Vers une restriction des droits et libertés des migrants

Radio Canada
2025-07-17 14:15:24

Le projet de loi C-2, connu sous le nom de Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière, a été vivement critiqué par un grand nombre d’organisations. Ces dernières estiment que le projet de loi menace les libertés et les droits des réfugiés et des migrants, en plus de la vie privée de tous les Canadiens.
Ce projet de loi fait suite aux pressions de l'administration du président américain Donald Trump, qui a invoqué ses inquiétudes concernant le flux de migrants irréguliers et de fentanyl vers le Sud lors de l'imposition de droits de douane sur les produits canadiens.
Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l’Université Laval, spécialiste des droits et libertés de la personne, était en entrevue avec Hugo Lavoie à l’émission Le 15-18. Voici son analyse du projet de loi.
Qu’est-ce qui retient votre attention dans le projet de loi C-2, particulièrement sur la question des demandeurs d’asile?
Louis-Philippe Lampron : Ce projet s’inscrit dans une tendance lourde en matière de protection des droits des réfugiés, qui a été établie après la Deuxième Guerre mondiale. Donc, grosso modo, on ne s’en va pas dans la bonne direction. Parce que ce qu’on présente de plus en plus dans l’espace public est survitaminé par les interventions nombreuses et les projets menés par l’administration Trump : la question de l’accueil des réfugiés est un luxe qu’on ne pourrait plus se permettre, en fait.
À mon sens, les mesures qui sont intégrées dans le projet de loi C-2 s’inscrivent dans cette tendance-là. C’est un projet de loi qui vise à apaiser les souhaits, on ne sait plus comment les qualifier […] de Trump et de son administration. On demande au Canada de gérer ses frontières de manière plus sécuritaire. Les mesures qu’on trouve dans C-2 concernant les réfugiés restreignent de manière importante des droits qui étaient déjà difficilement accessibles pour ces personnes-là.
Parmi les règles qui vont changer, on veut abolir une règle qui permet aux migrants d’entrer sans passer par les postes frontaliers et de réclamer l’asile après 14 jours au Canada et on veut rendre inadmissible toute demande déposée plus d’un an après l’arrivée au pays. S'agit-il de mesures qui vous semblent problématiques?
Louis-Philippe Lampron : La question de l’entrée irrégulière des réfugiés est très particulière parce qu'elle est régie par un système robuste en matière de droit international, mais ce qu’il y a derrière, c’est un peu la même chose que tout le système essentiellement de protection des droits et libertés de la personne. Voir ça comme un luxe mène directement dans un mur. C’est faire abstraction de la raison pour laquelle on a établi ces normes-là au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.
Il s’agit de s’assurer de trouver le système le plus adéquat pour éviter à terme des instabilités internationales, des conflits internationaux, des risques importants d’embrasement. À terme, l’objectif est très pragmatique, c’est d’éviter de retourner dans un conflit mondial aussi horrible que la Deuxième Guerre mondiale.
En ce qui concerne les réfugiés, ce sont des groupes vulnérables, qui fuient la guerre, qui fuient des violences, etc. Ils ont le droit d’être accueillis, puis de soumettre leur demande et d’être traités équitablement.
Plusieurs travaux qui étaient en place avant même le projet de loi C-2 et les restrictions mises en avant sur l’impulsion de Donald Trump [...] démontrent une grande opacité dans l’application des règles actuelles du droit canadien qui font en sorte que c’est presque à la tête du client. Le traitement des demandes d’asile, une fois entre les mains de l’administration fédérale, laissera beaucoup de place à l'arbitraire. On va rajouter des obstacles, rendant cela encore plus difficile, puis invisibilisant et fragilisant un groupe qui est déjà vulnérable.
Le gouvernement vous répondrait peut-être que certaines des règles qui changent sont là pour éviter des failles dans le système. Par exemple, abolir la règle qui permet au migrant d'entrer sans passer par un poste frontalier et réclamer l’asile après 14 jours au Canada. C’était une façon de contourner le système, de se cacher d’une certaine manière pendant 14 jours et puis de faire la demande à l’intérieur du pays.
Louis-Philippe Lampron : Il peut y avoir des failles dans le système qu’on peut valablement tenter de corriger, mais pas avec un projet mammouth de cette nature-là qui a la vocation de restreindre, et je le répète, de fragiliser les droits qui sont reconnus internationalement de groupes qui sont déjà vulnérables. D’autre part, il faut s’attaquer à la situation de manière sérieuse et responsable. Si on veut essayer de trouver une solution œcuménique, il faut trouver la manière la plus efficace de respecter les engagements internationaux post-Deuxième Guerre mondiale, qui encore une fois, aussi imparfaits qu’ils soient, ont pour but d'essayer d’éviter des embrasements.
Je me fais l’avocat du diable. La population a une certaine crainte : on ne veut pas que n’importe qui puisse entrer au Canada. Cela peut rendre difficile le traitement de toutes ces personnes-là. Leur arrivée a des répercussions sur le logement, sur les services sociaux. Comment fait-on pour garder un certain contrôle sur le phénomène?
Louis-Philippe Lampron : Je ne voudrais pas être à la place de Mark Carney face à l’administration Trump qui mène carrément une tentative de coup d’État avec les risques pour l’économie canadienne, etc. J'ai beaucoup d’empathie pour les solutions pragmatiques qu’on devra trouver face à la pression migratoire qui sera croissante en raison du réchauffement climatique. On le sait depuis des années que le réchauffement climatique va créer une pression supplémentaire pour tous les pays nordiques. Au Sud, plus il va faire chaud, plus les conditions seront invivables, plus il y aura des gens qui voudront monter au Nord.
La solution, ce n’est pas d’essayer de mettre en place un mur. C’est de trouver une manière d’accueillir le plus possible des gens qui ne sont plus en mesure de vivre adéquatement dans leur pays. On a la responsabilité ensemble au nom de la solidarité internationale de trouver des solutions qui vont dans ce sens-là. Parce qu’à terme, si on essaie de créer un aquarium et de laisser des gens de l’autre côté, ça va créer des problèmes encore plus graves que ceux auxquels on fait face […] C’est une réalité à laquelle on va devoir s'adapter de plus en plus.
Alors quand je parle de solution responsable, quand je parle de solution de solidarité, c’est-à-dire qu’il faut aller vers une solution multilatérale et non pas vers des solutions locales qui privilégient un resserrement des frontières. On a vu dans l’histoire ce que la fermeture des frontières a donné.