] et devant servir de preuve documentaire doit permettre de reconnaître que ce constat est un original […]. » Cela a suffi au magistrat pour conclure que « il appert donc tout à fait évident que la matérialisation faite à la procureure du défendeur de la copie du constat d’infraction reflète précisément ce prérequis obligatoire de la matérialisation ici faite par une tierce personne pour en assurer l’intégrité, la preuve en étant soumise au Tribunal, par la procureure elle-même, de la copie ainsi obtenue de la divulgation de la preuve requise et qui correspond en tous points au constat d’infraction sous support électronique et matérialisé par une tierce personne qui est identifiée à la copie […] ».

Bien que cette conclusion nous semble un raccourci omettant un certain nombre d’éléments, là où le bas blesse est au même endroit que dans pratiquement tous les dossiers que nous avons vu passer jusqu’ici… La conclusion la plus courante est très bien libellée par le juge en l’instance :

« (30) Il appartient donc à celui qui veut attaquer la preuve de l’intégrité d’un document sur support papier ou électronique d’établir par prépondérance de preuve qu’il y a eu atteinte à l’intégrité du document […]

(31) Cette preuve n’est au surplus aucunement faite dans la présente cause. »

La majorité des procureurs qui, à ce jour, ont tenté de remettre en question un document électronique se sont heurtés à une formalité procédurale pourtant clairement identifiée à l’article 7 de la LCCJTI qui édicte :

« Il n'y a pas lieu de prouver que le support du document ou que les procédés, systèmes ou technologies utilisés pour communiquer au moyen d'un document permettent d'assurer son intégrité, à moins que celui qui conteste l'admission du document n'établisse, par prépondérance de preuve, qu'il y a eu atteinte à l'intégrité du document. »

Cette disposition nous renvoie donc à l’article 89 al.1 par 4 du Code de procédure civile qui requiert un affidavit détaillé en ces mots :

« 89. Doivent être expressément alléguées et appuyées d'un affidavit:
[…]
4° la contestation d'un document technologique fondée sur une atteinte à son intégrité. Dans ce cas, l'affidavit doit énoncer de façon précise les faits et les motifs qui rendent probable l'atteinte à l'intégrité du document.

A défaut de cet affidavit, les écrits sont tenus pour reconnus ou les formalités pour accomplies, selon le cas. »

Pourtant, et en conclusion, une question persiste ici, comment gérer un tel prérequis dans un cadre pénal ?


Droit et Techno
Deux fois par mois, Dominic Jaar et Philippe Senécal, conseillers juridiques de Conseils Ledjit, rédigent pour vous des billets rapportant des nouvelles technologiques liées au droit ainsi que des nouvelles juridiques relatives aux technologies. Pour consulter toutes leurs chroniques, cliquez ici.
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5 commentaires
  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    J'en mange mes bas
    Le BAT blesse.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    Invitation à l'abus
    "à moins que celui qui conteste l'admission du document n'établisse, par prépondérance de preuve, qu'il y a eu atteinte à l'intégrité du document"

    Dans un environement électronique, obliger une preuve d'altération d'un document quand l'encodage du document n'a pas été prévu pour offrir ce type de garantie, c'est une invitation à la falsification.

  3. Me
    Me
    La rédaction de cette loi est vraiment merdique... c'est un des facteurs qui l'empêchent d'atteindre son but.

    Par ailleurs, il faut dire que 95% des adjointes n'aident vraiment pas à la cause. Si elles doivent faxer un document, ils l'impriment pour le faxer et à l'autre bout ils font un pdf-image qui pèse 5 mb qui sera à son tour imprimé :) Pas très bright... La voie doc-pdf-courriel-pdf semble à peu près inconnue dans l'industrie.

  4. Dominic Jaar
    Dominic Jaar
    il y a 16 ans
    Re : J'en mange mes bas
    > Le BAT blesse.

    Cher anonyme,

    C'est plutôt "bât".

    J'en profite pour vous inviter à agir comme relecteur et correcteur officiel sur Droit-Inc: vous satisferez vos soucis grammaticaux et orthographiques, tout en réduisant le nombre déjà important de commentaires inutiles qu'on retrouve ici.

    Merci d’avance pour votre précieuse collaboration!

    Dominic Jaar

  5. Anonyme
    Anonyme
    il y a 16 ans
    Droit Ontarien
    J'ai entendu dire que des entreprises du Québec faisant des "affaires électroniques" avaient choisi l'Ontario pour la dimension "électronique" de leurs services, en raison de la meilleure protection offerte par le droit Ontarien.

    Y a-t-il ici un connaisseur ici qui pourrait nous en dire plus ?

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