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Pourquoi l'affaire Delisle nous remue tant ?

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Amélia Salehabadi

2010-06-22 11:11:00

L’inculpation pour meurtre de l’ancien juge Jacques Delisle a créé une vague d’émotion. Amélia Salehabadi a interviewé le psychiatre Nicolas Bergeron pour décrypter cette douleur collective.
Droit-inc.com : Nous sommes tous sous le choc de l’annonce de l’inculpation de Jacques Delisle, ancien juge à la Cour d’appel. Pourquoi ce fait divers nous remue-t-il tant ?

Nicolas Bergeron: Nous sommes devant un cas où un juge est accusé de meurtre.

Tout d'abord le meurtre en soi est un acte particulier.

Même si d'après Freud, nous avons tous une pulsion de la mort, passer à l'acte est un geste gravissime.

Il existe en effet dans notre fichier collectif le fantasme de tuer pour échapper à quelque chose d'effroyable. L’échappatoire paraît la mort. Mais, passer de ce fantasme à l'acte est un interdit universel.

Cet acte commis par un juge vient nous chercher profondément car il nous effraie. Nous nous disons: si cet être exceptionnel est passé à l'acte, est-ce que cela pourra m'arriver à moi aussi, simple mortel ?

Qu’est-ce qui distingue le juge dans la perception qu’en a le public ?

Un juge est quelqu'un qui est perçu comme un être au dessus des simples mortels, tant au niveau de sa connaissance du droit, que par la maitrise de ses émotions et la capacité absolue à se contrôler.

De plus, le fait qu'il ait choisi un métier de droit, nous fait penser qu'il a épousé les enseignements du droit. Qu'il en a les valeurs et qu’il a un respect intrinsèque pour la loi.

On imagine que ces qualités professionnelles le suivent dans sa vie personnelle.

D’ailleurs, je ne crois pas, en effet, en la dissociation entre la vie professionnelle et la vie privée des juges quant à ces capacités et valeurs.

Est-ce que le fait que Jacques Delisle ait été juge à la Cour d'appel accentue encore l’émotion autour de son inculpation ?

Oui, tout à fait. Il a gravi tous les échelons pour arriver au plus haut poste au Québec en tant que juge.

On imagine donc que c’est quelqu'un d’exceptionnellement talentueux, qui a travaillé fort pour passer tous les tests hiérarchiques.

Cela suppose donc un être exceptionnel parmi ces êtres exceptionnels que sont déjà les juges dans notre imaginaire collectif.

Ce qui crée autant d’émotion dans la communauté juridique mais aussi dans la société toute entière, ce sont donc bien les fonctions de celui qui est accusé ?

Exactement. L'exemple de ce pédiatre qui a tué ses deux enfants me revient à l'esprit immédiatement dans ce cas. Ces deux cas, par certains aspects, viennent nous chercher au même niveau.

Un pédiatre dans l’imaginaire collectif est censé aimé la vie et les enfants. Or, il a tué des enfants et c’est là le contraire absolu de ce qu'il est sensé faire. Il a aussi transgressé les interdits fondamentaux de nos valeurs.

Un juge qui est accusé d'un crime s'inscrit dans les mêmes interdits.

A l’annonce de l’inculpation, le Conseil canadien de la magistrature a émis le communiqué suivant : « La loi s'applique à tous les Canadiens, qu'ils soient juges ou non. Le système judiciaire traitera de cette affaire comme si elle concernait n'importe quel autre Canadien. Et de toute façon monsieur Deslile n'était plus un juge au moment de l'infraction reprochée. » Qu’en pensez-vous ?

La réaction du conseil de la magistrature démontre un grand émoi au sein de l'institution. En effet, le Conseil en affirmant « il n'était plus un juge au moment des faits reprochés » dit en quelque sorte : « Il n'appartient plus à notre groupe. Nous ne sommes pas comme cela les juges. Nous nous dissocions de cet individu. »

Tant l’acte semble improbable et compte tenu de la maladie de son épouse, la thèse du suicide assisté s’est largement répandue. Si Jacques Delisle est bien l’auteur d’un meurtre par compassion, comment l’opinion publique va-t-elle appréhender cet acte ?

Au niveau de l'homme de droit qu'il est, le symbolisme de cet acte serait difficilement acceptable car il connait très bien la loi et veille à son application.

Dans ce sens, c'est une provocation
Un meurtre par compassion, puisque interdit par nos lois qui sont par nature des décisions collectives, relève alors d’une décision intime.

Or, c'est au juge d’être le garant de nos décisions collectives, en tant que société.
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8 commentaires
  1. Cynik
    Cynik
    Mandatons Bastarache pour faire enquête sur le potentiel criminel des juges après la commission en cours actuellement!

    ^^

    Mais, blagues à part, je crois qu'il ne faut pas exxagérer l'importance de la médiatisation de cette affaire.

