L'hypocrisie française en baisse

Amélia Salehabadi
2011-05-24 15:00:00
Le secrétaire général d'UNIDROIT
Je viens de rentrer de Rome, ou j'ai eu le privilège d'être reçue par le secrétaire général d'UNIDROIT, Monsieur José Angelo Estrella Faria, à l'occasion de la sortie éminente d'outils de travail juridiques pouvant et devant tous vous intéresser, chers confrères et consœurs pratiquant en droit commercial tout court, et pas seulement en droit international comme certains pourraient le penser.
En passant, notre code civil du Québec, tel que toiletté au début des années 90, repose sur de nombreux principes élaborés par UNIDROIT.

Tout cela pour vous dire que le secrétaire général d'Unidroit, grand juriste devant l'éternel, jouissant d'une notoriété planétaire en matière de droit international, à l'emploi du temps très chargé, puisqu'UNIDROIT publiera sous peu la troisième édition de ses fameux Principes, m'a accordé néanmoins un long entretien. Surtout sur UNIDROIT et les perspectives canadiennes. De nouveaux secteurs à explorer ? Je vous laisse sur votre faim, en attendant de lire mon article à paraître dans une revue nationale.
Je voudrais seulement vous dire ce qui m'a particulièrement touchée dans les propos tenus par Monsieur José Angelo Estrella Faria et par Madame Frédérique Mestre, son bras droit mais aussi fonctionnaire principale de l'organisation.
L'hommage rendu aux gens de bien de chez nous qui ont largement contribué à la formation et aux succès d'UNIDROIT. Ils se reconnaîtront tous. Mais permettez-moi d'en nommer quelques-uns.
Je nomme avant tout le grand, que dis-je, le géant professeur Paul-André Crépeau, éminent spécialiste en droit comparé, et papa en quelque sorte d'UNIDROIT. Mais aussi l'ex-juge Anne-Marie Trahan qui siège au comité exécutif d'UNIDROIT et l'ancien doyen de la faculté de droit de McGill et maintenant juge à la cour d'appel du Québec, Nicholas Kasirer.
Voilà c'est fait je vous transmets, Madame, Messieurs, la vive affection de la direction D'UNIDROIT. Et c'est amplement mérité !
En Baisse
L'hypocrisie parisienne
Oui, comme tout le monde sait j'adore la France.
Mais n'en déplaise à mes amis journalistes et autres de l'Héxagone, je suis absolument sidérée par les commentaires que je retrouve dans la presse française et qui concernent les affres juridiques de l'affaire DSK.
Je parle ici des commentaires de la vieille France eu égard au processus judiciaire des États-Unis en matière pénale et criminelle.
Pour ceux qui vivaient sur une autre planète la semaine dernière, rapidement, il s'agit de l'affaire impliquant l'ex- secrétaire général de la FMI, Dominique Strauss-Kahn, qui est accusé à New York, de délits criminels très sérieux dont notamment une tentative de viol.
Retenons seulement que les accusations sont sérieuses et ont été retenues par un grand jury.
Revenons aux fameux commentaires que je trouve choquants, déplacés, pour ne pas dire ahurissants, dans la bouche de citoyens issus d'une République (avec un 'R' majuscule, s.v.p.) qui s'est fondée sur trois mots magiques : "Liberté, Égalité, Fraternité".
J'attire particulièrement votre attention sur le mot "Égalité".
Or, dans le très sérieux journal Le Monde de ce week-end, plus précisément du 21 mai dernier, sous la plume de Michel Fize (sociologue au prestigieux CNRS, ce qui, en passant, rend la chose encore plus grave selon moi), on peut lire, noir sur blanc dans son papier intitulé "une inadmissible justice spectacle":
"Que Dominique Strauss-Kahn soit coupable ou non, il est inadmissible de traiter un homme de la sorte - DSK menotté dans le dos sous les flashs des photographes (!)- d'abord parce que c'est un être humain, ensuite parce qu'il était TOUT DE MÊME, ENCORE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU FMI. (...) Je pense (...) qu'il y a des personnes qui en raison de leurs responsabilités éminentes ou des services rendus à leur nation ou au monde - et c'est le cas de DSK - ont droit au moins à certains égards, à une certaine considération (...)."
Le pire, c'est qu'il n'est pas le seul à penser de la sorte. Un peu partout dans la presse française, on réclame dans le processus judiciaire américain, un régime spécial de traitement de VIP pour DSK , car il est justement "DSK-god-gift -to-humanity", ce sauveur du monde.
Ainsi, personne ne sera surpris des propos sarcastiques du directeur de la rédaction de Paris-Match, journal de potins par excellence, et qui ne veut surtout pas déplaire ni aux people ni aux politiques. Ce dernier, Olivier Royant, commente ainsi l'affaire :
"Un directeur du FMI 'made in France ' ne risquait pas d'intimider les gros bras du commissariat de Harlem, trop heureux d'adresser à la terre entière une leçon de démocratie directe. Ils n'ont même pas compris que DSK, par égard pour son rang, leur demande un traitement de faveur. En retour, ils lui ont infligé un rite sacrificiel, celui qu'ils avaient réservé au parrain de la mafia John Gotti."
On pourra reprocher ce que l'on voudra au système judiciaire américain (de préférence par des experts, n'est-ce pas), mais au moins, nulle trace d'hypocrisie cachée sous le vocable "égalité" également chérie par la Constitution américaine (la fameuse "equal protection").
Vraiment la France n'a pas à donner des leçons en cela aux Américains. Oui, la France a peut-être inventé ce beau concept philosophique d'ÉGALITÉ en matière de processus judiciaire, mais c'est avant tout en Amérique du Nord qu'il y est appliqué. Avec quelques exceptions notoires, j'en conviens, mais pas des exceptions systématiques telles que pratiquées sur le vieux continent. Le pire c'est que ce traitement de faveur est réclamé à hauts cris par l'intelligentsia française.
C'est ce manque de retenue qui m'afflige, finalement autant.