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Un ex-associé défie Blakes… et perd

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Élisabeth Fleury

2025-09-08 15:00:02

Un avocat et son ancien cabinet ne s’entendent pas sur les termes de leur divorce. De qui et de quoi s’agit-il?

Bernard Boucher - source : LCM


L'avocat Bernard Boucher est en litige avec son ancien cabinet, Blake, Cassels & Graydon, LLP (Blakes), concernant une allocation de retraite et une clause de non-concurrence.

Me Boucher a joint les rangs de LCM l’an dernier. Pendant plus de 20 ans, il a été associé chez Blakes. Leur relation était et est toujours régie par un contrat de société qui prévoit qu’en cas de différend quant à sa validité, son interprétation ou son application, les parties recourraient obligatoirement à l’arbitrage, peut-on lire dans une décision de la Cour supérieure rendue en mai dernier.

À son départ, Me Boucher a demandé à Blakes de lui verser l’allocation de retraite prévue par le contrat de société. Blakes a refusé au motif que Me Boucher se joignait à un cabinet qui le concurrençait directement, un motif prévu par le contrat de société.

Plutôt que de se prévaloir de l’arbitrage, Me Boucher a déposé une demande introductive d’instance à la Cour supérieure. En réponse, Blakes a demandé que l’affaire soit renvoyée à l’arbitre désigné par les parties, conformément à leur contrat.


Bernard Moreau, de DHC et Dominique Ménard, de LCM
Le litige : une question d'arbitrabilité


Devant la Cour supérieure, les avocats de Me Boucher, Mes Bernard Moreau, de DHC, et Dominique Ménard, de LCM, ont argué que le litige portait sur la validité d'une clause de non-concurrence, une question d'ordre public non arbitrable selon l'article 2639 al. 1 du Code civil du Québec.

Son ancien cabinet a plaidé qu’une clause de non-concurrence n’est pas analogue aux exceptions mentionnées à l’article 2639 C.c.Q — comme l’état des personnes ou les matières familiales —, déclarées non arbitrables par la loi. Aucune autre disposition législative ne prévoit expressément qu’un contrat de société ou qu’une clause de non-concurrence n’est pas arbitrable, ont fait valoir les procureurs de Blakes, Mes André Ryan et Gabrielle Lachance Touchette, de BCF.

Mes André Ryan et Gabrielle Lachance Touchette, de BCF

La décision de la Cour supérieure

Le juge Ian Demers a donné raison à Blakes. Il a notamment statué que l'arbitrabilité est la règle, et l'inarbitrabilité, l'exception. Pour qu'une question soit non arbitrable, elle doit être expressément prévue par la loi ou être analogue aux exceptions mentionnées à l'article 2639 C.c.Q, a-t-il tranché.

Bien que les règles sur la validité des clauses de non-concurrence soient d'ordre public, cela ne rend pas le litige inarbitrable en soi, a du reste conclu le juge. L'article 2639 al. 2 C.c.Q. précise qu'une convention d'arbitrage ne peut être écartée au motif que les règles de fond sont d'ordre public, a rappelé la Cour supérieure, estimant que l'arbitre est compétent pour décider de la validité de la clause.

Ian Demers - source : UQAM

Le juge Demers a donc renvoyé le différend entre les parties à l’arbitre de Toronto Jeffrey S. Leon pour la poursuite de l’arbitrage.

Des clauses contraires à l’ordre public, selon l’appelant

Me Boucher a porté cette décision en appel. Dans sa déclaration d’appel, il a réitéré sa prétention selon laquelle les litiges relatifs à la validité de clauses de non-concurrence sont inarbitrables au regard de l’article 2639 al. 1 C.c.Q., car ils mettent en cause le droit à l’emploi, une valeur fondamentale de la société québécoise.

Il a aussi soulevé un nouveau moyen fondé sur l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Uber. Il a soutenu que l’effet combiné de la clause d’arbitrage et de la clause de droit applicable désignant celui en vigueur en Ontario le priverait du bénéfice des règles québécoises régissant la validité des clauses de non-concurrence.

Autrement dit, par ces clauses, l’intimée chercherait à contourner une « politique locale impérative » visant à protéger les travailleurs québécois. Selon l’appelant, ce résultat serait résolument contraire à l’ordre public.

Blakes a de son côté demandé le rejet sommaire de l’appel au motif que l’appelant n’avait aucune chance raisonnable de démontrer que le juge de première instance a commis une erreur révisable en renvoyant le litige à l’arbitrage.

La décision de la Cour d'appel

Martin Vauclair, Stephen W. Hamilton et Frédéric Bachand - source : Cour d'appel du Québec

Dans sa décision rendue fin août, la Cour d'appel a rejeté l'appel de Me Boucher et confirmé le renvoi en arbitrage, jugeant que ses prétentions n'avaient aucune chance raisonnable de succès. Les juges Martin Vauclair, Stephen W. Hamilton et Frédéric Bachand ont réaffirmé que la validité d'une clause de non-concurrence est une question arbitrable et ont rappelé que l'ordre public intervient principalement a posteriori, lors de l'examen d'une sentence arbitrale par les tribunaux, et non au début du processus.

Les trois juges ont aussi rejeté l’argument d’Uber. Ils ont distingué le cas de Me Boucher de celui de l'arrêt Uber, où l'arbitrage était inaccessible en pratique pour les chauffeurs en raison des coûts et de la distance.

Dans ce cas-ci, rien ne suggère que Me Boucher serait privé d'un accès à la justice, a estimé la Cour d’appel. L’argument de l’appelant selon lequel le droit ontarien serait moins favorable a également été jugé non fondé, car il n'a pas démontré qu'un arbitre québécois ne tiendrait pas compte du droit du Québec en raison des liens de rattachement du litige.

Me Bernard Boucher a préféré ne pas commenter le fond de l’affaire. Il a néanmoins mentionné à Droit-inc qu’il n'entendait pas porter le jugement en appel.

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