Protection de la vie privée des candidats à un emploi au Québec
Amir Kashdaran Et Shari Munk-Manel
2025-11-04 11:15:29

Le recrutement, étape essentielle à la croissance et au développement de toute organisation, exige souvent des employeurs qu’ils recueillent, évaluent, traitent et conservent un large éventail de renseignements sur les candidats, y compris leurs renseignements personnels. Au Québec, la Commission d’accès à l’information (la « CAI ») a publié des lignes directrices rappelant aux organisations qu’elles doivent porter une attention particulière aux renseignements personnels recueillis et traités à chaque étape du processus de recrutement.
La CAI rappelle aux employeurs que même si les candidats communiquent volontairement des renseignements personnels, ils ne sont pas en droit de recueillir et de traiter ceux non essentiels à l’évaluation des candidatures.
Dans le présent bulletin, nous examinons ces lignes directrices sur la collecte et le traitement de renseignements personnels à chaque étape du processus de recrutement typique.
1. Aperçu des obligations des employeurs en matière de protection de la vie privée
Selon la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (la « Loi du Québec sur la protection des renseignements personnels »), dans la mesure où les employeurs recueillent des renseignements personnels sur les candidats directement auprès de ceux-ci ou par l’intermédiaire de tiers agissant en leur nom (des agences de placement de personnel, par exemple), ils demeurent responsables du respect des exigences de la loi et de la protection des renseignements personnels des candidats. Ainsi, les employeurs doivent :
ne recueillir que les renseignements personnels nécessaires au processus de recrutement;
mettre en œuvre des mesures techniques, administratives, organisationnelles et physiques pour protéger les renseignements personnels de chaque candidat qui sont en leur possession (ou de celle de leurs fournisseurs de services);
veiller à ce que les renseignements personnels qui ne sont plus nécessaires soient supprimés ou détruits, à moins que leur conservation ne soit exigée par la loi.
La CAI met en garde les employeurs : même si les candidats peuvent accepter volontairement de communiquer des renseignements personnels, ceux-ci doivent satisfaire à la condition de nécessité énoncée par la Loi du Québec sur la protection des renseignements personnels pour que leur collecte demeure légale. Ainsi, les employeurs ne sont pas autorisés à recueillir des renseignements personnels qui ne sont pas absolument nécessaires à l’évaluation et à la sélection d’un candidat, même si ce dernier y a consenti. Autrement dit, le consentement des candidats ne peut servir à « légaliser » une collecte de renseignements personnels qui ne satisfait pas à la condition de nécessité.
Les exigences susmentionnées continuent de s’appliquer aux employeurs, même lorsqu’un tiers, comme une agence de placement, recueille des renseignements personnels en leur nom. Les employeurs devraient donc mettre en œuvre des politiques et des pratiques adéquates pour s’assurer que leurs fournisseurs de services tiers respectent, eux aussi, les exigences de la Loi du Québec sur la protection des renseignements personnels.
2. Type de renseignements personnels que les employeurs peuvent recueillir à chaque étape du processus de recrutement
2.1 1er étape : recevoir des candidatures
Durant la première étape du processus, les employeurs exigent généralement des candidats qu’ils soumettent une demande d’emploi en réponse à l’avis de poste à pourvoir. Dans certains cas, les candidats doivent remplir un formulaire, tandis que dans d’autres cas, ils doivent soumettre leur curriculum vitæ accompagné d’une lettre de motivation contenant des renseignements à leur sujet.
Peu importe la situation, les candidats doivent généralement fournir les renseignements suivants :
leurs coordonnées (prénom, nom, numéro de téléphone, adresse électronique et adresse personnelle);
leurs expériences professionnelles pertinentes;
leur parcours scolaire;
leurs compétences et centres d’intérêt.
Selon la nature de l’emploi (postes de direction ou de gestion, réglementés par la loi ou un ordre professionnel, ou requérant des compétences spécialisées, par exemple), il est possible que les employeurs demandent des renseignements supplémentaires afin de mieux évaluer le profil de chaque candidat.
Cela dit, la CAI précise aux employeurs de s’abstenir, à cette étape du processus, de demander des renseignements au-delà de ce qui est nécessaire pour évaluer si un candidat possède ou non toutes les qualités recherchées. Par exemple, les employeurs ne devraient pas demander de lettre de recommandation, car de nombreux candidats pourraient ne pas se rendre à la prochaine étape du processus de recrutement. Selon la CAI, il est plus approprié d’en demander une après l’entrevue avec le candidat.
