Ce qu’il faut savoir de la mécanique du brevet
Jean-sébastien Brière
2022-10-26 11:15:00
En d’autres mots, ces commentaires dénotent une mauvaise compréhension de la mécanique du brevet.
Un brevet est un document juridique dont l’émission par l’État confère à son titulaire certains droits exclusifs eu égard à un « territoire technique » donné. Ce ne sera donc pas un produit qui sera protégé en tant que tel, mais bien une combinaison de caractéristiques techniques définissant l’étendue de ce « territoire technique » à l’accès réservé.
En protégeant une combinaison de caractéristiques techniques qui confère à un produit sa valeur sur le marché, ou en suscite l’intérêt et le succès commercial, le breveté obtient un monopole allant au-delà de son produit : ce monopole lui permettra non seulement d’éviter les copies, mais également de limiter la commercialisation de solutions alternatives qui seraient concurrentes à son offre.
Dans les faits, ce sera donc une part de marché qui se trouvera protégée. Cet objectif ne sera toutefois atteint que si le « territoire technique » réservé au titulaire du brevet est défini de façon appropriée.
Or, tel est précisément le rôle des « revendications » que l’on retrouve à la fin d’un brevet : elles définissent l’étendue « technique » du monopole qui sera conféré à son titulaire. Il faudra donc d’abord que ces revendications portent sur un objet technique (nouveau matériel, configuration, etc.) que le titulaire du brevet aura un intérêt commercial à se « réserver ».
Il faudra ensuite que la portée de ces revendications soit congruente avec l’objectif commercial recherché (bloquer un marché aux concurrents, ouvrir de nouveaux marchés par l’octroi de licences, etc.).
Le rôle d’un agent de brevet est de rédiger des revendications qui atteindront ces objectifs, tout en respectant les contraintes dictées par la loi. Cet exercice d’équilibriste est délicat et doit être supervisé de façon adéquate par le futur breveté.
Une même innovation pourra être décrite de façons très différentes par différents agents de brevets, et donner lieu à des revendications (et donc des brevets) ayant des portées très différentes. Toutefois, un brevet à la portée inappropriée pourra avoir un intérêt commercial beaucoup moindre pour son titulaire.
Par ailleurs, avant qu’un brevet ne soit émis, les revendications que comporte une demande de brevet seront étudiées par un examinateur du bureau des brevets, qui devra s’assurer que l’objet qu’elles définissent n’était pas déjà connu dans l’état de la technique avant le dépôt de cette demande (« l’art antérieur » dans le jargon des brevets), ou évidente à la lumière de celui-ci.
Cet examinateur devra également s’assurer que la portée des revendications est appropriée eu égard à l’apport technique réalisé par l’inventeur. En rédigeant les revendications d’une demande de brevet, il faudra donc considérer non seulement les objectifs commerciaux de l’entreprise, mais également l’état de l’art antérieur, et accepter que la portée du brevet éventuellement émis pourra varier de ce qui est initialement recherché.
Tel qu’il appert de cette discussion, on « n’enregistre » pas une invention en obtenant un brevet, mais on obtient un monopole sur un objet technique décrit dans les revendications de ce brevet.
Ces revendications pourront être rédigées de façons très différentes, ce qui pourra avoir un impact important sur la portée des droits conférés par le brevet obtenu et donc sur sa valeur, voire sa pertinence.
Enfin, l’obtention d’un brevet ne fait que réserver à son titulaire l’accès au « territoire technique » défini par ses revendications, ce qui ne lui garantit pas la liberté d’exploiter l’innovation réalisée. En effet, il est fréquent qu’un brevet soit émis eu égard à une innovation qui se trouve elle-même dans un « territoire technique » déjà réservé à un autre par brevet.
C’est la distinction entre « brevetabilité » (la possibilité d’obtenir un brevet) et « liberté d’exploitation » (le risque de contrefaire un brevet détenu par un tiers). Encore ici, c’est la façon dont des revendications auront été rédigées et interprétées par la suite qui sera déterminante.
Les Classes de maître en propriété intellectuelle de BCF
Le 27 octobre 2022 se tiendra la première Classe de maître en propriété intellectuelle du cabinet BCF. L’un des objectifs de cette formation donnée par l’équipe du cabinet est de permettre aux participants de se familiariser avec cette « mécanique du brevet », de mieux travailler avec leurs agents de brevets lors du dépôt de demandes et de considérer les risques de violations de brevets détenus par des concurrents. Cette fenêtre sur le fonctionnement du système leur permettra par la suite de prendre des décisions stratégiques mieux éclairées.
Jean-Sébastien Brière est avocat et agent de brevets chez BCF. Il détient plus de vingt ans de pratique en matière de propriété intellectuelle et possède une solide expérience en litiges et en transactions commerciales impliquant des actifs de PI.