Une juge réprimandée pour avoir « trop aidé »

Élisabeth Fleury
2025-08-12 15:00:44
Elle voulait éviter une injustice… mais aurait franchi la ligne de l’impartialité. Le système de justice manque-t-il d’humanisme?
La Cour supérieure vient de confirmer une décision du Comité d'enquête du Conseil de la justice administrative du Québec, pour qui les actions de la juge Amélie Dion étaient déraisonnables et constituaient un manquement déontologique.
La décision a été rendue le 7 août par le juge de la Cour supérieure Bernard Tremblay.
La demanderesse, la juge Amélie Dion, était représentée par Me Guiseppe Battista, de Battista Turcot Israel, alors que le défendeur, le Conseil de la justice administrative, était représenté par Me David Ferland, de Stein Monast.
Une audience sous tension
L'affaire remonte à une audience opposant un locateur, représenté par un avocat, et un locataire, qui se présentait avec sa conjointe sans représentation légale. Le locataire avait reçu deux avis : un d'augmentation de loyer et un de reprise de logement (éviction). Il n'avait contesté que le premier, laissant le second sans réponse, ce qui équivalait à une acceptation de l'éviction.
C'est lors de l'audience que la juge Amélie Dion a multiplié les interventions auprès du locataire. Elle l'a informé des conséquences de son inaction face à l'avis d'éviction, lui a expliqué les procédures pour remédier à cette situation et lui a suggéré des moyens de défense possibles.
Le représentant du locateur a rapidement perçu ces actions comme un manque d'impartialité et a menacé de porter plainte.
La décision du Comité d’enquête du Conseil de la justice administrative

« Toutes ces actions sont initiées de son propre chef et non pas à la suggestion ou à la demande d’une partie. Le Comité d’enquête constate qu’elle prend en main l’audience afin de privilégier le locataire. Ses actions vont au-delà du devoir de secours et d’assistance puisqu’elle verse dans le conseil », fait valoir le Comité.
Selon le Comité, la juge Dion a outrepassé son devoir d’assistance et de secours équitable en prodiguant un véritable conseil juridique au locataire.
« Elle lui indique les recours à sa disposition et les motifs pouvant être invoqués pour contrer l’action prise par le locateur. Ce seul élément tend à démontrer un manque d’impartialité. Ce sentiment est renforcé par le fait qu’elle refuse de répondre à la question du plaignant quant à son droit de percevoir le loyer dans le contexte alléguant qu’elle ne peut lui prodiguer de conseils juridiques », souligne le Comité.
Devoir ou faute déontologique?
La juge Amélie Dion a soutenu devant la Cour supérieure que ses interventions relevaient de son devoir d'assistance et de secours, prévu par la loi. Selon elle, il était essentiel d'aider un justiciable non représenté pour assurer un procès juste et équitable.
Elle a plaidé que si elle avait commis une erreur, il s'agissait d'une erreur de droit susceptible d'appel, et non d'une faute déontologique justifiant une sanction disciplinaire. Elle a affirmé que la jurisprudence sur ce devoir est vaste et parfois imprécise, et qu'elle avait agi de bonne foi pour éviter une injustice.
Le Conseil de la justice administrative a contesté ces arguments. Il a maintenu que la juge a franchi une ligne cruciale en prodiguant de véritables conseils juridiques stratégiques au locataire, allant bien au-delà de la simple information procédurale.
Pour le Conseil, une telle conduite crée une apparence de partialité qui ébranle la confiance du public dans l'administration de la justice. Il a également soutenu qu'une même conduite peut constituer à la fois une erreur de droit et une faute déontologique.
Les limites de l'assistance
La Cour supérieure a rappelé qu'en contrôle judiciaire, il ne s'agit pas de juger si la décision initiale était la meilleure, mais de déterminer si elle était raisonnable.
Pour le juge Bernard Tremblay, la décision du Comité d'enquête était une conclusion « qui fait partie des issues possibles » et ne contenait aucune erreur fatale.
Le juge Tremblay a donc rejeté le pourvoi, confirmant que le Comité d'enquête pouvait raisonnablement conclure à un manquement déontologique.
Ce que la décision du Comité dit, en somme, c’est qu’en voulant éviter une injustice, la juge en a involontairement créé une autre, ce qui a justifié la réprimande.
Droit-inc a tenté d’obtenir les commentaires des parties, mais n’avait pas eu de retour au moment de mettre cet article en ligne.