Pour illustrer davantage la position de la CAI, voici d’autres exemples de demandes à éviter à cette première étape du processus de recrutement :
exiger que tous les candidats, quel que soit le poste à pourvoir, remplissent un formulaire de demande général dans lequel ils doivent fournir des renseignements qui peuvent ne pas être pertinents;
demander aux candidats de divulguer leur état matrimonial ou leur date de naissance dans un formulaire de demande général; demander aux candidats de fournir leur numéro d’assurance sociale.
2.1.1. Importance d’éviter la discrimination
En plus des préoccupations en matière de protection de la vie privée concernant la collecte et le traitement de ce type de renseignements, exiger des candidats qu’ils fournissent dans leur demande certains types de renseignements personnels pouvant se rapporter à l’un des motifs protégés par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (la « Charte ») (l’âge, l’état matrimonial, la religion, l’orientation sexuelle, la citoyenneté ou les projets de grossesse, par exemple) peut entraîner des plaintes pour discrimination si la candidature d’une personne est refusée une fois les renseignements demandés fournis.
La meilleure pratique à adopter à l’étape de la soumission d’une demande d’emploi serait certainement de limiter les renseignements recueillis au strict nécessaire pour évaluer l’aptitude de chaque candidat.
2.2. 2e étape : évaluer les meilleurs candidats
La deuxième étape du processus de recrutement consiste habituellement à évaluer les candidatures soumises. En règle générale, les candidats jugés admissibles et qualifiés seront invités à passer une entrevue.
2.2.1. Vérification de l’identité des candidats
À cette étape, il est raisonnable pour les employeurs de vérifier l’identité des candidats invités à passer une entrevue en leur demandant de présenter une pièce d’identité délivrée par le gouvernement. Toutefois, les employeurs ne doivent pas en faire une photocopie, la prendre en photo, noter des renseignements y figurant ou conserver les renseignements d’identification y figurant.
2.2.2. Importance d’éviter la discrimination
Comme à l’étape de soumission de la demande d’emploi, les employeurs devraient éviter, lors de l’entrevue, de poser des questions qui amèneraient les candidats à révéler des renseignements personnels liés à des motifs protégés par la Charte, sauf si ces renseignements sont manifestement nécessaires pour le poste ou si leur divulgation est permise par la loi. Par exemple, un employeur ne devrait ni demander à un candidat de 25 ans à un poste d’entreposage s’il a l’intention d’avoir des enfants ni demander à un candidat à un poste de développeur de logiciels de divulguer sa religion ou son origine ethnique.
2.2.3. Tests psychométriques et de personnalité
Les employeurs peuvent, dans de rares cas, souhaiter utiliser des tests psychométriques ou de personnalité. Toutefois, la CAI souligne que leur usage devrait être réservé à des « situations précises » où ils sont strictement nécessaires à l’évaluation des compétences ou des traits ayant un rapport direct avec le poste. Les employeurs doivent s’assurer que ces tests sont scientifiquement valides, appliqués selon des critères objectifs et interprétés avec prudence (compte tenu, en particulier, des limites des outils fondés sur des algorithmes). Même lorsque les tests sont réalisés par des fournisseurs tiers, les employeurs demeurent responsables de la conformité à la Loi du Québec sur la protection des renseignements personnels.
Par exemple, pour un poste de préposé au service à la clientèle, un employeur peut faire passer un test validé mesurant les compétences en résolution de conflits. Toutefois, il serait inapproprié d’utiliser des tests de profilage généraux qui ne sont pas liés aux fonctions ou aux responsabilités essentielles du poste. Un employeur peut également souhaiter que les candidats à un poste de gestion se soumettent à un test d’évaluation du leadership pour connaître la capacité du candidat à superviser une équipe et à prendre des décisions judicieuses sous pression. Les employeurs devraient faire preuve de prudence lorsqu’ils conçoivent leurs tests afin d’évaluer uniquement les compétences essentielles au poste, selon des critères objectifs.
