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Le DPCP rappelé à l’ordre par la Cour supérieure

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Élisabeth Fleury

Élisabeth Fleury

2025-11-04 15:00:53

La Cour supérieure annule une décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales de mettre fin à une poursuite privée pour introduction par effraction.

Yvan Poulin - source : Archives


Le juge Yvan Poulin a conclu que l'omission du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) d'examiner une preuve vidéo disponible et pertinente, qui avait pourtant été visionnée par le juge lors de la préenquête, constituait un abus de procédure, justifiant ainsi l'intervention rare du tribunal.

La décision a été rendue le 29 octobre.

Yanick Péloquin - source : LinkedIn
La requérante était représentée par Me Yanick Péloquin, alors que le DPCP, l’intimé, était défendu par Me Philippe Desjardins.

La mise en cause dans ce dossier est la procureure chef adjointe du district de Richelieu, Me Caroline Fontaine.

Contexte : un conflit entre une mère et sa fille

L'affaire trouve son origine dans un conflit familial impliquant la requérante, une septuagénaire, sa fille ainsi que le conjoint de cette dernière. Leur identité ne peut être divulguée.

La requérante réside depuis longtemps dans un immeuble qu'elle avait précédemment vendu à sa fille, avec l'entente qu'elle continuerait d'y vivre moyennant un loyer réduit. Au fil des ans, les relations mère-fille se sont grandement détériorées, aboutissant à une absence totale de communication et à des différends portés devant les tribunaux civils concernant le logement.

Les événements au cœur du litige surviennent le 11 septembre 2023. Ce jour-là, la fille obtient de la Cour du Québec une ordonnance autorisant la mise sous garde provisoire de sa mère à l'hôpital pour une évaluation psychiatrique, mesure habituellement prise lorsqu'une personne est jugée dangereuse pour elle-même ou autrui. L'ordonnance est exécutée par les policiers.

Pendant que la requérante est hospitalisée, son fils se rend à son logement vers 17h et découvre que sa sœur, son conjoint et deux autres personnes sont en train de vider l'appartement de sa mère.

Informée, la mère contacte la police. À leur arrivée, les agents constatent la présence d'une remorque et des signes d'effraction sur la porte principale, qui avait été forcée. Les policiers interviennent pour exiger que les effets soient remis dans le logement de la requérante.

Plus tard, vers 22h30, la requérante quitte l'hôpital. De retour chez elle, elle constate que la serrure de la porte principale a été changée et que l'accès par la porte arrière est bloqué. Elle réussit à entrer en forçant la serrure. Elle dépose ensuite une plainte pour introduction par effraction et méfait contre sa fille, son conjoint, et les deux autres personnes impliquées.

Le rapport d’enquête et le rapport d’événement rédigés par les policiers sont transmis au DPCP quelques semaines après les faits.

Le 4 novembre 2023, alors que le dossier est encore à l’étude, l’avocat de la mère informe le procureur du DPCP, par courriel, de l’existence d’une vidéo avec son ayant capté les événements du 11 septembre 2023, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du logement.

Le 8 décembre 2023, le procureur du DPCP informe l’avocat de la requérante que « le ministère public ne portera pas d’accusations criminelles dans cette affaire ». Cette décision est prise sans que la vidéo ne soit demandée ni examinée.

La poursuite privée

Après le refus initial du DPCP d'intenter des poursuites, la requérante lance, avec l'aide de son avocat, une poursuite privée contre sa fille, son conjoint et les deux autres individus, conformément à l'article 507.1 du Code criminel.

La préenquête a lieu le 26 septembre 2024 devant la Cour du Québec. L'avocat de la mère y présente la preuve, incluant la vidéo enregistrée le jour des faits, que le juge visionne. Le DPCP y assiste, représenté par une stagiaire dont le rôle se limite à prendre des notes et à faire rapport, sans participer activement ni visionner la preuve vidéo.

Le 8 octobre 2024, la Cour du Québec statue en faveur de la mère, décernant une sommation à la fille et au conjoint de celle-ci pour qu'ils comparaissent afin de répondre à une accusation d'introduction par effraction.

Quelques jours seulement après l'émission des sommations par la Cour du Québec, le DPCP intervient pour mettre fin abruptement à la poursuite privée.

Le 24 octobre 2024, l'avocat de la mère contacte Me Caroline Fontaine pour lui offrir de transmettre la vidéo ayant servi de base à la décision du juge lors de la préenquête. Me Fontaine ignore cette offre et n’entreprend aucune démarche pour obtenir la preuve.

