Les géants du tabac demandent un autre sursis
Radio -canada
2023-09-22 15:17:00
JTI-Macdonald, Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada demanderont le 27 septembre à la Cour supérieure de l'Ontario de prolonger de six mois l'échéance pour accoucher d'une entente. Le délai actuel expirera deux jours plus tard.
Personne ne compte s'y opposer, selon ce que Radio-Canada a appris. L'optimisme n'est toutefois plus de rigueur et les dernières requêtes judiciaires montrent que les négociations se sont enlisées depuis juillet.
Les trois entreprises se sont mises à l'abri de la Loi fédérale sur les arrangements avec les créanciers après avoir perdu contre un recours collectif de 100 000 Québécois atteints d'une dépendance à la nicotine ou d'une maladie du tabac.
La Cour d'appel du Québec avait confirmé le jugement d'un tribunal inférieur qui avait ordonné aux trois compagnies de débourser près de 15 milliards de dollars en dommages-intérêts aux fumeurs de cette province.
Après la défaite des trois compagnies au Québec, un juge ontarien leur avait accordé la protection des tribunaux.
Le juge avait suspendu le jugement de la Cour d'appel du Québec et, dans le même temps, toutes les poursuites judiciaires que les provinces ont entamées contre les cigarettiers pour récupérer l'argent qu'elles ont investi durant des années dans les soins aux malades du tabagisme.
Impasse et incertitude
Dans une déclaration sous serment envoyée à la cour, l'avocat qui représente les victimes québécoises, Philippe Trudel, affirme « sans hésitation qu'un règlement global n'est pas en vue à la lumière des développements qui sont survenus ces six derniers mois ».
« Certaines parties ont fait volte-face et renié des engagements initiaux qui avaient déjà été négociés et elles ont failli à agir de façon appropriée », ajoute Me Trudel.
L'avocat rappelle que ses clients attendent depuis 25 ans d'obtenir justice. « Ils auraient dû déjà être indemnisés en vertu de l'ordonnance de la Cour d'appel du Québec », écrit-il, tout en se gardant de nommer les créanciers qu'il montre du doigt.
L'avocat souligne par ailleurs que près de 700 clients inscrits dans son recours ont succombé depuis 2019 à la maladie dont ils étaient atteints.
« D'autres sont frêles, alors que d'autres ont même choisi l'aide médicale à mourir, parce qu'ils ne peuvent plus attendre », poursuit-il.
Avant de prendre sa retraite, le 1ᵉʳ juillet, le juge McEwen, de la Cour supérieure de l'Ontario, avait senti dans ses derniers échanges avec les avocats que les discussions semblaient être dans une impasse.
Dans sa requête, Imperial Tobacco explique que « le processus est complexe, que le groupe de demandeurs est vaste, diversifié et composé de 17 entités et que les réclamations en cause sont énormes ».
L'entreprise précise que ce processus de restructuration est historique et qu'il ne faut pas le comparer à d'autres cas dans les annales des faillites au Canada.
Impatience et agacement
Trois organisations qui œuvrent dans le domaine de la santé se disent toutefois exaspérées.
La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, les Médecins pour un Canada sans fumée et Action on Smoking & Health (ASH) demandent au juge qui encadre le processus judiciaire d'intervenir.
Elles soutiennent que les victimes du tabagisme ne devraient pas être prises en otages par les provinces dans ce long processus de restructuration dont on ne voit plus la fin.
La Coalition pense que le juge devrait donner des consignes claires selon lesquelles les négociations doivent maintenant être segmentées par groupe de créanciers et que la priorité soit d'abord accordée à l'indemnisation des victimes du Québec.
« On apprend dans la déclaration de Me Trudel que des créanciers ne font pas preuve de bonne foi, qu'elles ne négocient pas avec un sens d'urgence, contrairement à ce que le juge McEwen leur avait demandé il y a six mois », explique la co-directrice de la Coalition, Flory Doucas.
« C'est non seulement d'une immense tristesse, mais c'est déplorable, parce que les gouvernements devraient aussi avoir à cœur les intérêts des victimes du Québec, mais aussi des fumeurs de l'avenir », ajoute Flory Doucas.
Mme Doucas affirme que les victimes ont perdu toute confiance dans le processus judiciaire et qu'on ne peut pas les blâmer.
« C'est la responsabilité des provinces de protéger les malades et de s'assurer que justice soit rendue, c'est en ce sens que l'intérêt public est très mal servi », poursuit-elle.
Mme Doucas pense d'ailleurs que Me Trudel visait davantage les provinces que les compagnies de tabac dans sa récente déclaration à la cour.
Elle estime de toute façon que le montant actuel qui est sur la table n'est que de 9 milliards de dollars à partager entre tous les créanciers.