Quand un avocat devient témoin malgré lui

La Cour supérieure tranche : impossible de représenter et de témoigner dans le même dossier. Voici pourquoi…
La Cour supérieure a déclaré l'avocat Yannick Dompierre inhabile à agir comme procureur de ses clients.

Cette décision a été rendue le 7 août par la juge Marie-Josée Bédard dans le district de Gatineau.
Elle fait suite à une demande de l'avocat défendeur, Me Olivier Bergeron, qui souhaite assigner Me Yannick Dompierre comme témoin dans le cadre d'un litige concernant une vente immobilière.
Représentés par Mes Sébastien Dionne et Malvina Budaghyan, les demandeurs, Cory Marchand et Stéphanie Britton-Marchand, réclament de leur côté que le tribunal déclare abusive la demande visant à faire témoigner Me Dompierre et à le déclarer inhabile.
Le contexte du litige
L'affaire commence après l'achat d'une maison neuve par les clients de Me Yannick Dompierre, le 11 août 2021.

Se plaignant de vices de construction, ils retiennent les services de leur avocat pour envoyer une mise en demeure aux vendeurs. À l'époque, Me Olivier Bergeron agissait comme avocat pour les vendeurs.
Des négociations s'ensuivent, et les parties s'entendent sur une transaction pour la revente de l'immeuble. Cependant, cette vente n'a jamais eu lieu. Quelques mois plus tard, Me Bergeron, qui ne représente plus les vendeurs, achète lui-même la propriété des demandeurs pour un prix considérablement plus bas.
C'est à ce moment que le conflit éclate. Les demandeurs allèguent que leur consentement a été vicié par la peur d'une perte financière, et que Me Bergeron aurait profité de leur vulnérabilité. Ils poursuivent Me Bergeron pour obtenir l'annulation de certaines clauses de la vente et réclament des dommages-intérêts.
Les positions des avocats
Me Olivier Bergeron estime que le témoignage de Me Dompierre est essentiel. Étant le seul intermédiaire dans les discussions et négociations ayant mené à la vente, la version des faits de Me Dompierre est, selon lui, au cœur du litige. Pour Me Bergeron, il est impératif d'interroger son homologue pour établir sa propre défense.
Me Yannick Dompierre et les demandeurs s'opposent à cette idée. Ils jugent que cette demande est une tactique abusive de la part de Me Bergeron, visant à les priver de l'avocat qu'ils ont choisi. Selon eux, le témoignage de Me Dompierre n'est ni nécessaire ni utile, car les preuves peuvent être fournies par des courriels et le témoignage du défendeur.
La décision du tribunal
Le tribunal a donné raison à Me Bergeron. La juge Marie-Josée Bédard a estimé que:
- Le témoignage de Me Dompierre est nécessaire et essentiel, car il a été le seul interlocuteur de Me Bergeron durant les négociations. Le litige portant sur la validité du consentement des demandeurs durant ces négociations, il serait impossible de statuer sans entendre sa version des faits.
- L'intégrité du système judiciaire doit prévaloir sur le droit de choisir son avocat. Selon le Code de déontologie des avocats, un avocat ne peut pas agir personnellement dans un litige s'il sait qu'il sera appelé comme témoin.
- Le tribunal n'a trouvé aucun élément d'abus ou de manquement de la part de Me Bergeron. L'avocat a toujours exprimé son intention de faire témoigner Me Dompierre, et la demande de déclaration d'inhabilité n'était pas tardive.
La juge Bédard a donc déclaré Me Yannick Dompierre inhabile à agir dans cette affaire. Toutefois, cette déclaration ne s'applique qu'à lui et non aux autres avocats de son cabinet, permettant ainsi à l'associée de Me Dompierre, Me Tanya Da Costa, de continuer à représenter les demandeurs.
Il n’avait pas été possible de parler à Me Dompierre et à Me Bergeron au moment de mettre cet article en ligne.