Le jour suivant, le 25 octobre 2024, Me Fontaine dépose un arrêt des procédures en vertu de l'article 579 du Code criminel, mettant fin à la poursuite avant même la comparution des accusés. Elle informe l'avocat de cette décision par courriel, sans fournir d'explication immédiate.

La position de Me Fontaine

Dans ses déclarations sous serment, Me Fontaine a confirmé qu'elle n'avait ni consulté ni pris en compte la vidéo. Elle a justifié son inaction en affirmant que cet élément n'aurait eu « aucune incidence » sur son évaluation.

La procureure a expliqué que sa décision reposait sur des motifs d'opportunité au regard de l'intérêt public, et non sur l'insuffisance de la preuve. Les facteurs clés qui ont guidé sa décision incluaient :

  • l'existence d'un recours civil déjà disponible pour la requérante;
  • la faible gravité subjective de l'infraction;
  • le fait que la victime ait pu récupérer la majorité de ses biens;
  • le lien familial entre les parties;
  • l'absence de preuve, selon elle, que l'ordonnance d'évaluation psychiatrique avait été sollicitée de mauvaise foi.

Négligence grave et abus de procédure

Dans son jugement, le juge Yvan Poulin souligne qu'une décision du DPCP ne peut être annulée que si elle constitue un abus de procédure, un seuil « notoirement très élevé » qui vise les conduites graves minant l'intégrité du système de justice.

Un abus de procédure peut découler non seulement d'une intention malveillante ou illégitime, mais aussi d'actes posés par négligence ou insouciance, ou encore d'une décision dont les effets sont abusifs, précise le juge Poulin.

Pour le tribunal, l'omission du DPCP d'examiner la preuve vidéo constitue une négligence suffisamment grave pour être qualifiée d'abus de procédure :

  1. Non-respect des directives : le tribunal a souligné que la directive interne du DPCP (PRI-1) exigeait une « analyse objective de la preuve disponible ». La vidéo utilisée par le juge pour décerner la sommation était une preuve disponible et pertinente que le DPCP connaissait, a-t-il souligné. L'omission délibérée de l'examiner contrevient directement à cette exigence de rigueur et de diligence, a tranché le juge Poulin.
  2. Atteinte à l'intégrité du système : selon le tribunal, l'omission d'examiner un élément de preuve pris en compte par le juge « jette un discrédit et porte préjudice à l’administration de la justice ». Le public est en droit de s'attendre à ce que des décisions aux « conséquences lourdes » reposent sur un examen complet de la preuve disponible, a fait valoir le juge Poulin. Une telle conduite est, selon lui, de nature à « choquer la conscience de la collectivité ».
  3. Pertinence de la vidéo : le tribunal a rejeté l'argument du DPCP selon lequel la vidéo n'était pertinente que pour la suffisance de la preuve. Les images des coups portés sur la porte de même que les gestes et propos tenus à l'intérieur sont, de l’avis du juge Poulin, de nature à éclairer à la fois la suffisance de la preuve et l'opportunité de poursuivre au regard de l'intérêt public, notamment quant à l'état d'esprit et à la motivation des personnes impliquées.

La Cour supérieure a accueilli la requête en certiorari, annulé l'ordonnance d'arrêt des procédures du DPCP et rétabli la situation procédurale antérieure, permettant la reprise de la poursuite privée.

Elle a en outre ordonné l'émission de sommations à l'encontre de la fille et de son conjoint afin qu'ils comparaissent devant la Cour du Québec pour introduction par effraction.

Le tribunal a précisé que, bien qu'il ait annulé la décision, il n'ordonnait pas au DPCP de prendre immédiatement en charge la poursuite par voie de mandamus, car cela excéderait le cadre du recours. Le DPCP devra plutôt procéder à une nouvelle analyse de l'opportunité de la poursuite, idéalement confiée à un procureur autre que ceux impliqués dans la présente affaire, afin de s'assurer de l'objectivité.

Comme le dossier d’accusation est de nouveau pendant, le DPCP s’est abstenu de commenter la décision du juge Poulin. On ne sait pas non plus s’il la portera en appel, le délai pour l’analyser et prendre une décision étant de 30 jours, a rappelé à Droit-inc le porte-parole du DPCP, Me Lucas Bastien.

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