Il convient de souligner que conformément à la Loi du Québec sur la protection des renseignements personnels, un employeur qui recueille de tels renseignements auprès d’un candidat en ayant recours à une technologie comprenant des fonctions permettant d’effectuer un profilage de celui-ci doit, au préalable, l’informer du recours à une telle technologie et des moyens offerts pour activer les fonctions permettant d’effectuer un profilage. Le « profilage » s’entend « de la collecte et de l’utilisation de renseignements personnels afin d’évaluer certaines caractéristiques d’une personne physique, notamment à des fins d’analyse du rendement au travail, de la situation économique, de la santé, des préférences personnelles, des intérêts ou du comportement de cette personne ».
2.2.4. Systèmes d’intelligence artificielle
La CAI a également publié des lignes directrices sur le recours à l’intelligence artificielle (les « systèmes d’IA ») lors du processus de recrutement, notamment pour trier les demandes d’emploi, classer les candidatures ou évaluer (voire prendre) les décisions d’embauche.
Comme mentionné ci-dessus, les employeurs qui recueillent des renseignements personnels en ayant recours à une technologie comprenant des fonctions permettant d’effectuer un profilage du candidat doivent l’informer du recours à une telle technologie et des moyens offerts pour activer les fonctions permettant d’effectuer un profilage. De plus, dans la mesure où les employeurs utiliseront des systèmes d’IA pour rendre des décisions fondées exclusivement sur un traitement automatisé des renseignements personnels des candidats, ils devront se conformer aux obligations de notification supplémentaires énoncées dans la Loi du Québec sur la protection des renseignements personnels.
La CAI souligne que les employeurs doivent respecter le principe de nécessité en tout temps, faire preuve de vigilance quant aux biais des algorithmes et s’assurer que leur personnel est adéquatement formé pour comprendre les limites des systèmes d’IA. Les employeurs sont également tenus d’effectuer une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée avant d’avoir recours à un nouveau système d’IA afin d’en assurer une utilisation conforme à la loi.
La CAI prévient également que l’utilisation de ces systèmes dans certaines situations peut s’avérer très intrusive, comme la reconnaissance de l’état émotionnel ou l’évaluation psychologique d’une personne lors d’une entrevue en visioconférence. Dans la plupart des cas, elle considère que de telles pratiques sont inappropriées et ne sont probablement pas conformes aux exigences de la Loi du Québec sur la protection des renseignements personnels. Plus précisément, la CAI juge inappropriée l’utilisation de systèmes d’IA pour analyser les expressions faciales, le ton de la voix ou le langage corporel pendant les entrevues en visioconférence et ainsi évaluer l’état émotionnel ou psychologique.
2.3. 3e étape : confirmer les compétences et aptitudes du candidat retenu
À cette étape, les employeurs souhaitent généralement confirmer les compétences et les aptitudes du candidat retenu. La CAI recommande de présenter une offre d’emploi conditionnelle avant de demander des références, de consulter des dossiers externes ou de demander un consentement écrit à la vérification des références. Les employeurs devraient limiter leur collecte de données strictement aux renseignements nécessaires à la confirmation des compétences et aptitudes du candidat. Voici quelques recommandations de la CAI :
Références du candidat : Les employeurs doivent obtenir le consentement du candidat avant de communiquer avec ses employeurs précédents.
Profils sur les réseaux sociaux : Les employeurs sont priés de s’abstenir d’utiliser les renseignements figurant sur les différents profils ou comptes de réseaux sociaux d’une personne, car les renseignements accessibles dans de telles sources sont susceptibles de ne présenter aucun intérêt dans le cadre du processus de recrutement, d’être inexacts ou de ne plus être d’actualité.
Vérification du dossier de crédit : Les vérifications de solvabilité, les évaluations de la réputation ou les rapports similaires exigent l’obtention d’un consentement explicite du candidat et doivent se limiter à ce qui est nécessaire pour le poste à pourvoir. La CAI dissuade les organisations d’utiliser de tels rapports pour évaluer l’honnêteté ou le caractère d’une personne et leur recommande plutôt un moyen moins intrusif à cette fin.