    Avec tout le respect que mérite Me Salehabadi je ne suis pas d'accord avec l'ampleur des remous ou de l'émoi populaire qu'elle attribue au débat. Oui, ça suscite vagues et éceuils d'émoi au sein de la communauté juridique, mais le commun des mortels s'en désintéresse beaucoup plus qu'on passe.

    Ça "choque" un petit 4-5 secondes de lire que c'est un juge qui est accusé de meurtre plutôt qu'un petit Joe Nobody, mais les gens placent rapidement l'information mentalement dans la rubrique des chiens écrasés: le cynisme et le désintérêt populaire face à toute la chose publique - auquel est associé l'appareil judiciaire - est d'une ampleur malheureusement conséquente.

    Ça n'enlève rien de tragique à la chose, mais je pense, en toute humilité devant Me Salehabadi ( et le présent demeure un bel article ), qu'elle semble surestimer l'importance que la population générale attribue à l'affaire.

    En revanche, dans le domaine juridique, le choc sonne encore...

    ...

    Pour le reste, quant à moi, je maintiens ma théorie du meurtre par compassion.

    ...

    À suivre...

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 15 ans
    Le Fou du droit 2
    >Pourquoi l'affaire Delisle nous remue tant

    Parce que quand on creuse le côté nature, on trouve des fruits dans le fond.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 15 ans
    11 d
    Que dirions nous de le présumer innocent, comme notre droit le garantit, plutôt que de spéculer?

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a 15 ans
    Présomption d'innoncence
    Je suis d'accord. En tant qu'avocats, c'est bien la moindre des choses que de présumer de son innoncence jusqu'à preuve du contraire. Attend-on donc un peu avant de le condamner... Vous souhaiteriez sans doute que vos collègues vous accordent ce bénéfice si vous étiez mêlé à une telle histoire!

  5. Anonyme
    Anonyme
    il y a 15 ans
    Re : Présomption d'innoncence
    > Je suis d'accord. En tant qu'avocats, c'est bien la moindre des choses que de présumer de son innoncence jusqu'à preuve du contraire. Attend-on donc un peu avant de le condamner... Vous souhaiteriez sans doute que vos collègues vous accordent ce bénéfice si vous étiez mêlé à une telle histoire!

    Mais elle ne le condamne pas du tout. De quoi parlez-vous??????
    L'article porte uniquement sur le pourquoi de emoi et le statut d'un juge dans notre societe, me semble-t-il!!!!

  6. Anonyme
    Anonyme
    il y a 15 ans
    Re : Re : Présomption d'innoncence
    > > Je suis d'accord. En tant qu'avocats, c'est bien la moindre des choses que de présumer de son innoncence jusqu'à preuve du contraire. Attend-on donc un peu avant de le condamner... Vous souhaiteriez sans doute que vos collègues vous accordent ce bénéfice si vous étiez mêlé à une telle histoire!
    >
    > Mais elle ne le condamne pas du tout. De quoi parlez-vous??????
    > L'article porte uniquement sur le pourquoi de emoi et le statut d'un juge dans notre societe, me semble-t-il!!!!

    Je ne visais pas Me Salehabadi mais plutôt certains commentateurs sur ce blogue qui ont tendance à le trouver déjà coupable...

  7. Anonyme
    Anonyme
    il y a 15 ans
    Re : Re : Présomption d'innoncence
    > > Je suis d'accord. En tant qu'avocats, c'est bien la moindre des choses que de présumer de son innoncence jusqu'à preuve du contraire. Attend-on donc un peu avant de le condamner... Vous souhaiteriez sans doute que vos collègues vous accordent ce bénéfice si vous étiez mêlé à une telle histoire!
    >
    > Mais elle ne le condamne pas du tout. De quoi parlez-vous??????
    > L'article porte uniquement sur le pourquoi de emoi et le statut d'un juge dans notre societe, me semble-t-il!!!!

    Je ne visais pas Me Salehabadi mais plutôt certains commentateurs sur ce blog qui ont tendance à déjà le trouver coupable...

  8. Anonyme
    Anonyme
    il y a 15 ans
    Re : Re : Re : Présomption d'innoncence
    > > > Je suis d'accord. En tant qu'avocats, c'est bien la moindre des choses que de présumer de son innoncence jusqu'à preuve du contraire. Attend-on donc un peu avant de le condamner... Vous souhaiteriez sans doute que vos collègues vous accordent ce bénéfice si vous étiez mêlé à une telle histoire!
    > >
    > > Mais elle ne le condamne pas du tout. De quoi parlez-vous??????
    > > L'article porte uniquement sur le pourquoi de emoi et le statut d'un juge dans notre societe, me semble-t-il!!!!
    >
    > Je ne visais pas Me Salehabadi mais plutôt certains commentateurs sur ce blog qui ont tendance à déjà le trouver coupable...

    ah pardon alors. Sur cela vous avez entierement raison

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