Traduction de jugements : le juge Galiatsatos a « outrepassé » ses compétences

Radio Canada
2025-08-14 10:15:20

C’est un jugement particulièrement sévère que la Cour d’appel vient de rendre à l'endroit du juge Dennis Galiatsatos. Selon elle, le magistrat de la Cour du Québec est allé beaucoup trop loin en voulant statuer seul sur la validité constitutionnelle d’un article de la Charte de la langue française qui oblige la traduction simultanée de jugements rendus en anglais.
Amorcer, conduire et résoudre ce débat unilatéralement et par anticipation comme le juge a tenté de le faire ici outrepassait largement les limites de sa compétence, peut-on lire dans la décision de 35 pages dévoilée vendredi, d’abord prononcée à l’oral en juin. En mai 2024, le juge Galiatsatos avait défrayé la manchette après avoir décidé de son propre chef de déclarer inopérant au criminel l’article 10 de la Charte de la langue française, communément appelée loi 101.
Le magistrat se préparait alors à présider le procès de Christine Pryde, accusée de négligence criminelle ayant causé la mort d'une cycliste en 2021. La prévenue avait choisi un procès en anglais, comme le lui permet la Constitution canadienne.
À l'époque, l’article 10 était sur le point d'entrer en vigueur. Il découlait de la nouvelle Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, adoptée en 2022 par le gouvernement Legault.
Cette loi est venue modifier la Charte en y ajoutant notamment l’article 10, qui prévoit désormais qu’un jugement rédigé en anglais soit traduit immédiatement et sans délai en français lorsqu’il met fin à une instance ou présente un intérêt pour le public. En jugeant cette disposition « inopérante » en droit criminel, le juge Galiatsatos avait invoqué des délais de traduction de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, ce qui aurait pu donner des arguments à Christine Pryde pour obtenir un arrêt des procédures en vertu de l'arrêt Jordan. Il avait ajouté que le droit criminel est de compétence fédérale. Le procureur général du Québec avait aussitôt porté cette décision en appel. Sa demande de sursis avait été rejetée, mais l'affaire devait encore être tranchée sur le fond.
« Forcer la main »
C’est maintenant chose faite. Pour la Cour d’appel, « un juge ne peut pas trancher une question qui concerne la validité constitutionnelle d’une disposition légale sans s’être vu attribuer la compétence pour le faire », assènent les juges Yves-Marie Morissette, Patrick Healy et Lori Renée Weitzman.
Le juge Galiatsatos a par ailleurs forcé la main des parties en leur imposant envers et contre tout cet enjeu dont ils ne voulaient pas, écrivent-ils. Christine Pryde avait clairement indiqué qu’elle ne voulait pas de ce débat constitutionnel alors que son procès approchait, ni d'ailleurs le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).
« La procédure suivie ici laissait trop à désirer. On ne tranche pas de cette façon, à partir de pures hypothèses, dans un cadre procédural déficient et sans l’éclairage d’un contexte bien documenté, une question comme celle sur laquelle le juge s’est prononcé », estime la Cour d'appel.
Les juges ont trouvé préoccupante également l’insistance avec laquelle le juge Galiatsatos a semblé vouloir régler rapidement la validité constitutionnelle de l’article 10. À deux reprises, il a déposé des jugements étoffés, accompagnés de notes de bas de page copieuses, alors qu’une audience venait d’avoir lieu ou qu’il avait tout juste reçu l’argument écrit des représentants de l’État. À quoi bon avoir le droit d’être entendu en Cour du Québec si les jeux sont déjà faits? s'interrogent-ils.
À noter que le tribunal ne s’est pas prononcé sur la constitutionnalité de l’article 10 de la Charte en matière criminelle. Peut-être y avait-il ici matière à un débat constitutionnel en bonne et due forme (...) On peut légitimement se le demander. La décision rendue et les motifs invoqués par la Cour d’appel envoient un message clair. Il s’agit d’une victoire, a réagi mercredi le cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, se gardant de formuler d’autres commentaires puisque sa réforme de la loi 101 est contestée devant les tribunaux.