Renseignements médicaux : Les renseignements médicaux ne devraient être obtenus que dans la mesure où ils sont nécessaires pour le poste à pourvoir. Ils peuvent être recueillis au moyen d’un questionnaire ou d’examens médicaux. Toutefois, la CAI avertit les employeurs que la collecte de ces renseignements ne doit pas être systématique, intrusive ou trop large. Au sens de la Loi du Québec sur la protection des renseignements personnels, les renseignements médicaux sont généralement considérés comme des renseignements sensibles, et les employeurs doivent s’assurer que seul le personnel qui a besoin de les connaître peut accéder à ceux du candidat. Étant donné la nature hautement confidentielle des renseignements médicaux, les employeurs sont encouragés à les conserver dans un dossier distinct du dossier d’emploi.
Vérification des antécédents judiciaires : La vérification des antécédents judiciaires doit être directement liée à une exigence du poste à pourvoir et effectuée avec le consentement préalable du candidat. De plus, les employeurs ne peuvent pas déposer les antécédents judiciaires dans le dossier du candidat si l’infraction commise n’a aucun lien avec l’emploi ou si le candidat a obtenu une suspension du casier judiciaire. La CAI rappelle aux employeurs qu’ils doivent être en mesure de démontrer que tout renseignement recueilli dans le cadre d’une vérification des antécédents judiciaires l’a été à des fins sérieuses et légitimes.
2.4. 4e étape : embaucher le candidat retenu
À l’étape finale, lorsqu’un contrat de travail est signé et que la relation d’emploi commence, les employeurs peuvent recueillir les renseignements personnels supplémentaires nécessaires à l’intégration de l’employé et aux fins de conformité légale. Par exemple, ils peuvent demander les renseignements suivants :
sa date de naissance (collecte nécessaire, par exemple, pour déterminer les modalités d’adhésion à un régime de retraite ou d’avantages sociaux); son numéro d’assurance sociale (collecte nécessaire, par exemple, pour se conformer à la législation fiscale); ses coordonnées bancaires (collecte nécessaire, par exemple, pour traiter sa paie); les coordonnées d’une personne à contacter en cas d’urgence (collecte pouvant être appropriée, par exemple, pour s’assurer que l’employeur peut joindre la personne dans une telle situation); sa photo (collecte pouvant être appropriée, par exemple, à des fins d’identification ou de sécurité).
Si les employeurs ont l’intention de recueillir des renseignements biométriques, ils doivent veiller au respect strict de la Loi du Québec sur la protection des renseignements personnels et potentiellement de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (la « Loi du Québec sur les TI »), compte tenu de la nature très sensible de ces données ainsi que des protections et exigences énoncées dans la Loi du Québec sur les TI.
3. Points à retenir
Le respect de la Loi du Québec sur la protection des renseignements personnels dans le contexte du recrutement n’est pas seulement une obligation légale, c’est aussi une affaire de confiance entre l’employeur et l’employé potentiel ainsi qu’une question de préservation de la réputation de l’employeur en général. Bien que les candidats s’empressent souvent de communiquer des renseignements personnels dans l’espoir d’obtenir un poste, les employeurs doivent se rappeler que cette divulgation volontaire ne remplace pas leur devoir de ne recueillir que l’information strictement nécessaire, de la protéger avec diligence et de l’utiliser de manière responsable.
De plus, moins un employeur recueille de renseignements personnels inutiles sur un candidat, moins il est susceptible de discriminer celui-ci par inadvertance. Les employeurs ne devraient pas présumer que l’obtention du consentement d’un candidat leur permet de recueillir des renseignements personnels de façon plus large tout en demeurant entièrement conformes à la Loi du Québec sur la protection des renseignements personnels. En intégrant les principes de protection de la vie privée à chaque étape du recrutement, les organisations se conforment non seulement à la loi, mais elles font également preuve de respect envers les candidats, renforcent leur réputation et favorisent une culture de responsabilisation qui profite tant à l’employeur qu’aux personnes souhaitant se joindre à son équipe.
À propos des auteurs
Amir Kashdaran, avocat chez McMillan, possède plus de 17 ans d’expérience et offre une gamme complète de services-conseils juridiques à des sociétés nationales et internationales, et ce, dans divers domaines, dont : technologies, propriété intellectuelle, vie privée et protection des données, ainsi que droit commercial.
Shari Munk-Manel pratique le droit de l’emploi et des relations de travail chez McMillan, offrant des conseils aux employeurs et les représentant dans le cadre de litiges et du règlement de différends.